Le rôle du juge judiciaire dans la reconnaissance du burn-out en maladie professionnelle
Le rôle du juge judiciaire dans la reconnaissance du burn-out en maladie professionnelle
Souvent désigné sous le terme anglo-saxon de burn-out, le syndrome d’épuisement professionnel correspond à un ensemble de troubles psychiques directement liés au travail. On parle parfois également de dépression réactionnelle au travail.
Il s’agit de toute pathologie psychologique présentant un lien direct avec l’activité professionnelle, pouvant se manifester par différents symptômes : tristesse de l’humeur, perte de motivation (aboulie), incapacité à éprouver du plaisir (anhédonie), ralentissement psychomoteur, troubles du sommeil ou de l’appétit, perte de projection dans l’avenir, ou encore distorsions cognitives.
Contrairement aux troubles physiques répertoriés dans des tableaux de maladies professionnelles, le burn-out ne dispose d’aucun tableau de référence dans la nomenclature de la sécurité sociale. Il ne bénéficie à ce titre d’aucune présomption permettant faciliter sa reconnaissance en maladie professionnelle.
Or, la fréquence de ces pathologies est en constante augmentation.
Selon le rapport annuel « Risques professionnels » publié par la CPAM en 2022, sur 3 908 déclarations de pathologies psychiques, 1 814 ont été reconnues comme maladies professionnelles, soit près de la moitié.
Dans un article très récent, nous nous intéressions aux différentes actions en justice ouvertes pour le salarié atteint de burn-out :
https://www.avocat-jalain.fr/burn-out-et-responsabilite-de-lemployeur/
En effet, ces procédures demeurent complexes et nécessitent une stratégie adaptée :
- soit au titre d’une maladie professionnelle,
- soit, dans certains cas, au titre d’un accident du travail
Nous étudierons ici le cas de la maladie professionnelle.
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Un cadre juridique dérogatoire
En l’absence de tableau spécifique, l’article L. 461-1 du Code de la sécurité sociale prévoit une procédure dérogatoire pour la reconnaissance d’une pathologie psychique d’origine professionnelle.
Deux conditions doivent à ce titre être remplies.
1) Sur l’exigence d’un seuil d’incapacité
1° L’incapacité minimale de 25 %
L’assuré doit démontrer que la pathologie entraîne une incapacité permanente partielle (IPP) d’au moins 25 %. Le taux est évalué par le médecin-conseil de la CPAM, soit après examen, soit sur pièces.
Il s’agit d’un taux prévisible, indépendamment du taux définitif fixé à la consolidation (Cass. civ. 2e, 19 janv. 2017, n° 15-26.655).
Ce taux peut être contesté :
- par l’employeur, via une expertise judiciaire (CA Amiens, 20 sept. 2022, RG n° 20/04245) ;
- par le salarié, en cas de taux inférieur à 25 % (CA Bordeaux, 27 juil. 2023, RG n° 20/00430).
2° L’instruction par la CPAM
Si la condition d’incapacité est remplie, la CPAM ouvre une phase d’instruction :
- envoi d’un questionnaire à l’assuré et à l’employeur sur les conditions de travail ;
- enquête complémentaire par un agent assermenté, dans un délai de 120 jours francs.
Le dossier est ensuite transmis au Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), chargé d’émettre un avis sur l’origine professionnelle de la pathologie.
Ce Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) est un organe interne à la sécurité sociale composé d’un médecin-conseil régional, d’un médecin inspecteur du travail et un professeur des universités-praticien hospitalier ou un praticien hospitalier (article D. 461-27 du CSS).
Le CRRMP se prononce sur la base des éléments médicaux et des preuves réunies (témoignages, courriels, rapports RH, etc.), d’où l’importance d’un dossier probant et documenté. Conformément à l’article D. 461-27 du CSS, recourir à un psychiatre ou un médecin spécialiste lorsqu’il l’estime utile.
2) Sur la preuve du lien direct et essentiel entre la maladie et le travail habituel
La preuve du lien direct et essentiel entre la maladie et le travail habituel constitue la seconde condition essentielle à la reconnaissance d’une maladie non désignée dans un tableau. L’article L. 461-1 du CSS impose en effet à la victime, ou à ses ayants droit, de démontrer que la pathologie est « essentiellement et directement causée par le travail habituel ».
La jurisprudence exige que le travail en soit la cause principale, même si d’autres facteurs peuvent avoir contribué à son apparition (Civ. 2e, 7 nov. 2019, n° 18-19.764). Cette exigence rend la preuve particulièrement délicate pour les maladies multifactorielles, en particulier les affections psychiques – dont le burn-out – qui résultent souvent de causes diverses.
En effet, la production de certificats médicaux ou d’une déclaration inaptitude peuvent ne pas suffire à établir un lien direct et essentiel si elle ne permet pas d’identifier la part déterminante du travail. (Cass. 2e civ., 30 nov. 2017, n° 16-25.902).
Le rôle du juge est donc central dans ce contentieux. Il lui appartient de rechercher, concrètement, si le travail constitue la cause essentielle de la maladie, et pas seulement un facteur parmi d’autres (Cass. 2e civ., 12 oct. 2017, n° 16-23.043 ; Cass. 2e civ., 17 mars 2022, n° 18-26.174).
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Le pouvoir du juge judiciaire dans le contrôle des avis des Comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP)
En pratique, les praticiens sont confrontés à des avis qu’il convient de qualifier de « conservateurs » et parfois incompréhensibles dans leur motivation qui sont généralement très succinctes.
Nous ( avocats salariés ) sommes confrontés à de nombreux dossiers dans lesquels ce comité va s’appuyer sur de simples déclarations de l’assuré sur sa vie personnelle pour conclure de façon hâtive à une origine extra-professionnelle de la pathologie du salarié et considérer que la preuve du lien direct entre le burn-out et l’activité professionnelle ne serait pas rapporté.
A ce titre, les décisions de rejet de reconnaissance de la pathologie comme origine professionnelle sont vécues comme le souhait de limiter drastiquement le nombre de cas de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels.
Dans ces conditions, l’accès au juge judiciaire est primordial pour obtenir une révision du dossier qui aboutit parfois à la reconnaissance du burn-out en maladie professionnelle, à rebours des décisions médicales des CRRMP.
Ainsi, toute décision défavorable du CRRMP peut être contestée dans les 2 mois devant la Commission de recours amiable (CRA) qui n’est malheureusement qu’une chambre d’enregistrement des refus actés par le premier CRRMP contraignant le justiciable à saisir le juge judiciaire.
Il dispose alors d’un nouveau délai de 2 mois pour déposer une requête devant le Pôle social du Tribunal judiciaire.
Contrairement à la position fréquemment soutenue par la CPAM dans ses écritures, l’avis rendu par le CRRMP n’est pas une sentence définitive.
En effet, il ne lie pas le juge judiciaire.
La jurisprudence constante de la Cour de cassation confirme que le juge du fond dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation des éléments médicaux, factuels et professionnels produits au dossier.
Il lui appartient de vérifier lui-même l’existence d’un lien direct et essentiel entre la maladie déclarée et les conditions de travail du salarié, indépendamment de la position du CRRMP (Cass. 2e civ., 5 avr. 2007, n° 06-12.434 ; Cass. 2e civ., 12 juill. 2012, n° 11-20.575).
Ainsi, même en présence d’un ou de plusieurs avis défavorables du CRRMP, le juge peut retenir le caractère professionnel de la pathologie dès lors que les éléments du dossier démontrent que la maladie trouve directement et essentiellement sa cause dans le travail habituel du salarié (Cass. 2e civ., 12 févr. 2015, n° 14-10.931 ; Cass. 2e civ., 11 févr. 2016, n° 15-10.460).
Ce pouvoir de contrôle découle du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires et de la compétence exclusive confiée au Pôle social du Tribunal judiciaire en matière de contentieux de la sécurité sociale (art. L. 142-1 et s. du Code de la sécurité sociale).
