L’indemnisation de la nullité du licenciement  lorsque le salarié demande sa réintégration

Cadre juridique de l’indemnisation de la nullité du licenciement  en cas de  demande par le salarié de sa réintégration dans l’entreprise.

 

Le salarié sorti, évincé  de  son entreprise en catimini ou par grand fracas,  peut dans certains cas revenir par la grande porte muni de  sa décision prud’homale qui fait obligation à l’employeur de le reintégrer dans l’entreprise.

 

Il est question ici de la possibilité donnée au salarié dans certaines conditions de ne pas seulement solliciter une indemnisation de la perte de son emploi lorsque le licenciement est jugé injustifié   par le juge mais de celle d’obtenir par décision du juge de  réintégrer les effectifs d lorsque ce licenciement est frappé de nullité.

 

L’indemnisation dans ce cas peut atteindre des sommets dans la mesure l’employeur devra reverser à son salarié les salaires bruts dont il a été privé  entre le licenciement jugé nul  et la réintégration effective du salarié dans les effectifs de l’entreprise.

 

La procedure prud’homale qui n’est pas connue pour sa célérité peut ainsi conduire à des indemnisations très importantes.

 

  • Licenciement nul : la salarié peut demander sa réintégration obligatoire sauf impossibilité matérielle

 

La nullité du licenciement est prononcée en cas de violation d’une disposition protectrice du Code du travail (licenciement d’une femme enceinte, d’un accidenté du travail, d’un représentant du personnel) ou d’une liberté fondamentale (non-discrimination, droit de grève, victimes ou témoins de harcèlement moral ou sexuel).

 

Le salarié a droit à sa réintégration dans l’entreprise : dès lors, s’il la demande, l’employeur ne pas la refuser sauf si elle est matériellement impossible, suite à la fermeture de l’entreprise ou cas de mise à la retraite.

 

S’il choisi la réintégration plutôt que l’indemnisation ( minimum 6 mois de salaire) le salarié qui obtient l’annulation de son licenciement et qui est réintégré doit percevoir une indemnité correspondant aux salaires dont il a été privé entre son départ de l’entreprise, et son retour selon notification de la decision de justice.

 

Si l’employeur fait appel du premier jugement prud’homal et voit confirmer le jugement en appel, on peut voir ainsi un salarié de retour e=dans l’entreprise avec le montant des salaries perçus entre son licenciement et donc la fin de la procedure qui peut durer jusqu’à 4 années….

 

Reste à déterminer la nature de cette indemnité, et donc à déterminer si elle est soumise ou non à cotisations sociales et impôts, ainsi que son régime et notamment la possibilité qui serait reconnue à l’employeur d’en déduire les revenus de remplacement perçus par le salarié pour la même période.

 

Traditionnellement, la Cour de cassation considère que l’indemnité d’éviction correspond à une somme égale au montant de la rémunération que le salarié aurait dû percevoir jusqu’à sa réintégration, déduction faite des revenus de remplacement (Soc. 03/07/2003, n°01-44.717).

 

Par exception, lorsque la rupture du contrat de travail intervient en violation d’une liberté fondamentale, le salarié peut obtenir le maintien forfaitaire de la rémunération qu’il aurait dû percevoir durant la période d’éviction, sans déduction des revenus de remplacement (Soc. 02/02/2006, n°03-47.481).

 

Ainsi, la jurisprudence a donc introduit une distinction dans le mode de calcul de l’indemnité d’éviction en fonction des causes de nullité érigées ou non de rang de « liberté fondamentale ».

Le maintien d’une distinction dans le mode de calcul de l’indemnité d’éviction en fonction des causes de nullité parait d’autant moins justifié que l’article L. 1235-3-1 du Code du travail (issu de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017) ne prévoit pas d’indemnisation différenciée selon les cas de nullité du licenciement en l’absence de réintégration.

 

  • L’évolution de la jurisprudence sur la déductibilité des revenus de remplacement

 

Pour la première fois,  dans un arret de 2006, (Soc. 2 février 2006, n° 03-47.481) la  Cour de cassation admet qu’en cas de licenciement nul pour atteinte à une liberté fondamentale (ici, liberté syndicale), l’indemnité d’éviction se calcule forfaitairement, sans déduction des revenus de remplacement.

 

L’objectif est doublement protecteur : sanctionner l’employeur et garantir au salarié une réparation intégrale, sans effet de ruine.

 

Puis par un arrêt de 2024 ( Cass. soc. 10 novembre 2014, n° 13-16434) une salariée représentant syndical obtient l’annulation de son licenciement pour atteinte à sa liberté syndicale. La Cour rappelle l’exigence de non-déduction des revenus perçus, confortant ainsi la règle de 2006 et affirmant la qualification de liberté fondamentale de la liberté d’expression collective.

 

Dans un litige pour discrimination liée à l’âge, la Cour dans un arrêt de 2017 ( Cass. soc. 10 avril 2017, n° 14-21325) admet la déductibilité des revenus de remplacement.

 

Elle considère que la prohibition de la discrimination d’âge n’est pas une « liberté fondamentale » au sens constitutionnel. Ce revirement crée alors un clivage jurisprudentiel : seules les libertés protégées par le Préambule de la Constitution de 1946 ou la DDHC peuvent exclure la déduction des revenus de remplacement.

 

À la suite de l’ordonnance du 22 septembre 2017 (art. L. 1235-3-1 CT), la Cour de cassation  refuse une fois de plus la déduction pour un licenciement nul, prononcé en violation d’une action en justice du salarié (Cass. soc. 21 novembre 2018, n° 17-11.122).

 

Elle affirme que tout licenciement portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie interdit la déduction des revenus de remplacement.

 

Puis récemment deux arrêts s’intègrent dans cette jurisprudence :

 

Confrontée à une nouvelle demande de réintégration pour nullité du licenciement lié à l’introduction d’une instance prud’homale, Cass. soc. 21 avril 2022, n° 20-14280 la Cour  de cassation réaffirme le principe : l’indemnité doit correspondre aux salaires bruts entiers, sans  etre compensés par les allocations perçues durant la période d’éviction.

 

La décision la plus récente confirme et unifie la jurisprudence : un licenciement annulé pour violation d’une liberté constitutionnelle Cass. soc. 23 octobre 2024, n° 23-16.479 (ici, la liberté d’expression) entraîne une indemnisation forfaitaire, cumulable avec tout revenu de remplacement, sans analyse au cas par cas du montant effectivement perçu par le salarié.

 

La Cour d’appel de Paris a rappelé que « la nullité du licenciement ayant été prononcée pour violation d’un droit ou d’une liberté ayant valeur constitutionnelle, les revenus perçus par la salariée pendant la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration ne peuvent être déduits » ; la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi de l’employeur, a confirmé cette solution.

 

Si le salarié réclame sa réintégration, ce qu’il peut faire même s’il a entretemps occupé un autre emploi ailleurs, il doit alors percevoir le salaire échu depuis le jour de l’expiration de son contrat de travail à la suite de son licenciement jusqu’au jour de sa réintégration à la suite de l’annulation de son licenciement.

 

Ainsi, plus la procédure prud’homale a duré longtemps et plus l’indemnité de réintégration sera conséquente…

 

 

En conclusion, demander la réintégration lorsque la nullité du licenciement si elle est prononcé par le juge peut  présenter  un intérêt financier et stratégique majeur pour le salarié :

 

  • L’indemnité de réintégration couvre l’intégralité des salaires bruts depuis la fin du contrat jusqu’au jour réel de reprise, sans déduction des revenus de remplacement.
  • En cas d’atteinte à une liberté fondamentale, cette indemnisation forfaitaire est cumulable avec tout revenu perçu durant la période d’éviction.
  • Comparée à l’indemnité forfaitaire versée en l’absence de réintégration, l’indemnité liée à la réintégration est généralement bien supérieure.

 

Bien entendu, pas d’enrichissement sans cause :  le salarié    dont le licenciement est annulé et qui obtient sa réintégration, ne peut cumuler l’indemnisation perçue à ce titre et les allocations chômage servies entre le licenciement et la réintégration. Il devra donc logiquement rembourser ses allocations à France Travail. C’est ce que a  rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 19 novembre 2014. Cass.soc, 19.11.14, n°13-23643.