Comment qualifier et agir face à une situation de harcelement moral ?

Aucun salarié ne doit subir du harcèlement moral dans ses relations professionnelles avec son employeur, un collegue de travail ou toute personne ayant delagation d’autorité de l’employeur.

Mais que faut-il entendre par harcelement moral ?

Il s’agit d’une notion délicate que l’employeur doit maîtriser puisqu’il lui incombe de protéger le salarié contre de tels agissements.

  • Définition du harcèlement moral

Le code du travail interdit les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail d’un salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (c. trav. art. L. 1152-1).

De son côté, le code pénal sanctionne les personnes qui harcèlent autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (c. pén. art. 222-33-2).

  • Qui peut être auteur du harcèlement ?

Des comportements constitutifs de harcèlement peuvent être reprochés à l’employeur ou à toute personne qui se substitue à lui, par exemple un responsable de service. En effet, l’employeur est tenu de répondre des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés.

Il peut aussi s’agir d’une personne ayant sur le salarié une autorité de fait telle que :

– le mari de l’employeur (CA Poitiers, ch. soc. 30 mai 2000, n° 473, rôle n° 9902377) ou son épouse (cass. soc. 27 janvier 2010, n° 08-43985 D) ;

– l’épouse du gérant (cass. soc. 10 mai 2001, n° 99-40059, BC V n° 158) ;

– un tiers chargé par l’employeur de mettre en place de nouveaux outils de gestion et qui devait former la salariée et son équipe et pouvait dès lors exercer une autorité de fait sur eux (cass. soc. 1er mars 2011, n° 09-69616, BC V n° 53) ;

  • Exigence de faits répétés.

Pour que le harcèlement moral se trouve caractérisé, il est nécessaire que des faits fautifs soient répétés dans le temps. Il peut s’agir, par exemple :

– d’une répétition, sur une période de trois mois, de mises en garde et d’avertissements irréguliers ayant entraîné une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à la santé physique ou mentale du salarié (cass. soc. 16 avril 2008, n° 06-41999, BC V n° 86) ;

– de quatre avertissements, dont aucun n’était fondé, notifiés à un salarié qui n’avait précédemment fait l’objet d’aucun reproche et dont il était résulté une dégradation de ses conditions de travail (cass. soc. 22 mars 2007, n° 04-48308 D) ;

– de reproches répétés, en des termes humiliants, à un salarié devant ses collègues (cass. soc. 8 juillet 2009, n° 08-41638 D).

Ainsi un acte isolé, même grave, ne peut pas être considéré comme du harcèlement moral.

  • Distinguer le management du harcèlement

C’est l’employeur qui, dans le cadre de son pouvoir de direction, détermine les modalités de gestion et de management de ses salariés. Pour autant, il doit veiller à ce que celles-ci, qu’elles soient de son fait ou de celui de ses managers, ne basculent pas dans le harcèlement moral.

Pour les juges, il n’y a plus management mais harcèlement moral lorsqu’il s’agit d’agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail des salariés susceptible de porter atteinte à leurs droits et à leur dignité, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel.

C’est, par exemple, le cas lorsque le directeur de l’établissement soumet les salariés à une pression continuelle, des reproches incessants, des ordres et contre-ordres dans l’intention de diviser l’équipe, se traduisant par une mise à l’écart d’un salarié, un mépris affiché à son égard, une absence de dialogue caractérisée par une communication par l’intermédiaire d’un tableau ; ces agissements avaient causé un état dépressif du salarié (cass. soc. 10 novembre 2009, n° 07-45321, BC V n° 247) ;

  • Prévention du harcèlement une obligation de l’employeur

L’employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral, sexuel ou de violences dans l’entreprise. Il est tenu, dans ces domaines, à une obligation de sécurité de résultat (c. trav. art. L. 1153-5 et L. 1152-4 qui se traduit notamment en termes de responsabilité civile si un cas de harcèlement ou de violence se produit

La violence au travail, qu’elle soit interne (à savoir, commise au sein de l’entreprise par des salariés : conflits, brimades, harcèlements, etc.) ou externe (c’est-à-dire, commises sur des salariés par des personnes externes à l’entreprise) relève des risques dits « psychosociaux » (RPS) que l’employeur doit prévenir.

  • Rôle du médecin et de l’inspecteur du travail

Les services de santé au travail ont notamment pour mission de conseiller les employeurs, les salariés et leurs représentants sur les dispositions et mesures nécessaires afin de prévenir le harcèlement sexuel ou moral (c. trav. art. L. 4622-2).

Les inspecteurs du travail ont une mission de sensibilisation des employeurs, des salariés et de leurs représentants.

Au-delà de ce rôle préventif, ils peuvent être saisis par des salariés de faits de harcèlement moral ou sexuel et déclencher une enquête (circ. DGT 2012-14 du 12 novembre 2012, III, 3).

  • Charge de la preuve partagée au profit de la victime.

Si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement, il incombe à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (c. trav. art. L. 1154-1).

Le salarié n’a pas à démontrer les faits de harcèlement mais il doit apporter des éléments concrets faisant supposer de tels agissements, à charge ensuite pour l’employeur d’y répondre.(cass. soc. 10 novembre 2009, n° 08-41497, BC V n° 248).

Tous les moyens de preuve sont en principe admis. Les preuves obtenues de façon déloyale ne sont toutefois pas recevables par le juge (c. proc. civ. art. 9).

Ont été retenus comme moyens de preuve permettant d’établir des faits de harcèlement :

– l’attestation d’un collègue faisant état du harcèlement moral subi, accompagnée de deux certificats médicaux dont l’un est établi par le médecin du travail

– les SMS (ou textos) reçus par une salariée sur son téléphone, reconstitués et retranscrits par huissier constituent un moyen de preuve valable

– un échange de courriels à condition que le salarié en soit bien le destinataire et qu’il puisse prouver leur provenance

– la lettre de licenciement du salarié harceleur envers une salariée subordonnée licenciée pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement

  • Exemples de situation de harcèlement moral reconnus par les juges :
– Conjoint de l’employeur déstabilisant un salarié et déclarant devant des clients qu’il saurait se débarrasser de ce salarié quand il le voudrait ou qu’il provoquerait une faute personnelle de sa part facilitant le licenciement (CA Poitiers, ch. soc., 30 mai 2000, n° 9902377).
Salariée embauchée en qualité de coiffeuse cantonnée da façon répétée à des tâches de nettoyage et de tenue de caisse, l’excluant ainsi des tâches pour lesquelles elle avait été recrutée. Malgré l’attitude désagréable de la salariée avec la clientèle (CA Paris, ch. soc., 18e ch. D, 9 septembre 2003, RG 2002/38210).
-Un cadre subissait les critiques systématiques de son employeur, se voyait confier des tâches avec des délais intenables et avait été isolé pendant 5 semaines, sans justification, après un retour de congé de maladie alors qu’il s’était investi de façon considérable dans l’exercice de ses fonctions (CA Paris, 1re ch. D, 28 octobre 2003, RG 03/34310).
Une salariée avait fait l’objet d’un retrait sans motif de son téléphone portable professionnel, d’une obligation nouvelle, non justifiée, de se présenter tous les matins au bureau de sa supérieure hiérarchique, de l’attribution de tâches sans rapport avec ses fonctions, faits générateurs d’un état dépressif médicalement constaté nécessitant des arrêts de travail (cass. soc. 27 octobre 2004, n° 04-41008, BC V n° 267).
Chauffeur-livreur totalisant 12 ans d’ancienneté et n’ayant jamais fait l’objet de reproches :

– qui avait reçu plusieurs lettres recommandées pour lui indiquer qu’il ne remplissait plus normalement ses attributions ;

– qui avait fait l’objet d’une procédure de licenciement disciplinaire ensuite abandonnée ;

– pour le poste duquel une offre d’emploi avait été publiée.

