L’employeur pourra-t-il licencier un salarié qui n’est pas en possession du « pass sanitaire » ?

Dans le contexte de crise sanitaire actuel lié à la Covid-19, le Conseil d’Etat a validé début juin le passe sanitaire, alors limité aux voyages à l’étranger et aux grands rassemblements, estimant qu’il ne constituait pas une entrave disproportionnée à la vie quotidienne.

 

L’avant-projet de loi prolonge jusqu’au 31 décembre 2021 la période transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire permettant au gouvernement de prendre des mesures dérogatoires par exemple en matière de déplacements ou d’accès à des lieux publics.

 

Plus récemment, une mesure inédite et incertaine était prévue par l’avant-projet de loi sanitaire du gouvernement relatif à « l’adaptation de nos outils de gestion de la crise sanitaire » : la possibilité de licencier un salarié qui ne serait pas en possession du pass sanitaire.

 

Voici les règles qui se dessinent alors que les députés n’ont pas encore adopté la loi définitive.

 

 

  • Le pass sanitaire devient obligatoire pour certains métiers

 

Pour rappel, le passe sanitaire est constitué par :

  • Le résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la Covid-19,
  • Soit d’un justificatif de statut vaccinal concernant la Covid-19,
  • Soit d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la Covid-19

 

Ainsi, ce passe devient  obligatoire dès le 21 juillet pour entrer dans les lieux de loisir comme les cinémas et les théâtres, mais aussi, à partir du mois d’août, dans les cafés, restaurants, centres commerciaux, hôpitaux, maisons de retraite, établissements médico-sociaux, voyages en avions, trains et cars pour les trajets de longue distance, y compris pour le personnel y travaillant.

 

A défaut pour les salariés de ces établissements de pouvoir présenter à leur employeur les documents précités, ils ne pourront plus exercer leur activité.

 

Le fait pour un salarié de ne plus pouvoir exercer pendant une période de plus de deux mois son activité justifierait son licenciement.

 

L’avant-projet de loi prévoit par ailleurs une autorisation d’absence rémunérée pour les salariés désirant se faire vacciner.

Ainsi, est-il précisé que « ces absences n’entraînent aucune diminution de la rémunération et sont assimilées à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits légaux ou conventionnels acquis par le salarié au titre de son ancienneté dans l’entreprise« .

 

 

Pour d’autres métiers, la vaccination est obligatoire.

 

 

 

  • Une obligation de vaccination pour d’autres métiers

 

Selon le projet de loi, la vaccination serait obligatoire pour les métiers suivants :

  • les établissements de santé mentionnés à l’article L.6111-1 de la santé publique ;

 

  • les centres de santé mentionnés à l’article L. 6323-1 du même code ;

 

  • les maisons de santé mentionnées à l’article L. 6323-3 du même code ;

 

  • les centres et équipes mobiles de soins mentionnés à l’article L. 6325-1 du même code ainsi que les centres médicaux et équipes de soins mobiles du service de santé des armées mentionnés à l’article L. 6326-1 du même code ;

 

  • les services de santé mentionnés aux articles L. 541-1 et L. 831-1 du code de l’éducation ;

 

  • les services de santé au travail mentionnés à l’article L. 4622-1 du code du travail ;

 

  • les établissements et services médico-sociaux mentionnés aux 2°, 3°, 5°, 6°, 7°, 9° et 12° de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles ;

 

  • les établissements mentionnés à l’article L. 633-1 du code de la construction et de l’habitation, qui ne relèvent pas des établissements sociaux et médico-sociaux du 6° et 7° du I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles, dès lors qu’ils accueillent des personnes âgées ou handicapées ;

 

2) Les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du code de la santé publique et les professionnels à usage de titre lorsqu’ils ne relèvent pas du 1°, ainsi que les élèves, étudiants et les autres personnes exerçant avec eux.

 

3) Les professionnels employés par un particulier employeur effectuant des interventions au domicile des personnes attributaires de l’APA et de la prestation de compensation.

 

4) Les sapeurs-pompiers et les marins-pompiers des services d’incendie et de secours, les pilotes et personnels navigants de la sécurité civile assurant la prise en charge de victimes, les militaires des unités investies à titre permanent de missions de sécurité civile mentionnés au premier alinéa de l’article L. 721-2 du code de la sécurité intérieure ainsi que les membres des associations agréées de sécurité civile au titre de l’article L. 725-3 du même code.

 

5) Les personnes exerçant l’activité de transport sanitaire, ainsi que celles assurant les transports pris en charge sur prescription médicale.

