L’indemnisation par les tribunaux du préjudice du salarié face à une situation de burn-out

Le mal-être au travail est au cœur des préoccupations actuelles, tant pour les salariés que les travailleurs indépendants. Après le harcèlement ou encore le stress, c’est aujourd’hui principalement le burn-out qui monopolise l’attention.

 

L’expression « burn-out » apparait pour la première fois dans une étude de psychologie en 1969 et reprise par la suite dans une publication statistique « staff burnout ».

 

Des psychologues américains ont considéré que le burn-out est « une réponse au stress émotionnel chronique » se composant de trois éléments :

 

–        un épuisement physique et/ ou mental

–        un épuisement émotionnel

–       le sentiment d’inaptitude et d’incapacité de la part du salarié face à une charge de travail qu’il ne peut résorber seul.

 

 

De son côté, la Haute Autorité de Santé définit le burn-out comme un état « d’épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel ».

 

•       Le burn-out : la charge de travail en  cause

 

Véritable phénomène de société touchant dans les premiers temps les cadres, il s’est diffusé auprès de l’ensemble des catégories de salarié comme caractéristique d’une défaillance dans la gestion de la charge de travail imposé par l’employeur.

 

En effet, selon une étude de 2014 du Cabinet Technologia, plus de 3 millions d’actifs sont susceptibles d’être concernés par un risque de burn-out, autrement dit, 12% de la population active.

 

 

•       Le burn-out : la recherche de la causalité entre intensité de la charge de travail et dégradation des conditions de travail

 

Durant ces dernières années, de nombreuses études réalisées démontrent un lien causal entre intensification et dégradation des conditions de travail du salarié provoquant de nombreux maux : la dépression, le stress, le harcèlement, la souffrance mentale pouvant conduire dans les cas les plus graves au suicide.

 

Cette prise de conscience dans les organisations du travail conduit les services RH à   prévenir les « risques psychosociaux » en mettant en place des moyens de prévention adaptés.

 

 

•       Le burn-out : un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité

 

Plus concrètement, en vertu des articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail, l’employeur est tenu à l’égard de ses salariés, d’une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre des mesures nécessaires afin d’assurer la sécurité et de protéger la santé de ses travailleurs.

 

La Cour de cassation se réfère à l’obligation de sécurité de résultat pour renforcer la portée des textes existants dans le Code du travail en matière de santé et de sécurité au travail. Elle précise ainsi que « l’employeur tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise doit en assurer l’effectivité » (Cass. soc, 19 décembre 2007, n° 06-43-918; Cass. soc., 20 septembre 2006, n°05-42.925).

 

L’employeur est désormais tenu de protéger la santé et de la sécurité d’un salarié dès lors qu’un salarié est victime, du fait de ses conditions de travail, d’une altération de sa santé physique ou de sa santé mentale, même lorsque l’employeur n’a pas commis de faute.

 

Il doit ainsi mettre en place une réelle organisation et des moyens durables et adaptés pour éviter aux salariés des risques psychosociaux.

 

Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d’information et de formation ainsi que la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés..

 

De la même manière, face à l’ampleur croissante du phénomène, un accord national interprofessionnel sur le stress au travail a été signé par les partenaires sociaux le 2 juillet 2008.

 

Le stress au travail est apprécié sur le plan international, européen et national comme une préoccupation assujettissant les employeurs à des obligations vis-à-vis des salariés.

 

Selon cet accord, le stress survient lorsqu’il y a « un déséquilibre entre la perception qu’une personne à des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face. L’individu est capable de gérer la pression à court terme, mais il éprouve de grandes difficultés face à une exposition prolongée ou répétée à des pressions intenses ».

 

Par conséquent, il revient à l’employeur de procéder à des procédures globales d’évaluation des risques et de mettre en place des mesures tant globales que privatives à l’égard des salariés. Dans le cas contraire, il pourra faire l’objet de condamnation.

 

Malheureusement, de très nombreux employeurs n’ont pas mis en place d’organisations adaptées permettant de prévenir les risques de burn-out dans l’entreprise si bien que les contentieux se multiplient une fois que le salarié en arrêt maladie ou déclaré inapte va engager la responsabilité de l’employeur au motif d’un manquement à son obligation de sécurité.

 

 

 

 

•       Le burn-out : un contentieux déjà bien fourni et une reconnaissance réaffirmée devant les Tribunaux

 

 

 

Parmi les décisions notables en matière de reconnaissance du burn-out, il faut citer un arrêt de la Cour d’appel de Versailles, dans deux décisions du 9 et 23 mai 2012 a  admis le préjudice subi par des salariés en « burn-out » à la suite d’un stress important au travail en condamnant l’employeur en réparation pour préjudice.

 

La cour d’appel juge que « considérant que si l’employeur a l’obligation de protéger la santé physique et mentale des travailleurs et de mettre en oeuvre les mesures de prévention des risques professionnels liés au harcèlement moral selon l’article L 4121-2 7o, la société s’est abstenue d’anticiper les risques prévisibles liés à une souffrance au travail de Mme X… sur le site de Châtillon et de prendre en compte en temps voulu les indicateurs des facteurs psychosociaux liés d’une part, à l’absentéisme de la salariée même si l’employeur pouvait ignorer les motifs des arrêts maladie pour état anxio-dépressif, d’autre part, à son désengagement professionnel du fait de sa « demande de licenciement » suite au refus par son supérieur hiérarchique de lui verser une prime exceptionnelle, ce qui est rapporté par son N+1 dans son courrier du 17 mars 2008, enfin à sa demande d’entretien auprès du directeur général ».

 

Dans  une autre affaire du 29 novembre 2013, la Cour d’appel de Rennes a reconnu une situation de burn-out comme étant à l’origine du préjudice de la salariée qui « était dans un état d’épuisement total et atteinte de burn-out en raison de la surcharge de travail à laquelle elle était confrontée et qui avait déjà été relevée par le médecin du travail à la fin de l’année 2006, que l’employeur s’est abstenu de prendre des mesures pour la soulager et a manqué de ce fait à son obligation de sécurité de résultat ».

 

On note à ce titre que les juridictions analysent la réponse de l’employeur face à une situation qu’ils n’auront pas prise en compte.

 

Dans ce cas, les juges peuvent aller jusqu’à retenir à son encontre une faute inexcusable.

 

Tel a été le cas dans une affaire où les juges ont constaté que l’employeur n’avait pas pris la mesure des conséquences de son objectif de réduction des coûts en termes de facteurs de risque pour la santé de ses salariés (Cass. 2e civ., 8 nov 2012, n°11-23.855).

 

Le burn-out peut également résulter également d’une situation de harcèlement moral provoqué par un supérieur hiérarchique.

 

En effet, La Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 20 juin 2014 (n°12/18625) a jugé que :

 

 « L’employeur lui a attribué une charge de travail excessive, qu’il s’adressait à elle, comme à d’autres salariés, en haussant le ton voire en hurlant et que, de façon générale, son management n’était pas respectueux des salariés. Ces faits, mis en perspective avec son rapide et brutal amaigrissement (…), mais aussi avec une dégradation de son état de santé physique, médicalement constatée, permettent de présumer l’existence d’une situation professionnelle génératrice d’une souffrance excessive et dommageable sa santé physique et psychique, voire celle d’un harcèlement. »

 

Il convient donc de rechercher, en examinant les pièces produites par l’employeur, si celui-ci a pris, au sens de l’article L 4124-1, les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de la salariée, ou s’il prouve que des agissements ou ses décisions ne sont pas constitutifs d’un harcèlement, ou encore, que ceux-ci sont justifiés par des éléments objectifs à tout harcèlement ».

 

Un autre exemple sur une charge de travail non maitrisée imposée au salarié a été relevé par la Cour de cassation qui casse une décision   des juges du fond  qui n’ont pas «  recherché si, comme cela était soutenu par la salariée, elle n’avait pas été exposée à un stress permanent et prolongé à raison de l’existence d’une situation de surcharge de travail conduisant à un épuisement professionnel de nature à entrainer une dégradation de son état de santé susceptible de caractériser un lien entre la maladie de la salariée et un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité (…) » (Cass. soc., 13 mars 2013, pourvoi n°11-22.082).

 

Cet attendu de principe est désormais celui qui est repris par la haute juridiction.

 

On note qu’elle exige pour qualifier une situation de burn-out la réunion de trois conditions :

 

–       La preuve de l’exposition à un stress prolongé en lien avec une surcharge de travail

 

Les preuves caractérisant cette première condition devront être apportées par le salarié.

 

 

–       En corolaire, l’inaction de l’employeur qui, alerté de la situation par le salarie, un médecin du travail ou un représentant syndical, n’agit pas en conséquence pour modifier l’organisation du travail de son salarié et a failli à son obligation de sécurité.

 

Sur ce point, il suffira au salarié de justifier que son employeur a bien été alerté par sa situation de surcharge au travail et qu’il n’a pris aucune mesure adéquate.

 

– Les conséquences du burn-out sur la dégradation de son état de santé qui seront caractérisées par de pièces médicales venant attester des problèmes de santé liée à l’épuisement physique ou mental du salarié selon les symptômes bien connus du burn-out (fatigue persistante, maux de dos, douleurs musculaires, migraines, problèmes digestifs, ulcères d’estomac, sommeil perturbé, Problèmes cutanés, perte ou gain de poids …).

 

 

 

•        Une décision intéressante du juge départiteur de Bordeaux du 20 juin 2019 (Conseil de prud’hommes de Bordeaux Juge Départiteur  F 16/010147)

 

Le rédacteur de cet article a obtenu une décision fort intéressant dans un dossier similaire devant le conseil de prud’hommes de Bordeaux.

 

Dans cette affaire, une salariée travaillait dans une société au poste de technicienne des métiers de la banque.

 

Cependant, en septembre 2014, celle-ci est placée en arrêt de travail avant d’être à nouveau arrêtée durant quatorze mois.

 

Point important, la salariée s’est plein à plusieurs reprises auprès de sa supérieure hiérarchique de sa charge de travail.

 

Alors qu’elle travaillait à temps partiel, elle a été chargée de plus en plus de missions jusqu’à être surchargée de travail avec une pression perpétuelle de sa responsable. Elle a ainsi son employeur de ses difficultés, notamment en demandant à changer de service ou encore lors d’entretiens de fin d’année.

 

Elle a également demandé à obtenir rapidement un soutien logistique et humain sur ses différentes tâches. Le recrutement d’une nouvelle personne avait d’ailleurs été promis à la salariée pour l’épauler, mais ce recrutement n’a finalement jamais eu lieu.

 

Le 28 janvier 2016, le médecin du travail affirme que l’organisation du poste est à redéfinir ou qu’un changement de service doit être en envisagé avant de qualifier une inaptitude définitive au poste de la salariée.

 

Le 24 février de la même année, la salariée a fait l’objet d’un licenciement suite à l’impossibilité de pourvoir à son reclassement au sein de l’entreprise

 

La salariée a saisi le Conseil de prud’hommes de Bordeaux, en considérant que l’origine de son inaptitude avait pour cause les manquements de son employeur qui n’a rien fait pour réduire sa charge de travail ou modifier l’organisation du travail dans son service.

 

Dans son jugement, le juge départiteur constate que la salariée a subi une surcharge de travail ayant entrainé une dégradation de son état de santé. De fait, il est jugé que l’employeur a commis un manquement à son obligation de sécurité.

 

Par conséquent, le Conseil de prud’hommes de Bordeaux déclare le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

Ainsi, la salariée démontrait bien avoir subi une surcharge de travail ayant entraîné une dégradation de son état de santé dont son employeur avait connaissance et que ce dernier n’a pris aucune mesure pour y remédier.

 

Par conséquent, les juges admettent le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ayant engendré l’inaptitude de la salarié. Le licenciement de cette dernière n’est donc fondé sur aucune cause réelle et sérieuse.

 

 

 

·         Une solution s’inscrivant dans un long processus de reconnaissance du burn-out

 

Ces décisions s’inscrivent dans le long processus de reconnaissance du burn-out par les juridictions françaises sur le fondement de l’obligation de sécurité de l’employeur.

 

Ce recours au juge prud’homal pour faire reconnaitre son préjudice permet ainsi d’éviter la voie très fermée de la reconnaissance d’une maladie professionnelle, non-inscrite dans les « tableaux des maladies professionnelles », tableaux permettant d’indemniser les pathologies y figurant ce qui nécessite de devoir invoquer une incapacité permanente d’un taux minimum de 25% très rarement atteint sur les pathologies du burn-out.

 

Maitre JALAIN

Avocat en Droit du travail