Heures supplémentaires et congés payés : revirement de jurisprudence !
Heures supplémentaires et congés payés : la Cour de cassation opère un revirement significatif
Par un arrêt du 10 septembre 2025 (n° 23-14.455), la Cour de cassation juge désormais que les jours de congés payés doivent être pris en compte dans le calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires, dès lors que le salarié est soumis à un décompte hebdomadaire de son temps de travail.
Jusqu’à ce revirement de jurisprudence, la règle était claire : les congés payés ne constituaient pas du temps de travail effectif et ne pouvaient donc pas être intégrés dans le calcul des heures supplémentaires. Cette position, confirmée à plusieurs reprises par la Haute juridiction (notamment Cass. soc., 25 janv. 2017, n° 15-20.692), vient d’être abandonnée au profit d’une interprétation plus protectrice des droits des salariés.
Bref rappel du cadre juridique relatif aux heures supplémentaires
Toute heure de travail effectuée au-delà de la durée légale hebdomadaire de 35 heures, ou de la durée équivalente fixée par accord collectif, est considérée comme une heure supplémentaire.
Les heures supplémentaires ouvrent droit à une majoration salariale ou à un repos compensateur équivalent (art. L. 3121-28 du Code du travail). Elles se décomptent par semaine (art. L. 3121-29 du Code du travail).
En l’absence d’accord collectif ou d’usage d’entreprise, la majoration salariale constitue la règle générale. L’article L. 3121-22 du Code du travail fixe le taux légal de 25 % pour les huit premières heures supplémentaires et de 50 % pour les heures suivantes, ces taux pouvant être modulés par accord collectif.
Dans la pratique, la majoration des heures supplémentaires est fréquemment appliquée, ce qui en fait un enjeu économique important pour de nombreuses entreprises.
Une mise en conformité du droit français avec le droit de l’Union européenne
Ce revirement s’inscrit dans une dynamique européenne.
En effet, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) considère depuis plusieurs années que toute disposition ou pratique nationale susceptible de dissuader les salariés de prendre leurs congés payés est contraire à la finalité du droit au repos garanti par le droit de l’Union (CJUE, 21 juin 2012, aff. C-78/11).
Dans une récente décision du 13 janvier 2022, la CJUE a jugé contraire au droit de l’Union une disposition conventionnelle excluant les périodes de congé annuel payé du calcul du seuil d’heures ouvrant droit à majoration pour heures supplémentaires (CJUE, 13 janv. 2022, aff. C-514/20, RJS 4/22, n° 225).
La Cour de cassation a expressément visé cet arrêt pour justifier l’écartement partiel de l’article L. 3121-28 du Code du travail, dans la mesure où cette disposition subordonnait le déclenchement des heures supplémentaires à l’exécution d’un travail effectif.
En effet, jusqu’ici, le droit français faisait primer la notion de « travail effectif », en écartant certaines périodes, comme les congés payés, du décompte des heures supplémentaires.
Ce système pouvait ainsi avoir un effet dissuasif : un salarié habitué à effectuer des heures supplémentaires risquait de perdre le bénéfice de ses majorations lorsqu’il prenait des congés, faute d’atteindre le seuil hebdomadaire requis.
La Cour de cassation corrige aujourd’hui cette incohérence. Elle affirme que les jours de congé payé doivent être assimilés à du temps de travail pour la seule détermination du seuil déclenchant les majorations d’heures supplémentaires. Autrement dit, le salarié peut prétendre à la rémunération supplémentaire qu’il aurait perçue s’il avait travaillé durant toute la semaine, même s’il a pris un ou quelques jours de congés.
Une cohérence d’ensemble dans l’évolution du droit du travail
Cette décision s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel plus large de la Cour de cassation visant à renforcer la protection des salariés en matière de droits liés à la santé et à la sécurité sous l’impulsion du droit de l’Union européenne.
En effet le même jour, la Chambre sociale rendait un autre arrêt important en matière de congés payés et de maladie : elle reconnaissait le droit au report des congés payés lorsqu’un salarié tombe malade pendant ses vacances, à condition que l’arrêt soit notifié à l’employeur (n° 23-22.732). Il s’agit d’un nouvel exemple de mise en conformité du droit français sur la jurisprudence européenne.
Plus généralement, ces deux décisions poursuivent un objectif commun : assurer l’effectivité du droit au repos et à la santé, en évitant tout effet dissuasif sur la prise d’un congé ou d’un arrêt maladie.
Des conséquences pratiques importantes dans la gestion du temps de travail
Pour les entreprises, cette évolution implique dès maintenant une relecture attentive des pratiques de paie et de gestion du temps de travail.
En effet, en attendant une éventuelle adaptation de l’article L. 3121-28 du Code du travail, cette décision est d’application immédiate.
En pratique, les employeurs devront désormais intégrer les congés payés dans le décompte des heures supplémentaires, au moins lorsque la durée du travail est comptabilisée sur une base hebdomadaire. Ainsi un salarié ayant pris un ou deux jours de congés dans la semaine, mais effectuant habituellement des heures supplémentaires, pourra tout de même prétendre aux majorations correspondantes.
Si la Cour de cassation limite expressément sa solution au décompte hebdomadaire, elle ouvre la porte à de futures extensions. En effet, d’autres modes de calcul du temps de travail (mensuel ou annuel) pourraient être prochainement concernés, selon les prochains contentieux.
