Ayant refusé un poste de reclassement, mon employeur peut-il me licencier ?

Dans un arrêt du 30 novembre 2010, la cour de cassation juge que le refus d’un poste de reclassement par le salarié n’exonère pas à lui seul l’employeur de son obligation de reclassement du salarié victime d’un AT ; l’employeur doit établir qu’il ne dispose pas d’autre poste de reclassement à proposer et justifier par écrit des motifs qui s’opposent au reclassement avant de licencier le salarié.

Lorsque l’employeur licencie un salarié pour inaptitude d’origine professionnelle, il doit préalablement tenter de le reclasser et s’il ne satisfait pas à cette obligation il s’expose aux sanctions prévues à l’article L. 1226-15 du code du travail.

S’il ne parvient pas à reclasser le salarié en raison du refus de ce dernier de postes n’impliquant pas une modification du contrat, le refus du salarié est abusif au sens de l’article L. 1226-14 et le salarié perd les indemnités de rupture prévues par ce texte même s’il conserve le droit à l’indemnité légale de licenciement.

En l’espèce, le salarié maçon, de retour d’un arrêt pour accident de travail, est une première fois reclassé en tant que manutentionnaire mais il est victime d’une rechute et placé de nouveau en arrêt de travail. A son retour, après deux visites médicales, le salarié est déclaré « inapte au poste de maçon ainsi que manutentionnaire, mais apte à un temps partiel 3 heures par jour maximum, sans contrainte physique, en poste semi assis, semis debout ».

L’employeur propose un poste « d’agent de dépôt » sur la base de 3 heures par jour, que le salarié refuse en raison de la modification substantielle de son contrat de travail, passant d’un temps complet à un temps partiel. L’employeur le licencie pour refus du poste de reclassement.

Mais les juges ont constaté que l’employeur n’établissait pas qu’il n’avait pas d’autre poste de reclassement compatible avec la santé du salarié à proposer. De plus, le poste à temps partiel proposé par l’employeur emportant modification du contrat de travail du salarié qui disposait d’un poste à temps plein précédemment, le refus du poste ne pouvait être considéré comme abusif. Le licenciement était donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il résultait d’une jurisprudence constante qu’il convient alors de combiner les règles applicables au licenciement du salarié inapte avec celles régissant la modification du contrat de travail si bien que le licenciement du salarié ne peut reposer exclusivement sur son refus du poste de reclassement (Soc. 27 mai 1998, RJS 1998. 535, no 826 ; 9 avr. 2002, Bull. civ. V, no 122), mais doit être motivé par l’inaptitude et l’impossibilité du reclassement.

Cette jurisprudence apparaît très sévère à l’égard de l’employeur car elle exige de lui qu’il établisse qu’il ne disposait d’aucun autre poste compatible avec l’inaptitude du salarié alors qmême que disposant d’un tel poste il se heurterait au refus du salarié !

Elle reste toutefois cohérente avec jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l’avis d’inaptitude à tout emploi dans l’entreprise délivré par le médecin du travail ne dispense pas l’employeur, quelle que soit la position prise alors par le salarié, de rechercher les possibilités de reclassement (Soc. 10 mars 2004).

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Soc. 30 nov. 2010, FS-P+B, n° 09-66.687

« LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la société Jocaveil et fils, société par actions simplifiée, dont le siège est route Nationale 116, Ancienne Fonderie, 66500 Ria Sirach,

contre l’arrêt rendu le 25 mars 2009 par la cour d’appel de Montpellier (chambre sociale), dans le litige l’opposant à M. Michel M…, domicilié …,

défendeur à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l’audience publique du 20 octobre 2010, où étaient présents : M. Trédez, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Wurtz, conseiller référendaire rapporteur, M. Chollet, conseiller, M. Aldigé, avocat général, Mme Bringard, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Wurtz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Jocaveil et fils, de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de M. M…, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur les premier et second moyens réunis :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 25 mars 2009), que M. M… a été engagé à compter du 1er septembre 1975 par la société Jocaveil et fils en qualité de maçon à temps plein ; que le 23 août 2005, il s’est vu prescrire un arrêt de travail jusqu’à la fin du mois de décembre 2005 pour accident du travail ; qu’après deux examens de reprise par le médecin du travail les 2 et 19 janvier 2006 et une convocation à un entretien préalable à un licenciement, la société Jocaveil et fils a proposé au salarié un reclassement en qualité de manutentionnaire, agent de dépôt ; que M. M… a occupé son nouveau poste trois jours entre le 24 et le 26 février 2006, date à laquelle il a été de nouveau placé en arrêt en raison d’une rechute ; qu’après deux nouveaux examens par la médecin du travail en date des 20 mars et 12 avril 2006, il a été déclaré « inapte au poste de maçon ainsi que manutentionnaire. Apte à un temps partiel 3 heures par jour maximum, sans contrainte physique, en poste semi assis, semi debout » ; que par lettre du 20 avril 2006, la société Jocaveil et fils a proposé à M. M… un poste « d’agent de dépôt » sur la base de 3 heures par jour qu’il a refusé en raison de la modification substantielle de son contrat de travail qui passait d’un temps complet de 39 heures par semaine à un temps partiel de 15 heures par semaine ; que par lettre du 30 juin 2006, la société Jocaveil et fils a notifié au salarié son licenciement au motif qu’il avait refusé le poste proposé au titre du reclassement ; qu’estimant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, il a saisi la juridiction prud’homale ;

