Heures supplémentaires des cadres : Pas de validité des conventions de forfait jours sans réel contrôle de la charge de travail par l’employeur

 

Depuis la loi Travail du 8 août 2016, La possibilité de recourir aux forfaits annuels en jour doit être prévue par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement (à défaut, une convention ou un accord de branche) (c. trav. art. L. 3121-63).

 

La loi El Khomri du 8 août 2016 (dite aussi loi Travail) a réformé les règles régissant les forfaits jours, en renforçant le contenu des accords collectifs et en prévoyant, en l’absence de certains clauses, des règles supplétives permettant à l’employeur de conclure valablement des conventions individuelles de forfait. La législation nouvelle fixe ainsi des règles visant, notamment à assurer le suivi de la charge du travail.

 

En pratique, cette réforme visait à adapter la législation pour intégrer les contraintes imposées par la jurisprudence dans le code du travail, et permettre aux entreprises de pallier elles-mêmes à certaines des insuffisances d’accords collectifs incomplets.

 

Complétant le code du travail (moins précis avant la loi El Khomri), la Cour de cassation avait  avant cela exigé des accords qu’ils contiennent des clauses organisant le suivi de la charge de travail ainsi que des échanges périodiques entre l’employeur et le salarié, ce afin d’offrir des garanties en matière de santé et de sécurité et de suivi de la charge de travail.

 

Il était ainsi exigé que l’accord collectif prévoyant le recours aux forfaits annuels en jours garantisse le respect des durées maximales de travail et des repos journaliers et hebdomadaires (cass. soc. 29 juin 2011, n° 09-71107, BC V n° 181). En pratique, il s’agissait de faire en sorte que l’amplitude et la charge de travail des salariés en forfait jours restent raisonnables (cass. soc. 24 avril 2013, n° 11-28398, BC V n° 117), que des garanties suffisantes en matière de contrôle de la charge de travail existent (cass. soc. 29 juin 2011, n° 09-71107, BC V n° 181 ; cass. soc. 5 octobre 2017, n° 16-23106, BC V n° 173) et que la santé et la sécurité des salariés se trouvent garanties (cass. soc. 17 décembre 2014, n° 13-23230, BC V n° 307).

 

La loi Travail a  tenu  compte de cette jurisprudence, le contenu légal de ces accords a été complété par la loi du 8 août 2016.

 

En l’espèce, dans le litige soumis à la cour de cassation, la convention collective prévoyait que, pour les directeurs, l’organisation du travail pouvait retenir le forfait en jours dans la limite de 207 jours par an. L’avenant du 21 octobre 2004, sur l’aménagement du temps de travail des cadres, spécifiait que :

 

-l’année de la conclusion de la convention de forfait, la hiérarchie devait examiner avec le cadre sa charge de travail et les éventuelles modifications à y apporter, cet entretien faisant l’objet d’un compte rendu visé par le cadre et le supérieur hiérarchique ;

 

-les années suivantes, l’amplitude de la journée d’activité et la charge de travail du cadre étaient examinées lors de l’entretien professionnel annuel ;

 

-les jours travaillés et les jours de repos devaient faire l’objet d’un décompte mensuel établi par le cadre et visé par son supérieur hiérarchique (décompte conservé 5 ans par l’employeur).

 

Pour la Cour de cassation, ces dispositions ne prévoyaient pas de suivi effectif et régulier par la hiérarchie des états récapitulatifs de temps travaillé transmis alors que ce suivi aurait permis à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail incompatible avec une durée raisonnable.

 

Par conséquent, les mesures fixées par la CCN et son avenant n’étaient de nature ni à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables ni à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail du cadre en forfait annuel en jours.

 

En conséquence, la convention de forfait annuel en jours était jugée nulle.

la Cour de cassation rappelle  ainsi sa jurisprudence constante  (Cass. soc., 9 janv. 2018, n° 16-15.124) sur le suivi de la charge de travail en des termes clairs : « Mais attendu qu’ayant constaté que l’employeur n’avait assuré aucun suivi de la charge de travail du salarié, faisant ainsi ressortir qu’il n’avait pas respecté les dispositions de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ».

 

Ainsi pour être valable, l’’accord collectif doit en principe déterminer les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié, il communique régulièrement avec le salarié sur cette charge, l’articulation vie professionnelle/vie personnelle, la rémunération et l’organisation du travail dans l’entreprise, et le droit du salarié à la déconnexion.

 

À défaut, une convention de forfait en jours peut quand même être valablement conclue mais l’employeur est alors tenu d’établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées ainsi que la qualification des jours de repos en repos hebdomadaire, congés payés, congés conventionnels ou jours de repos au titre de la réduction du temps de travail.

 

De surcroît, il doit organiser au moins un entretien annuel du salarié avec le supérieur hiérarchique au cours duquel doivent être évoquées notamment l’organisation et la charge de travail de l’intéressé ainsi que l’amplitude de ses journées d’activité.

 

Enfin, il doit s’assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires.

 

Du fait de l’importance de ces exigences, il est rare de voir des conventions de forfait régulièrement mises en place dans les entreprises pour les salariés assujetties au forfait.