Par ailleurs, et compte tenu du silence de la Haute Cour, une application rétroactive de la solution serait envisageable, y compris pour d’anciens salariés. Il faudrait toutefois qu’ils aient bien pris soin d’informer leur employeur de leur arrêt de travail durant leurs congés payés.
Dans tous les cas, les répercussions financières pour les entreprises, notamment celles ayant recours structurellement aux heures supplémentaires, pourraient être significatives.
Cass. soc., 10 sept. 2025, n°23-14.455 FP-BR, Sté Altran technologies c/ V.
Vu l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article L. 3121-28 du code du travail :
- Aux termes du premier de ces textes, tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés.
- Aux termes du second, toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.
- En application de ce texte, la Cour de cassation a jugé que les jours de congés payés ne peuvent être pris en compte, à défaut de dispositions légales ou conventionnelles ou d’un usage contraires, pour la détermination des heures supplémentaires (Soc., 1er décembre 2004, pourvoi n° 02-21.304, Bull. 2004, V, n° 318 ; Soc., 9 février 2011, pourvoi n° 09-42.939, Bull. 2011, V, n° 46 ; Soc., 4 avril 2012, pourvoi n° 10-10.701, Bull. 2012, V, n° 115).
- Toutefois, la Cour de justice de l’Union européenne juge que le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l’Union (CJUE, 6 novembre 2018, Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C-570/16, point 80).
- La directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, traite le droit au congé annuel et celui à l’obtention d’un paiement à ce titre comme constituant deux volets d’un droit unique (CJUE, 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e.a., C-350/06 et C-520/06, point 60 ; CJUE, 15 septembre 2011, Williams e.a., C-155/10, point 26).
- La Cour de justice juge que l’obtention de la rémunération ordinaire durant la période de congé annuel payé vise à permettre au travailleur de prendre effectivement les jours de congé auxquels il a droit (CJUE, 16 mars 2006, Robinson-Steele e.a., C-131/04 et C-257/04, point 49 ; CJUE, 13 décembre 2018, Hein, C-385/17, point 44).
- La Cour de justice précise que les incitations à renoncer au congé de repos ou à faire en sorte que les travailleurs y renoncent sont incompatibles avec les objectifs du droit au congé annuel payé, tenant notamment à la nécessité de garantir au travailleur le bénéfice d’un repos effectif, dans un souci de protection efficace de sa sécurité et de sa santé. Ainsi, toute pratique ou omission d’un employeur ayant un effet potentiellement dissuasif sur la prise du congé annuel par un travailleur est également incompatible avec la finalité du droit au congé annuel payé (CJUE, 6 novembre 2018, Kreuziger, C-619/16, point 49).
- La Cour de justice considère qu’un travailleur pouvait être dissuadé d’exercer son droit au congé annuel compte tenu d’un désavantage financier, même si celui-ci intervient de façon différée, à savoir au cours de la période suivant celle du congé annuel (CJUE, 22 mai 2014, Lock, C-539/12, point 21).
- Dans un arrêt du 13 janvier 2022, la Cour de justice a dit pour droit : l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, lu à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition d’une convention collective en vertu de laquelle, afin de déterminer si le seuil des heures travaillées donnant droit à majoration pour heures supplémentaires est atteint, les heures correspondant à la période de congé annuel payé pris par le travailleur ne sont pas prises en compte en tant qu’heures de travail accomplies (CJUE, 13 janvier 2022, DS c/ Koch Personaldienstleistungen GmbH, C-514/20).
- Par arrêt du 6 novembre 2018 (CJUE, 6 novembre Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C-570/16), la Cour de justice a jugé qu’en cas d’impossibilité d’interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l’article 7 de la directive 2003/88 et l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée. La Cour de Justice précise que cette obligation s’impose à la juridiction nationale en vertu de ces deux dispositions lorsque le litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité d’autorité publique et en vertu de la seconde de ces dispositions lorsque le litige oppose le bénéficiaire à un employeur ayant la qualité de particulier.
- Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée la réglementation nationale.
- Il convient en conséquence d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L. 3121-28 du code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un temps de travail effectif les heures prises en compte pour la détermination du seuil de déclenchement des heures supplémentaires applicable à un salarié, soumis à un décompte hebdomadaire de la durée du travail, lorsque celui-ci, pendant la semaine considérée, a été partiellement en situation de congé payé, et de juger que ce salarié peut prétendre au paiement des majorations pour heures supplémentaires qu’il aurait perçues s’il avait travaillé durant toute la semaine.
- En l’absence de doute raisonnable quant à l’interprétation des dispositions de l’article 7 de la directive 2003/88, il n’y a pas lieu de saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle.
- Pour limiter à certaines sommes les condamnations de l’employeur à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires et congés payés afférents, les arrêts retiennent que le chiffrage proposé à titre subsidiaire par l’employeur correspond, selon le décompte produit, aux sommes revendiquées par les salariés déduction faite des sommes correspondant à l’absence de majoration applicable en cas de semaine incomplète.
- En statuant ainsi, alors que le décompte adopté par elle excluait les périodes de congés payés de l’assiette de calcul hebdomadaire des heures supplémentaires, la cour d’appel a violé les textes susvisés.