Le juge social conserve ainsi la possibilité d’écarter un avis médical rendu par un CRRMP lorsqu’il constate, à la lumière des preuves produites, que celui-ci repose sur une analyse lacunaire, erronée ou contraire aux éléments objectifs du dossier.
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Sur les décisions récentes rendues en ce sens par le Tribunal judiciaire de Bordeaux
Une illustration récente en a été donnée par le Pôle social du Tribunal judiciaire de Bordeaux dans un jugement du 26 mars 2025 (RG n° 23/00653).
Dans cette affaire, le tribunal a reconnu le caractère professionnel d’une maladie psychique malgré deux avis défavorables successifs de CRRMP.
Le juge bordelais a expressément rappelé que :
« Le travail doit avoir constitué la cause essentielle et déterminante, mais non exclusive, de la maladie. »
Après examen des éléments produits – certificats médicaux circonstanciés, témoignages, relevés de surcharge de travail et échanges hiérarchiques -, le tribunal a estimé que la pathologie du salarié avait été directement et essentiellement causée par les conditions de son travail habituel, justifiant sa prise en charge au titre de la législation professionnelle.
Dans le même esprit, un salarié a obtenu la reconnaissance du caractère professionnel de son burn-out dans un jugement récent du Pôle social du Tribunal judiciaire de Bordeaux en date du 9 juin 2025 (RG n° 23/00506), après deux avis défavorables de CRRMP.
Plusieurs éléments venaient soutenir la demande de reconnaissance de maladie professionnelle du salarié : de nombreux témoignages de collègues, des certificats médicaux établissant le lien entre son épuisement et son activité, des rapports d’évaluation internes, ainsi qu’une enquête de la CPAM confirmant une forte hausse de sa charge de travail.
A l’inverse, le tribunal a constaté que les CRRMP invoquaient des « antécédents extraprofessionnels » pour rejeter le caractère professionnel du burn-out sans en rapporter la preuve.
Le juge bordelais a ainsi rappelé avec force que :
« Le juge judiciaire n’est pas lié par l’avis des CRRMP ».
Devant la concordance des preuves produites par le salarié, il a admis que l’origine professionnelle du burn-out du salarié ne faisait « aucun doute » :
« En outre, il est rappelé que le lien entre la pathologie et le contexte professionnel doit être direct et essentiel mais nullement exclusif (…). Les éléments médicaux, les témoignages produits, ainsi que l’enquête menée par la CPAM de la GIRONDE dans le cadre de l’instruction de la demande de prise en charge, permettent d’établir sans aucun doute l’existence d’un lien direct et essentiel entre la pathologie [du salarié] et son travail.
En conséquence, il convient de faire droit au recours formé par [le salarié] qui doit être admis au bénéfice de la législation sur les maladies professionnelles et de le renvoyer devant les services de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de la GIRONDE pour la liquidation de ses droits».
Cette position rappelle que l’avis des CRRMP n’ont qu’une valeur consultative devant le juge, qui peut le désapprouver, l’écarter ou le contredire s’il estime que les éléments produits démontrent un lien de causalité suffisant entre la maladie et le travail.
Conclusion
Le juge judiciaire n’est pas un simple « enregistreur » des avis médicaux administratifs – il demeure gardien de l’effectivité du droit à réparation des victimes de maladies d’origine professionnelle.
Malgré cette conception protectrice adoptée par une partie du contentieux social, le parcours de reconnaissance d’un burn-out en maladie professionnelle demeure exigeant. L’absence de tableau dédié à cette pathologie et les exigences de preuve imposées au salarié en font souvent une procédure technique et éprouvante, notamment pour des personnes pouvant déjà être fragilisées.
Dans ce contexte, le recours à un avocat expérimenté en Droit du Travail et de la sécurité sociale constitue un appui essentiel pour mener à bien cette démarche et faire valoir pleinement ses droits.
Compte tenu de sa double compétence en Droit du Travail et de la sécurité sociale, le Cabinet de Maitre JALAIN, Avocat à Bordeaux, accompagne également les salariés à chaque étape de la procédure de reconnaissance du caractère professionnelle d’une maladie psychique liée au travail, type burn-out.