Un cadre dirigeant peut-il solliciter le paiement d’heures supplémentaires ?

Un Cadre dirigeant peut-il solliciter le paiement d’heures supplémentaires ?

 

Le statut de cadre dirigeant constitue une exception notable au droit commun du temps de travail.

 

Reposant sur une logique d’autonomie et de participation active à la direction de l’entreprise, il permet à certains salariés d’échapper à la réglementation en matière de durée du travail.

 

Toutefois, cette souplesse se paye au prix fort : mal attribué, ce statut peut exposer l’employeur à des rappels de salaires importants, notamment au titre des heures supplémentaires.

 

Un statut dérogatoire au droit du travail… mais réservé à une minorité

 

Aux termes de l’article L. 3111-2 du Code du travail, le cadre dirigeant est un salarié auquel sont confiées des responsabilités importantes, impliquant :

 

  • une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps ;
  • un pouvoir de décision largement autonome ;
  • et une rémunération figurant parmi les plus élevées des systèmes de l’entreprise.

 

L’attribution de ce statut a pour conséquence d’exclure le salarié de l’essentiel des dispositions relatives à la durée du travail : plafonds horaires, repos quotidien ou hebdomadaire, heures supplémentaires, travail de nuit, jours fériés ou dominicaux. Ne subsistent que les droits relevant d’une logique protectrice fondamentale, tels que les congés payés ou le compte épargne-temps.

 

Cependant, la jurisprudence constante de la Cour de cassation précise que ce statut ne peut s’appliquer que si ces trois critères sont cumulativement remplis et si le salarié participe effectivement à la direction de l’entreprise. Cette dernière exigence, bien que présentée comme la conséquence logique des trois critères légaux, constitue un véritable filtre destiné à restreindre le champ des bénéficiaires.

 

 Un critère de direction effectif, non fictif

 

La participation à la direction de l’entreprise ne peut être simplement déclarée. Elle doit se traduire concrètement dans les fonctions exercées. À plusieurs reprises, la Cour de cassation a censuré des décisions ayant admis le statut de cadre dirigeant sans que soit établie cette participation réelle.

 

Dans un arrêt du 14 novembre 2024 (n° 23-20.793), elle a ainsi jugé qu’un directeur de magasin ne peut être considéré comme cadre dirigeant dès lors qu’il ne participait pas à la direction de l’entreprise elle-même, quand bien même il disposait d’une autonomie locale importante.

 

 La haute rémunération n’est pas un critère suffisant

 

La jurisprudence récente rappelle également qu’une rémunération élevée ne suffit pas. Dans une autre affaire du même jour (Cass. soc., 14 nov. 2024, n° 23-16.188), un salarié d’AIRBUS perçoit un salaire parmi les plus élevés et jouit d’une grande autonomie, mais la Cour de cassation constate l’absence de lien direct entre ses fonctions et la direction de l’entreprise. Elle en conclut à tort l’octroi du statut de cadre dirigeant.

 

De même, dans un arrêt du 11 décembre 2024 (n° 23-19.421), une directrice d’association se voit refuser ce statut au motif qu’elle ne disposait pas d’une autonomie suffisante en matière disciplinaire, malgré une autonomie reconnue sur les plans organisationnels et financiers.

 

Ces exemples montrent que la Cour apprécie strictement et de manière concrète l’existence d’un rôle stratégique dans la gouvernance de l’entreprise.

 

Une remise en cause lourde de conséquences pour l’employeur

 

Lorsque le statut est reconnu à tort, le salarié est fondé à solliciter un rappel d’heures supplémentaires sur la base de la durée légale du travail. Les sommes réclamées peuvent alors s’avérer substantielles, notamment du fait du niveau de rémunération concerné et de l’absence d’enregistrement des horaires réels.

 

Il convient de souligner que cette action relève d’une demande en paiement du salaire, soumise à la prescription triennale (Cass. soc., 4 déc. 2024, n° 23-12.436). Un cadre dont le contrat a été rompu pourra donc, dans un délai de trois ans, contester son statut et réclamer les heures supplémentaires dues sur les trois années précédant la rupture.

 

Les vérifications préalables essentielles pour sécuriser ce statut

 

L’attribution du statut de cadre dirigeant suppose de prendre plusieurs précautions :

 

  • Vérifier la convention collective de branche, certaines limitant expressément ce statut à des coefficients ou fonctions précises ;
  • Analyser les clauses du contrat de travail, notamment en matière de durée du travail : la présence d’une convention de forfait, même invalide, exclut en principe la reconnaissance du statut (Cass. soc., 7 sept. 2017, n° 15-24.725 ; Cass. soc., 12 janv. 2022, n° 19-25.080 ; Cass. soc., 11 mai 2023, n° 21-25.522) ;
  • Écarter tout cumul entre un statut de cadre dirigeant et une clause organisant la durée du travail, telle qu’une convention de forfait jours ou heures.

 

Conclusion : une qualification à manier avec précaution

 

Le statut de cadre dirigeant reste un instrument d’exception, destiné à encadrer les fonctions de direction les plus stratégiques dans l’entreprise. Sa mise en œuvre doit être soigneusement vérifiée à l’aune des critères légaux, de la jurisprudence et des clauses contractuelles.

 

L’employeur qui tente de généraliser ce statut à une large frange de ses cadres, pour éviter le paiement d’heures supplémentaires ou contourner les règles sur le forfait jours, prend un risque juridique important. Ce risque est aujourd’hui d’autant plus élevé que la Cour de cassation, par ses dernières décisions, renforce son exigence sur la participation effective à la direction de l’entreprise.

 

Ainsi, un salarié qualifié à tort de cadre dirigeant pourra utilement revendiquer le paiement d’heures supplémentaires, à condition de démontrer que l’un des critères légaux n’est pas rempli – ou, plus encore, qu’il ne participait pas réellement à la direction de l’entreprise.