Attendu que la société Jocaveil et fils fait grief à l’arrêt de dire que le licenciement de M. M… a été prononcé en méconnaissance des dispositions des articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail, de dire que le refus du poste de reclassement proposé n’est pas abusif et de la condamner à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts et à titre de solde d’indemnité spéciale de licenciement, alors, selon le moyen :

1°/ que la lettre de licenciement indique comme motif : « votre refus de poste faisant suite au reclassement par la médecine du travail, en vous rappelant que nous vous avons proposé un poste d’agent de dépôt à temps partiel (15 heures par semaine) sans contrainte physique et approuvé par le docteur D… en date du 5 mai 2006 » ; qu’il était ainsi clairement énoncé que l’employeur avait recherché et trouvé un poste compatible avec l’aptitude du salarié ; que l’arrêt attaqué qui se fonde sur ce que la lettre de licenciement n’énoncerait pas que l’employeur avait recherché un poste de reclassement dénature ladite lettre et viole l’article 1134 du code civil ;

2°/ que le juge est tenu de respecter les termes du litige tels qu’ils sont déterminés par les parties ; qu’il ressort tant des énonciations de l’arrêt mentionnant ses prétentions que de ses écritures devant la cour d’appel, que le salarié n’a pas contesté que l’employeur, en proposant un reclassement sur un emploi à temps partiel le 20 avril 2006, conformément à l’avis du médecin du travail, avait satisfait à son obligation de reclassement ; qu’en retenant le contraire, la cour d’appel a méconnu les termes du litige en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

3°/ qu’en vertu de l’article L. 1226-12, alinéa 2, du code du travail, « l’employeur ne peut rompre le contrat de travail (du salarié déclaré inapte à son emploi) que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions » ; que l’employeur est donc autorisé à prononcer le licenciement d’un salarié déclaré inapte à son emploi, en cas de refus par celui-ci de la proposition de reclassement faite loyalement et conformément aux prescriptions du médecin du travail, sans être tenu de procéder à de nouvelles recherches de reclassement ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a ajouté au texte, et l’a violé ;

4°/ que la cour d’appel a constaté que suivant l’avis du médecin du travail, M. M… était « apte à un temps partiel 3 heures par jour maximum, sans contrainte physique, en poste semi assis, semi debout » ; qu’elle relève également que le salarié a refusé le poste de reclassement qui lui était proposé pour l’unique raison qu’il passait d’un temps complet à un temps partiel ; que dès lors en décidant que le refus du salarié d’accepter un poste à temps partiel ne justifiait pas son licenciement, la cour d’appel a violé les articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail, ensemble l’article L. 1226-15 du même code ;

5°/ que l’article L. 1226-12, alinéa 1er, du code du travail fait obligation à l’employeur qui est dans l’impossibilité de proposer au salarié un emploi autre que celui pour lequel il a été déclaré inapte, de faire connaître à celui-ci, par écrit, les motifs qui s’opposent au reclassement ; que cette obligation ne s’impose pas à l’employeur qui a proposé au salarié, qui l’a refusé, un reclassement conforme aux recommandations du médecin du travail ; qu’en statuant dans un sens contraire, la cour d’appel a violé le texte précité ;

6°/ que le refus de l’offre de reclassement est abusif au sens de l’article L. 1226-14 du code du travail, et par conséquent privatif des indemnités spécifiques prévues par ce texte, lorsqu’il est fondé sur une opposition au principe de travail à temps partiel prescrit par l’avis du médecin du travail, contre lequel le salarié n’a pas usé du recours administratif qui lui était ouvert ; qu’un tel refus, dès lors que l’employeur est tenu de respecter le temps partiel prescrit par le médecin du travail, ne laisse pas d’autre alternative que le licenciement qui ne peut, dès lors que le salarié en est à l’origine, ouvrir droit à l’indemnisation spéciale prévue par l’article L. 1226-14 précité ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé ce texte ;

Mais attendu, d’abord, que c’est sans dénaturation que la cour d’appel a relevé que le licenciement du salarié était exclusivement fondé sur le refus qu’il avait opposé au poste de reclassement qui lui avait été proposé ;

Attendu, ensuite, qu’après avoir exactement retenu que le refus par le salarié d’un poste proposé par l’employeur dans le cadre de son obligation de reclassement n’implique pas à lui seul le respect par celui-ci de cette obligation et qu’il lui appartient d’établir qu’il ne dispose d’aucun autre poste compatible avec l’inaptitude du salarié ainsi que de faire connaître par écrit les motifs qui s’opposent au reclassement avant de procéder au licenciement, la cour d’appel, sans méconnaître les termes du litige, a constaté que l’employeur n’établissait pas qu’il ne disposait d’aucun autre poste disponible compatible avec l’état de santé du salarié ;

Attendu, enfin, que le poste de reclassement offert par l’employeur emportant modification du contrat de travail du salarié dès lors qu’il s’agissait d’un emploi à temps partiel alors qu’il avait toujours occupé un emploi à temps plein, la cour d’appel en a exactement déduit que le salarié avait droit, d’une part, à l’indemnité prévue à l’article L. 1226-15 du code du travail et, d’autre part, au versement de l’indemnité spéciale de licenciement, son refus ne pouvant être abusif ;

D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ; »

Me JALAIN

Avocat en droit du Travail

Barreau de Bordeaux