Ces faits avaient entraîné un état dépressif (cass. soc. 26 janvier 2005, , BC V n° 23).

-Une salariée avait été placée, en hiver lors de sa reprise de travail, dans un local exigu sans chauffage décent et sans outil de travail. L’employeur l’avait isolée des autres salariés leur demandant de ne plus lui parler, avait mis en doute son équilibre psychologique et avait eu un comportement excessivement autoritaire à son égard (cass. soc. 29 juin 2005, D).
Salariée, par ailleurs, titulaire de mandats syndicaux subissant :

– la critique systématique de ses compétences ;

– l’absence d’affectation précise pendant de longues périodes, afin de l’isoler de la communauté de travail.

Ces faits, distincts de ceux retenus au titre de la discrimination avaient entraîné une altération de la santé psychologique de la salariée (cass. soc. 24 janvier 2006, D).

-Chef des ventes subissant des vérifications subites et tatillonnes de ses états de frais et à qui était reprochée la prétendue disparition d’un document d’habilitation ayant conduit à son audition par la gendarmerie puis à son licenciement disciplinaire (cass. soc. 4 avril 2006, D).
-Des salariés avaient fait l’objet d’insultes, de reproches, d’ordres humiliants, de mesures d’organisation entraînant de fréquents dépassements d’horaires. Ces actes répétés avaient causé une dégradation des conditions de travail se traduisant par une altération de la santé mentale des intéressés, attestée par des constatations médicales (cass. crim. 6 septembre 2006, D).
-Une salariée de retour de congé maladie avait été privée de travail plusieurs mois puis dispensée d’activité (cass. soc. 15 octobre 2008).
-Un salarié avait été muté avec un changement de résidence irrégulière et affecté à un poste de chargé de mission au contenu vague, puis peu à peu mis sur un poste « vide » (cass. soc. 3 décembre 2008, D).
-Défaut de paiement, pendant 2 ans, d’une prime sur objectifs et suppression partielle, pendant 6 mois, d’une augmentation de salaire, l’employeur ne justifiant pas, par des éléments objectifs, la suppression partielle de l’augmentation de salaire ni le non-paiement de la prime, rétablis ultérieurement (cass. soc. 24 juin 2009, D).
-Une salariée en arrêt de maladie prolongé avait reçu de la part de son employeur de nombreuses lettres de mise en demeure injustifiées. Ces courriers évoquaient de manière explicite une rupture de son contrat de travail et lui reprochaient ses absences (cass. soc. 7 juillet 2009, D).
-Un directeur d’établissement soumettait les salariés à une pression continuelle, des reproches incessants, des ordres et contre-ordres dans l’intention de diviser l’équipe. Ce comportement s’était traduit, pour le salarié licencié, par sa mise à l’écart, un mépris affiché à son égard et par une absence de dialogue caractérisée par une communication via l’intermédiaire d’un tableau. Il avait entraîné un état très dépressif de ce salarié (cass. soc. 10 novembre 2009, n° 07-45321, BC V n° 247).
– Un supérieur hiérarchique avait mis en œuvre une « méthode habituelle de direction qui soumettait les salariés de son secteur à des pressions, des vexations et humiliations répétées », que le salarié licencié avait personnellement subies (cass. soc. 27 octobre 2010,D).
-Un supérieur hiérarchique avait eu, pendant plusieurs années, une attitude irrespectueuse vis-à-vis de ses subordonnés. Ce comportement se traduisait, concernant la salariée licenciée (pour inaptitude professionnelle et impossibilité de reclassement), par des critiques brutales et vexantes faites en public. Par ailleurs, malgré ses 32 ans d’ancienneté, cette salariée avait été placée sous la subordination d’une personne de même qualification qu’elle (cass. soc. 19 janvier 2011)