Relations amoureuses entre collègues : l’employeur a t-il son mot à dire ?

 

Bien que l’on ne dispose pas de statistiques précises sur la fréquence des relations amoureuses en entreprise, les enquêtes menées régulièrement par l’IFOP estiment qu’environ 15 % des couples se seraient formés sur leur lieu de travail. Une étude réalisée en 2018 révèle que 41 % des salariés ont déjà fantasmé sur un collègue, 35 % ont eu des relations sexuelles sur leur lieu de travail et 14 % ont rencontré leur conjoint dans un cadre professionnel.

 

 

L’étude « La romance au travail. Amour, sexe & autres histoires » publiée en janvier 2024 met en lumière les risques perçus par les salariés : rumeurs (89 %), tensions et coups bas en cas de rupture (88 %), manque d’équité (82 %), relations professionnelles biaisées (81 %) et mise à l’écart (76 %). Ces dérives peuvent impacter la qualité du travail, fragiliser l’autorité des managers et nuire à l’image de l’entreprise, allant parfois jusqu’à des contentieux devant les prud’hommes.

 

Cependant, ces relations ne sont pas sans conséquences.

 

En 1992, la Cour européenne des droits de l’homme affirmait que « le respect de la vie privée doit aussi englober, dans une certaine mesure, le droit pour l’individu de nouer et développer des relations avec ses semblables ».

 

Pourtant et dans de multiples situations, une relation intime entre deux collègues peut  avoir des conséquences sur la relation de travail et intéresser de ce fait l’employeur qui va pouvoir s’immiscer entre les parties et utiliser son pouvoir de sanction.

 

 

 

L’impossibilité pour l’employeur d’interdire des relations amoureuses entre deux salariés

 

L’employeur ne peut pas interdire les relations amoureuses entre collègues. L’article 9 du Code civil garantit le respect de la vie privée, rendant nulle toute clause contractuelle interdisant ces relations. De même, les clauses imposant le célibat aux salariés sont illégales selon la jurisprudence.

 

Toutefois, l’employeur peut intervenir si la relation cause un trouble caractérisé au sein de l’entreprise, affectant son organisation ou le travail des salariés concernés. Ceux-ci doivent conserver une attitude professionnelle et respecter un devoir de réserve.

 

Aussi, de la même manière que vous n’êtes pas tenu(e) de déclarer une relation intime avec un(e) collègue, votre employeur ne peut pas vous licencier uniquement en raison d’une relation amoureuse. Une telle décision serait considérée comme un licenciement abusif.

 

Toutefois, des mesures disciplinaires peuvent être prises si la relation perturbe le bon fonctionnement de l’entreprise. Par exemple, si elle engendre des conflits d’intérêts, des tensions entre collègues ou nuit à l’image de l’entreprise, des sanctions peuvent être envisagées.

 

Dans ce cas, ce n’est pas la relation elle-même qui est sanctionnée, mais bien les éventuelles conséquences professionnelles qu’elle entraîne.

 

Toutefois dans un arret du  29 mai 2024 (pourvoi n°22-16.218) la Cour de Cassation  rappelle d’abord le principe d’interdiction de l’employeur de se baser sur un fait tiré de la vie privée du salarié pour le licencier.

 

Exception cependant si ce fait est constitutif d’une violation d’une obligation contractuelle de loyauté.

 

En l’espèce, la Cour considère que la dissimulation de la relation intime constitue une violation de l’obligation de loyauté – cela en raison des fonctions des deux salariés en cause, l’un représentant de l’employeur, l’autre représentant syndical et du personnel dans un contexte de conflit collectif.

 

L’affaire était ici assez atypique en ce qu’elle engendrait une confusion des genres qui mettait en difficulté l’employeur.

 

La séduction : une zone grise

 

Bien que le Code du travail ne prohibe pas la séduction entre collègues, il est essentiel d’agir avec prudence.

La frontière entre drague et harcèlement sexuel  peut dans certains cas être mince, surtout en cas de refus explicite  du/de la salarié.e

La situation devient encore plus délicate lorsqu’un supérieur hiérarchique initie une relation avec un subordonné, ce dernier pouvant craindre des représailles en cas de refus ou de rupture.

 

Quand le lien hiérarchique complique la donne

 

Dans un tel contexte, le collaborateur ciblé peut se sentir contraint d’accepter les avances par crainte de représailles ou d’un impact négatif sur sa carrière…

 

La jurisprudence tend d’ailleurs à considérer ces situations avec sévérité, assimilant plus facilement ces comportements à du harcèlement lorsque l’initiative vient d’un salarié occupant une position de pouvoir vis à vis de la personne objet de la tentation.

 

La Cour de cassation, dans un arrêt du 15 février 2023, a confirmé l’existence de harcèlement sexuel en raison de la subordination et de l’absence de limites entre sphères personnelle et professionnelle entre les salariés lorsque la salariée a remis en cause son consentement dans le rapport à son supérieur et les initiatives prises par ce dernier à l’occasion d’un déplacement professionnel.

 

 

Risques de favoritisme et de harcèlement

 

Les relations amoureuses en milieu professionnel peuvent susciter des interrogations, notamment en matière de favoritisme. Lorsqu’un lien affectif unit un supérieur hiérarchique et un subordonné, la perception d’un traitement de faveur peut émerger, fragilisant ainsi la confiance des collègues et compromettant l’équité des décisions managériales.

 

Promotions, augmentations ou répartition des tâches : toute décision pourrait être perçue comme influencée par la relation, créant un climat de suspicion et de tensions au sein de l’équipe.

 

Face à ces enjeux, il est crucial d’adopter une approche proactive pour l’employeur : sensibilisation, mise en place de procédures claires et traitement rapide des conflits éventuels permettent de préserver un environnement de travail serein et respectueux pour tous.

 

Relations sexuelles sur le lieu de travail : A éviter…

 

Selon l’étude Ifop, 33 % des salariés ayant eu une relation avec un collègue ont déjà eu des relations sexuelles sur leur lieu de travail. Bien que le Code du travail ne l’interdise pas explicitement, ces comportements peuvent causer un trouble avéré, pouvant entraîner des sanctions disciplinaires, surtout en cas de lien de  subordination entre les salariés.

 

Avoir des relations sexuelles sur le lieu ou le temps de travail est surement à éviter.

 

En dehors des heures de travail :

 

Il n’appartient pas au salarié de faire un usage détourné des locaux de l’entreprise afin d’assouvir des besoins personnels. Qui plus est, cela peut porter atteinte à l’image de l’entreprise.

Aussi, utiliser les locaux de l’entreprise à des fins personnelles avec une collègue de travaux  peut nuire à son image et constituer une faute grave, justifiant un licenciement si la relation charnelle arrive aux oreilles de l’employeur…

Se posera toutefois la délicate question de la preuve des ébats dans ce cas.

Autre hypothèses deja jugées, le fat d’avoir des relations sexuelles dans son bureau, se faire photographier, puis stocker les photos sur un fichier accessible à des collègues, justifie un licenciement pour faute grave

 

 

Pendant les heures de travail :

 

 

Un salarié doit se consacrer à ses tâches. Avoir des relations intimes sur son temps de travail constitue une faute, pouvant entraîner un licenciement, surtout si cela impacte l’entreprise ou choque des collègues.

 

De plus, un tel comportement peut relever du délit d’exhibitionnisme si des tiers en sont témoins. Quant aux preuves, elles reposent souvent sur des aveux ou des témoignages, mais des rumeurs seules ne suffisent pas à justifier une sanction.

 

 

Cassation sociale  29 mai 2024ourvoi n°22-16.218 : Quand la dissimulation d’une relation amoureuse dans l’entreprise devient fautive.

 

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Nîmes, 15 mars 2022), M. [Z] a été engagé en qualité de responsable de site, le 29 avril 2002, par la société P. (la société). En dernier lieu, il occupait les fonctions de responsable de la production des fils et de responsable des sites.

2. Licencié pour faute grave par lettre du 27 septembre 2014, il a saisi la juridiction prud’homale de demandes en annulation de son licenciement et subsidiairement en contestation du bien fondé de la rupture de son contrat de travail ainsi qu’en paiement de diverses sommes.

 

Réponse de la Cour

4. Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

5. La cour d’appel a constaté que le salarié, qui exerçait des fonctions de direction chargé en particulier de la gestion des ressources humaines et qui avait reçu du président du directoire de la société diverses délégations en matière d’hygiène, de sécurité et d’organisation du travail ainsi que pour présider, en ses lieux et place, de manière permanente, les différentes institutions représentatives du personnel, avait caché à son employeur la relation amoureuse qu’il entretenait, depuis la fin de l’année 2008, avec une autre salariée, laquelle, jusqu’à son départ de l’entreprise en avril 2013, y exerçait des mandats de représentation syndicale et de représentation du personnel, s’était investie en 2009 et 2010 dans des mouvements de grève et d’occupation d’un des établissements de l’entreprise et lors de la mise en oeuvre d’un projet de réduction d’effectifs et avait participé en 2009 puis au cours de l’année 2012 et en janvier 2013, dans ses fonctions de représentation syndicale, à diverses réunions où le salarié avait lui-même représenté la direction et au cours desquelles avaient été abordés des sujets sensibles relatifs à des plans sociaux.

6. Elle a pu en déduire qu’en dissimulant cette relation intime, qui était en rapport avec ses fonctions professionnelles et de nature à en affecter le bon exercice, le salarié avait ainsi manqué à son obligation de loyauté à laquelle il était tenu envers son employeur et que ce manquement rendait impossible son maintien dans l’entreprise, peu important qu’un préjudice pour l’employeur ou pour l’entreprise soit ou non établi.

7. Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral résultant d’une atteinte à la vie privée et familiale, alors :

« 1°/ que la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation du chef de l’arrêt ayant dit que le licenciement du salarié fondé sur le silence gardé par lui sur un fait tiré de sa vie privée était justifié par une faute grave entraînera par voie de conséquence la cassation du chef de dispositif de l’arrêt l’ayant débouté de sa demande tendant à voir condamner l’employeur à lui verser des dommages-intérêts pour préjudice moral résultant d’une atteinte à la vie privée, et ce, par application de l’article 624 du code de procédure civile ;

2°/ que la seule constatation d’une atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation ; qu’en énonçant par motifs supposément adoptés, que le salarié reconnaissant les faits et arguant se sentir mal, il sera débouté de sa demande de dommages-intérêts, la cour d’appel a statué par des motifs impropres à écarter le droit à réparation du salarié résultant d’une atteinte à sa vie privée et familiale et partant, a violé l’article 9 du code civil. »

Réponse de la Cour

9. Le rejet du premier moyen rend sans portée la demande de cassation par voie de conséquence du second moyen, pris en sa première branche.

10. La cour d’appel, après avoir jugé que le salarié avait commis la faute grave qui lui était reprochée, a, par motifs adoptés et par une appréciation souveraine des éléments qui lui étaient soumis, retenu qu’il reconnaissait qu’il aurait dû révéler à son employeur sa relation amoureuse avec une autre salariée. Elle en a déduit l’absence d’une faute imputable à l’employeur et à l’origine du préjudice allégué.

11. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [Z] aux dépens ;