Résiliation judiciaire du contrat de travail : le juge doit examiner l’ensemble des griefs invoqués par le salarié, quelle que soit leur ancienneté.

La Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 30 juin 201 que lorsqu’il est saisi d’une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail, le juge ne peut refuser d’examiner certains griefs invoqués par le salarié au soutien de sa demande, ni omettre d’en examiner d’autres.

 

Il doit au contraire examiner l’ensemble des faits invoqués, peu important leur ancienneté.  

 

Pour rappel, s’il estime que son employeur manque à ses obligations, un salarié peut saisir le Conseil de prud’hommes d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail.

 

Contrairement à la prise d’acte, qui entraîne la cessation immédiate du contrat de travail, la demande en résiliation judiciaire n’entraîne pas directement la rupture des relations contractuelles, lesquelles se poursuivent jusqu’à ce que le juge statue. (Cass. soc., 20 janvier 2010, n° 08-43.471, FS-P+B)

 

En ce sens, c’est au juge saisi qu’il appartient de prononcer – ou non – la rupture du contrat de travail.  Pour cela, le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation et doit constater à ce titre si les manquements invoqués sont :

 

 

  • Suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat

 

  • Et qu’ils n’ont pas cessé au jour où le juge statue. Ainsi, un employeur a tout intérêt à régulariser la situation avant ledit jour. (Cass. soc., 21 juin 2017, n° 15-24.272, F-D Cass. soc., 28 novembre 2018, n° 17-22.724, F-D).

 

A la suite cette étude, la résiliation pourra, si elle est justifiée, produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou même d’un licenciement nul, par exemple en cas de harcèlement.

 

(Cass. soc., 20 janvier 1998, n° 95-43.350 ; Cass. soc., 28 mars 2018, n° 16-20.020, F)

 

En revanche, si les manquements de l’employeur ne sont pas établis ou insuffisamment graves, les juges déboutent le salarié de sa demande et les relations contractuelles se poursuivront ainsi.

 

( Cass. soc., 4 septembre 2019, n° 18-19.739, F-D ; Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 06-42.551, FS-P+B )

 

La Chambre sociale de la Cour de cassation était appelée à statuer, dans cet arrêt du 30 juin 2021 commenté, sur la question de la prescription des griefs invoqués par le salarié qui saisit tardivement le Conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire.

 

En l’espèce, salariée, placée en arrêt maladie en juillet 2012, avait saisi le Conseil de prud’hommes, en juillet 2015, d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, soit 3 ans après son placement en arrêt de travail, étant précisé que son arrêt maladie était ininterrompu depuis lors.

 

Elle invoquait à ce titre un manquement de son employeur à son obligation de sécurité, qui avait selon elle conduit à son arrêt de travail pour maladie. Elle se prévalait en outre de faits intervenus postérieurement à son arrêt de travail et à la saisine du Conseil de prud’hommes.

 

La Cour d’appel déboute la salariée, estimant que ses demandes sont prescrites, au regard de l’article L. 1471-1 du Code du travail qui indique que « toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ».

 

A ce titre, ils estiment qu’à la date de son arrêt en 2012 elle avait dès cette date eu connaissance des faits lui permettant d’exercer son droit. Qu’ainsi, ayant tardé d’introduire sa demande au titre du manquement à l’obligation de sécurité, elle est déclarée prescrite et la Cour d’appel s’abstient d’examiner les autres griefs postérieurs à la saisine du conseil de prud’hommes.

 

La salariée forme un pourvoi en cassation au motif que sa demande de résiliation judiciaire était fondée sur plusieurs éléments, notamment en lien avec la mise en invalidité et la déclaration d’inaptitude, de sorte que la cour d’appel aurait dû examiner l’ensemble des griefs énoncés.

 

Dans son arrêt du 30 juin 2021, la Chambre sociale de la Cour de cassation censure le raisonnement des juges du fond au visa de l’article L. 1231-1 du Code du travail.

 

A ce titre, elle énonce que « le juge, saisi d’une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, doit examiner l’ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté ».

 

La Cour de cassation en conclut que les juges du fond auraient dû examiner l’ensemble des griefs articulés par la salariée au soutien de sa demande de résiliation judiciaire et qu’ils ne pouvaient omettre d’en examiner certains ou refuser d’en examiner d’autres.

 

Par cet arrêt, la Cour continue sa position déjà adoptée depuis quelques années

 

(Cass. soc., 26 septembre 2018, n° 17-17.893, F-D ; Cass. soc., 13 mars 2019 n° 17-27.380, F-D)

 

Cependant c’est la première fois que la question de la prescription était posée dans un tel cas.

 

Ainsi, indépendamment de la question de prescription, des faits trop anciens invoqués par un salarié sont susceptibles d’entraîner le rejet de ses prétentions, dès lors que le juge constate qu’ils n’ont pas fait obstacle à la poursuite du contrat de travail.

 

L’ancienneté des faits constitue ainsi pour le juge un critère d’appréciation de la gravité des manquements de l’employeur invoqués par le salarié au soutien de sa demande.

 

Mais alors, l’action en résiliation judiciaire du contrat de travail est-elle soumise à un délai de prescription dès lors que le juge « doit examiner l’ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté » ?

 

Sans doute l’argument de la prescription aurait eu de meilleures chances d’aboutir si la salariée n’avait invoqué que le manquement au titre de l’obligation de sécurité au-delà d’un délai de prescription de deux ans, sans faire état de griefs plus récents au soutien de sa demande en résiliation judiciaire.

 

 

 

Cass. soc., 30 juin 2021, n° 19-18.533, FS-B

« Vu l’article L. 1231-1 du code du travail :


  1. Selon ce texte, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié, ou d’un commun accord.

    9. Le juge, saisi d’une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, doit examiner l’ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté.

    10. Pour déclarer prescrites les demandes de la salariée autres que celles reposant sur le harcèlement moral avant de la débouter de sa demande à ce titre et de sa demande subséquente au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail l’arrêt retient d’une part, que la demande présentée au titre du manquement à l’obligation de sécurité est relative à l’exécution du contrat de travail et se prescrit donc par deux ans, d’autre part, qu’à partir du moment où la salariée a été arrêtée le 25 juillet 2012, sans qu’elle soit jamais revenue au sein de l’entreprise, elle avait incontestablement connaissance des faits lui permettant d’exercer son droit, puisqu’elle soutient que c’est le manquement à l’obligation de sécurité qu’elle invoque devant le juge qui a conduit à son arrêt de travail pour maladie. || retient par ailleurs, s’agissant du harcèlement moral, que la demande présentée à ce titre est recevable, mais que faute pour la salariée d’établir des faits matériels permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral, elle doit être déboutée de sa demande et de celle subséquente de résiliation judiciaire du contrat de travail.

    11. En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait d’examiner l’ensemble des griefs articulés par la salariée au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, la cour d’appel, qui a refusé d’examiner certains griefs, et a omis d’en examiner d’autres, a violé le texte susvisé. »