Le temps de trajet du salarié est-il du temps de travail effectif ?

 

L’article L. 3121-1 du Code du travail qualifie la durée du travail effectif comme le temps pendant lequel le salarié est :

 

  • à la disposition de l’employeur
  • se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.

 

L’article L. 3131-4 du Code du travail prévoit que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif.

 

Ce même article prévoit que s’il y a un dépassement du temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, une contrepartie est prévue, sous forme de repos ou sous forme financière.

 

Aux termes de cet articles, la Cour de cassation considérait donc que les temps de trajet n’étaient pas du temps de travail effectif et de ce fait ne faisaient pas l’objet d’une rémunération. La Cour de cassation jugeait que le temps de déplacement relevait uniquement de l’article L. 3121-4 du Code du travail. De ce fait, le temps de déplacement dépassant le temps normal de trajet pouvait ainsi uniquement faire l’objet d’une contrepartie, soit sous forme de repos, soit sous forme financière mais en aucun cas être rémunéré comme du salaire et ainsi générer le paiement d’heures supplémentaires.

(Cass, Soc, 30 mai 2018, n°16-20.634)

 

La jurisprudence européenne, en s’appuyant sur la directive 2003/88/CE, considère que dans des circonstances dans lesquelles les travailleurs n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, le temps de déplacement que ces travailleurs consacrent au déplacement quotidien entre leur domicile et les sites du premier et du dernier client désigné par leur employeur constituent du temps de travail.  (CJUE, 3ème ch., 10 septembre 2015, C-266/14)

 

La Chambre sociale de la Cour de cassation a finalement décidé, dans une décision du 23 novembre 2022 (n°20-21.924), d’interpréter les articles L. 3121-1 et L. 3121-4 du Code du travail à la lumière de la directive 2003/88/CE.

 

La Chambre sociale considère alors que si pendant les temps de déplacement accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premiers et derniers clients le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles, ce temps de travail est du temps de travail effectif.

 

 

Le salarié en l’espèce était commercial et n’avait pas de lieu de travail habituel. Il intervenait avec un véhicule de fonction et au cours de ses trajets il exerçait ses fonctions habituelles à l’aide d’un téléphone professionnel en kit main libre. A ce titre, ce temps sera pris en compte dans le paiement du salaire puisque la Cour de cassation considère que le salarié devait se tenir à la disposition de l’employeur et se confirmer à ses directives.

 

Dans le même sens, la Cour de cassation a rendu une autre décision le 1er mars 2023 (n°21-12.068), aux termes de laquelle elle affirme sa position et considère que si les trajets accomplis par le salarié itinérant entre son domicile et le lieu du premier ou du dernier client remplissent les conditions prévues par l’article L. 1321-1 du Code du travail, alors l’article L. 1321-4 du même Code ne s’applique pas et le salarié peut obtenir le paiement de ces trajets.

 

En l’espèce, le salarié utilisait un véhicule de fonction, son planning était prévisionnel et il transportait des pièces détachées à amener chez des clients.

Ces éléments ont suffi à ce que la Chambre Sociale juge ces trajets comme du temps de travail effectif.

 

Cependant, la Cour de cassation est revenue sur sa position dans une décision du 25 octobre 2023 (n°20-22.800). Elle a considéré que les éléments apportés par le salarié ne suffisaient pas à établir qu’il se tenait à la disposition de l’employeur durant ses premiers et derniers trajets de la journée et qu’il n’était donc pas possible de les qualifier de temps de travail effectif.

 

 

La Chambre Sociale s’appuie sur plusieurs arguments pour justifier sa décision :

 

  • un interrupteur « vie privée » dans le véhicule permettant au salarié de désactiver la géolocalisation,

 

  • le salarié pouvait vaquer librement à ses occupations personnelles avant le premier rendez-vous et après le dernier,

 

  • le salarié avait l’initiative de son circuit quotidien,

 

  • les contrôles de l’employeur n’étaient que rétrospectifs et se justifiaient dès lors que l’employeur avait mis en place un dispositif d’indemnisation des trajet anormaux ouvrant droit à indemnisation au-delà de 45 minutes,

 

  • les « soirées étapes » pouvaient être choisies par le salarié et ne pouvaient être imposées par l’employeur que pour éviter des trop longs trajets et non pour maintenir le salarié à sa disposition.

 

Depuis cette décision, la Cour de cassation invite les juges du fond à apprécier au cas par cas les conditions dans lesquelles un salarié itinérant effectue ses temps de trajet domicile-premier client ou dernier client-domicile.

 

Pour rappel, ces temps de trajet dès lors qu’ils sont qualifiés de temps de travail effectif sont valorisés en heures supplémentaires avec les majorations applicables de 25 % et 50 % selon le seuil des heures prévues au contrat.