Faits relevant de la vie privée du salarié : dans quelles limites l’employeur peut-il les invoquer en justice ?

La Cour de cassation est venue préciser, dans trois arrêts emblématiques de septembre et novembre 2020, les modes de preuve recevables dans les litiges entre salariés et employeurs.

 

On le sait, la preuve est l’élément central d’un procès. Pour rappel et en vertu de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

 

C’est en application de ce texte que le juge se prononce sur la licéité de la preuve qui en droit du travail recouvre deux aspects :

  • le principe de loyauté dans l’administration de la preuve ;
  • le droit au respect de la vie privée.

 

En effet, pour être valable, la preuve se doit d’être recevable.

 

 

  • Dans le premier arrêt en date du 30 septembre 2020, une salariée avait été licenciée pour faute grave pour avoir, notamment, manqué à son obligation contractuelle de confidentialité en publiant le 22 avril 2014 sur son compte Facebook une photographie de la future collection encore confidentielle.

 

Cette communication, à des tiers, d’éléments confidentiels était reprochée par la société.

 

Cependant, la salariée se fondait, pour se défendre, sur le fait que l’employeur ne pouvait communiquer, comme pièces, des captures écrans d’un compte Facebook privé uniquement accessible aux « amis » de la salariée puisque cela constituait une preuve déloyale.

 

Elle invoquait ainsi une atteinte à sa vie privée.

 

La société elle, prétendait avoir été simplement destinataire d’un message d’un des amis de la salariée qui lui faisait part de cette violation de l’obligation de confidentialité.

 

La Cour de cassation va juger que la production en justice de la photographie destinée à ce groupe d’amis, de la liste nominative des « amis », et de leurs activités professionnelles, constituait bien en l’espèce une atteinte à la vie privée de la salariée.

 

Cependant, elle jugea que cette preuve comme n’était pas déloyale (n’étant pas le fruit d’un stratagème) et surtout que la violation à la vie privée était strictement nécessaire à la défense de l’intérêt légitime de l’employeur.

 

Dans cet arrêt la Cour de cassation rappelle « qu’en vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, l’employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve ».

 

Ainsi, l’employeur peut produire en justice des éléments extraits du compte privé Facebook d’un salarié, auquel il n’était pas autorisé à accéder, dès lors que cette production est indispensable à l’exercice de son droit à la preuve et que l’atteinte à la vie privée du salarié est proportionnée au but poursuivi.       

 

 

       

  • La Cour de cassation va cependant préciser, dans un autre arrêt du 12 novembre 2020, que la violation de la vie privée du salariée, si elle n’est pas nécessaire à la défense de l’employeur, cause nécessairement un préjudice au salarié.

 

 

Ainsi :

 

L’employeur peut invoquer, au titre du droit à la preuve, des éléments qui portent atteinte à la vie privée, si cela est nécessaire et proportionné.

 

A défaut du respect de la proportionnalité ; un préjudice automatique est causé et l’employeur se doit de le réparer.

 

 

 

 

  • Enfin, dans un dernier arrêt du 25 novembre 2020, la Cour va venir confirmer que l’illicéité d’un moyen de preuve, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats.

 

Un salarié est licencié pour faute grave au motif qu’il aurait usurpé l’identité de sociétés clientes.

 

L’employeur, lui, justifie la faute du salarié en utilisant les « fichiers de journalisation conservés sur ses serveurs » permettant d’identifier l’adresse IP à partir de laquelle l’usurpation a eu lieu. Cependant, l’employeur n’avait pas déclarer à la CNIL le fait qu’il collectait des données permettant d’identifier ses salariés. Or, cette étape était nécessaire pour que la preuve ne puisse pas être déclarée irrecevable car illicite.

 

La Cour de cassation va estimer que ce traitement des données devait faire l’objet d’une déclaration à la CNIL et que le mode de preuve était ici illégal. Cependant, elle va aussi affirmer que l’illicéité d’un moyen de preuve au regard, notamment au regard de la loi informatique et liberté, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats.

 

Il revient au juge de réaliser un contrôle de proportionnalité entre les droits de la défense et le droit au respect de la vie privé.

 

Arrêt n°1119 du 25 novembre 2020 (17-19.523) – Cour de cassation – Chambre sociale -ECLI:FR:CCAS:2020:SO01119

« Les adresses IP, qui permettent d’identifier indirectement une personne physique, sont des données à caractère personnel, de sorte que leur collecte par l’exploitation du fichier de journalisation constitue un traitement de données à caractère personnel et doit faire l’objet d’une déclaration préalable auprès de la CNIL.

En application des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’illicéité d’un moyen de preuve, (…) n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi »

 

Arrêt n° 779 du 30 septembre 2020 (19-12.058) – Cour de cassation – Chambre sociale
– ECLI:FR:CCAS:2020:SO00779

 

« Il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production en justice d’éléments extraits du compte privé Facebook d’un salarié portant atteinte à sa vie privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. »