 

Pour ces métiers listés, la vaccination deviendrait obligatoire.

 

A défaut, une période de mise à pied de deux mois puis un licenciement pourraient avoir lieu en cas de maintien du refus du collaborateur de présenter ce passe.

 

Ainsi, faute d’avoir présenté ce justificatif à leur employeur, à leur organisme d’assurance maladie de rattachement ou à l’agence régionale de santé compétente ou, pour la durée de validité de celui-ci, d’un certificat de rétablissement après une contamination par la Covid 19, les professionnels concernés ne pourraient plus exercer leur activité à compter du lendemain de la publication de la loi.

 

Jusqu’au 15 septembre 2021, ils pourront toutefois continuer à exercer leur activité s’ils présentent le résultat de l’examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la Covid-19.

 

A compter du 15 septembre 2021, ils ne pourront plus exercer leur activité à moins de présenter le justificatif de l’administration des doses de vaccins requises.

 

L’avant-projet de loi semble donc créer un nouveau cas de licenciement « sui generis »  dont la cause réelle et sérieuse est préconstituée par l’absence de pass sanitaire.

 

A l’issue de sa rencontre avec les partenaires sociaux, le ministère annonçait l’introduction d’une « procédure incitative plus souple » donnant lieu à « un entretien préalable entre le salarié et l’employeur dans le but d’échanger sur les moyens de régulariser la situation, mais aussi de privilégier la pédagogie avant d’arriver à la suspension du contrat ».

 

En effet, ces obligations sanitaires seront, en tout état de cause, compliquées à mettre en œuvre car le secret médical interdit à l’employeur de vérifier l’état de santé du salarié et donc de savoir s’il est vacciné ou s’il est négatif.

 

Par ailleurs, cette obligation de vaccination semble aller à l’encontre des libertés de choix et de conscience dont dispose chaque individu et de son droit au respect de sa vie privée.

 

Ce projet de loi pose encore de nombreuses interrogations restées sans réponse.

 

Cet avant-projet de loi sur l’extension du passe sanitaire et l’obligation vaccinale, a été transmis mardi 13 juillet soir au Conseil d’Etat et doit être examiné à partir du 21 juillet par les députés et les sénateurs.

 

Nul doute que le projet de loi sera amendé pour corriger les imperfections de cette loi qui pourrait avoir de graves conséquences pour les salariés qui souhaiteront faire le choix de ne pas se faire vacciner.

 

En ce sens, La Défenseure des droits, a rendu public un avis au Parlement ce mardi 20 juillet.

 

 

 

L’AVIS DE LA DEFENSEURE DES DROITS

 

Tout en reconnaissant l’importance de la vaccination dans la lutte contre la pandémie, la Défenseure des droits s’interroge tant sur la méthode que sur la proportionnalité de la plupart des dispositions et restrictions présentes dans le texte.

 

A ce titre, elle appelle de ses vœux l’organisation d’un débat démocratique public de fond pour venir éclaircir les « nombreuses zones d’ombre » sujettes à diverses interprétations de nature à restreindre les droits et libertés et à remettre en cause des principes de liberté de circulation et d’anonymat pourtant longtemps considérés comme constitutifs du pacte républicain.

 

La défenseure des droits alarme sur les restrictions d’accès aux transports publics et aux biens et services de nature à porter atteinte à la liberté d’aller et venir et à entraver la vie quotidienne de nombreuses personnes. Le caractère discriminatoire et non proportionné de ces mesures ne peut être écarté par rapport à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent.

 

Qu’à ce titre, l’article 1e de la loi du 27 mai 2008 rappelle qu’aucun salarié ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire. Que le projet de loi a pour conséquence d’opérer une distinction entre les travailleurs détenteurs de l’un des trois documents demandés et les autres.

 

Elle rappelle que la carte des plus faibles vaccinations recoupe celle de la pauvreté, de la fracture numérique, de l’accès aux services publics. Qu’ainsi ces mesures risques de ne faire qu’accroitre de nouvelles inégalités.

 

Que par ailleurs, la situation spécifique des mineurs n’est pas prise en compte alors que l’accès aux loisirs et à la culture est un droit proclamé par la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. Le risque est grand d’une stigmatisation de l’élève non vacciné au sein de son établissement scolaire ou internat scolaire

 

Par ailleurs, la défenseur alerte par son avis sur le risque de glissement vers des pratiques de surveillance sociale générale, auquel pourrait contribuer ce projet de loi.

 

Pour finir, elle s’interroge sur le caractère proportionné de l’obligation de vaccination dans certains professions au regard du principe de non-discrimination en matière d’emploi.