Constituent des réserves motivées les réserves formulées par l’employeur sur la matérialité des faits

La Cour de cassation dans un arrêt du 8 juillet 2021 a jugé que sont des réserves celles formulées par l’employeur en temps utile sur les circonstances de temps et de lieu de l’accident ainsi que sur la matérialité même du fait accidentel, de sorte que la caisse primaire d’assurance maladie ne peut pas prendre sa décision sans procéder à une instruction préalable.

 

En l’espèce, une caisse primaire d’assurance maladie a pris en charge, par une décision du 14 décembre 2016, au titre de la législation professionnelle, un accident déclaré, le 30 novembre 2016, avec réserves émises par l’employeur.

 

L’employeur a saisi une juridiction de Sécurité sociale aux fins d’inopposabilité de la décision.

 

Pour débouter l’employeur de son recours, la Cour d’appel retient que le courrier de l’employeur ne formule pas des réserves motivées car il ne porte pas sur les circonstances de lieu et de temps de l’accident, il ne mentionne pas une cause étrangère au travail et l’absence de témoin ne constitue pas un élément suffisant. (CA Colmar, 16 janvier 2020, n° 18/02188)

 

La lettre évoquait l’absence de preuve de l’origine professionnelle de la lésion « sachant que cette dernière ne saurait être causée par le mouvement, tel que décrit par le salarié et qu’aucun témoin n’était présent lors de l’accident (personne avisée après la survenance de l’accident) ».

 

Il importait peu que l’absence alléguée par l’employeur d’une « contrainte physique » nécessaire pour la manipulation ayant provoqué la lésion ce qui n’est pas de nature à exclure la survenance de la lésion dont s’est plaint le salarié et qui a été confirmée par le certificat médical établi le même jour, outre la mention de l’accident au registre de l’infirmerie.

 

L’employeur fait grief à l’arrêt de le débouter de son recours.

 

L’article R. 441-11 du Code de la sécurité sociale qui, dans sa rédaction en vigueur au jour du litige énonçait :

 

« La déclaration d’accident du travail peut être assortie de réserves motivées de la part de l’employeur. […] En cas de réserves motivées de la part de l’employeur ou si elle l’estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l’employeur et à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l’accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés. Une enquête est obligatoire en cas de décès ».

 

Selon l’administration, reprenant une jurisprudence constante, les réserves au sens de cet article ne peuvent porter que sur les circonstances de temps et de lieu de l’accident ou sur l’existence d’une cause totalement étrangère au travail (Circ. DSS/2C/2009/267, 21 août 2009).

 

Pour rappel, les réserves ne peuvent être caractérisées par la seule invocation de l’existence d’un état pathologique existant (Cass. 2e civ., 10 octobre 2013, nº 12-25.782 FS-PB).

 

Il arrive toutefois que des réserves se référant à un contexte médical soient prises en compte par les juges, dans la mesure où elles contribuent à porter des doutes quant à la matérialité de l’accident (Cass. 2e civ., 12 février 2015, nº 13-28.260 F-D ; Cass. 2e civ., 17 décembre 2015, nº 14-28.312 F-PB).

 

Il revient ainsi de contester la matérialité des faits via un ensemble de présomptions sérieuses, graves et concordantes qui permettent de corroborer les déclarations du salarié.

 

 

Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction casse et annule l’arrêt rendu par les juges du fond :

 

« En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que l’employeur avait formulé en temps utile des réserves sur les circonstances de temps et de lieu de l’accident ainsi que sur la matérialité même du fait accidentel, de sorte que la caisse ne pouvait prendre sa décision sans procéder à une instruction préalable, la cour d’appel a violé le texte susvisé »

 

Cass. civ. 2, 8 juillet 2021, n° 20-14.462, F-D

 

« Réponse de la Cour

 

Vu l’article R. 441-11, III, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n°2009-938 du 29 juillet 2009, applicable au litige :

 

Selon ce texte, en cas de réserves motivées de la part de l’employeur ou si elle l’estime nécessaire, la caisse envoie, avant décision à l’employeur et à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l’accident ou de la maladie, ou procède à une enquête auprès des intéressés.

 

Pour rejeter le recours, ayant relevé que l’employeur avait communiqué à la caisse, le 5 décembre 2016, un courrier invoquant l’absence de preuve de l’origine professionnelle de la lésion « sachant que cette dernière ne saurait être causée par le mouvement, tel que décrit par le salarié et qu’aucun témoin n’était présent lors de l’accident (personne avisée après la survenance de l’accident) », l’arrêt retient que ce courrier ne formule pas des réserves motivées car il ne porte pas sur les circonstances de lieu et de temps de l’accident, il ne mentionne pas une cause étrangère au travail et l’absence de témoin ne constitue pas un élément suffisant. Il ajoute que le lieu de l’accident n’a pas été débattu par les parties s’agissant du lieu de travail habituel du salarié et qu’il n’a pas non plus été contesté que la lésion était survenue pendant les heures de travail alors que le salarié manipulait une « protection coulissante », peu important l’absence alléguée par l’employeur d’une « contrainte physique » nécessaire pour cette manipulation, ce qui n’est pas de nature à exclure la survenance de la lésion dont s’est plaint le salarié et qui a été confirmée par le certificat médical établi le même jour, outre la mention de l’accident au registre de l’infirmerie.

 

En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que l’employeur avait formulé en temps utile des réserves sur les circonstances de temps et de lieu de l’accident ainsi que sur la matérialité même du fait accidentel, de sorte que la caisse ne pouvait prendre sa décision sans procéder à une instruction préalable, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »