Liberté d’expression du salarié dans son entreprise : quelles limites ?

 

Lors de deux arrêts en date du 24 novembre 2021 la Cour de cassation est venue rappeler que, sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de l’entreprise de sa liberté d’expression qui ne peut être limitée que pour des raisons tenant à la nature de la tâche à accomplir, une telle restriction devant en outre être proportionnée au but recherché.

 

La Haute juridiction vient aussi préciser les procédures de licenciement et juge à ce titre que la qualification que retient l’employeur lors de la convocation du salarié à un entretien préalable ne le prive pas de la faculté de retenir ensuite une insuffisance professionnelle.

 

Pour rappel, tout salarié jouit de la liberté d’expression au sein de son entreprise et cela notamment en vertu de l’ article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et par le Code du Travail en son article L1121-1  qui dispose que :

 

« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

 

Ainsi, selon une jurisprudence constante, le salarié est libre de ses propos dans l’entreprise tant que ces derniers ne sont pas abusifs c’est à dire injurieux, diffamatoires ou excessifs;

 

La Cour de Cassation juge à ce titre que « sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché peuvent être apportées »

 

(Cass. Soc. 28 avril 2011 n°10-30.107 ; Cass. Soc. 27 mars 2013 n°11-19.734.)

 

 

En application de ce principe, la Cour a eu l’occasion de juger que des salariés ne peuvent être sanctionnés pour des propos relevant de la critique mesurée et objective de leurs conditions de travail ou de l’organisation de l’entreprise.

 

Pour apprécier la validité d’une sanction prononcée par l’employeur, les tribunaux prennent en compte le contexte dans lequel interviennent les propos du salarié et notamment son poste et son ancienneté , le vocabulaire employé ainsi que la publicité ou au contraire la confidentialité des paroles tenues.

 

Ainsi, il a été jugé non abusif pour le salarié le droit d’émettre des critiques adressées à leur supérieur en des termes vifs mais dont la fausseté n’était pas établie (Cass. Soc. 9 novembre 2009 n°08-41.927.) ou encore des courriels dénonçant vivement ses conditions de travail (Cass. Soc. 24 septembre 2013 n°12-14.131.)

 

C’est dans ce contexte que sont intervenus les arrêts du 24 novembre 2021,

 

Ainsi, dans le premier arrêt la Cour de cassation cassera l’ arrêt d’appel qui avait retenu une faute grave à la charge d’une salariée ayant eu des relations conflictuelles avec son employeur et échangé avec celui-ci des correspondances véhémentes à propos de sa rémunération, alors qu’elle se bornait à critiquer les modalités de rémunération et ses conditions de travail, en dénonçant à ce titre un harcèlement, sans exprimer de propos excessif, injurieux ou diffamatoire, ni abuser de son droit.

 

Dans le second arrêt, est également cassée une décision qui avait refusé d’annuler un avertissement, au motif que les courriels adressés à l’encadrement et à la direction de l’entreprise employaient un ton ironique, en dénonçant l’incohérence de la politique de l’entreprise en matière de véhicules de fonction, ce qui ne suffisait pas à caractériser l’emploi de termes injurieux, diffamatoires ou excessif.

 

Cet arrêt jugera par ailleurs que la qualification que retient l’employeur lors de la convocation du salarié à un entretien préalable (qualification disciplinaire ici, accompagnée d’une mise à pied conservatoire) ne le prive pas de la faculté de retenir ensuite une insuffisance professionnelle.

 

 

Arrêts du 24 novembre 2021 (n° 19- 20.400 F-D et n° 20-18.143 F-D):

 

« 12. L’arrêt en déduit qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que la salariée a ainsi tenu des propos excessifs dans les correspondances qu’elle a adressées à son employeur entre le 4 novembre 2011 et le 4 janvier 2013 et qu’elle a en ces occasions abusé de la liberté d’expression dont elle jouit au sein de l’association et en dehors de celle-ci. 

 

13. En statuant ainsi, alors que les correspondances de la salariée, qui se bornaient à critiquer les modalités de rémunération de ses heures de travail, ses conditions de travail et à dénoncer un harcèlement à son égard sans contenir de propos excessifs, injurieux et diffamatoires, ne caractérisaient pas un abus par la salariée de sa liberté d’expression, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »