Les arrêts maladie doivent-ils être inclus dans le calcul de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ?

Les arrêts maladie doivent-ils être inclus dans l’ancienneté pour le calcul de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ?

 

La Cour de cassation a récemment considéré, dans un arrêt du 1er octobre 2025 (n° 24-15.529), qu’il fallait inclure les périodes de suspension du contrat de travail pour maladie dans l’ancienneté du salarié lorsqu’il s’agit de déterminer le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, conformément au barème Macron issu de l’article L. 1235-3 du Code du travail.

 

Pour rappel, ce barème fixe les montants minimaux et maximaux de l’indemnité sans cause réelle et sérieuse en fonction de l’ancienneté du salarié et de la taille de l’entreprise.

 

Cette solution consolide un principe essentiel : un salarié ne doit pas être doublement pénalisé – d’une part par la maladie, d’autre part par une minoration de ses droits en cas de licenciement abusif ou injustifié.

 

Le licenciement sans cause réelle et sérieuse d’une salariée connaissant de nombreuses périodes d’arrêts maladie

 

L’affaire concernait une salariée embauchée en mai 2016 et licenciée verbalement en avril 2019 à la suite de la liquidation judiciaire de son employeur. Contestant le motif de son licenciement, elle a saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir des indemnités pour licenciement abusif.

 

Si la Cour d’appel a requalifié son licenciement sans cause réelle et sérieuse, les juges du fond l’ont également déboutée de sa demande d’indemnisation. En effet, ils considéraient qu’elle comptait moins d’un an d’ancienneté en raison de plusieurs arrêts maladie non professionnels intervenus dès novembre 2016.

Les juges du fond avaient ainsi estimé que seules les périodes de travail effectif pouvaient être retenues pour déterminer l’ancienneté au sens de l’article L. 1235-3 du Code du travail.

 

La Cour de cassation censure ce raisonnement : elle juge que les périodes de suspension du contrat de travail, même pour maladie non professionnelle, doivent être intégrées dans le calcul de l’ancienneté.

 

Le raisonnement de la Haute Cour : aucune restriction prévue par le Code du travail

 

Se fondant sur la lettre de larticle L. 1235-3, la Haute juridiction rappelle que ce texte ne comporte aucune restriction relative à la prise en compte des périodes de suspension du contrat de travail.

 

En effet, contrairement aux articles L. 1234-9 et L. 1234-11 concernant l’indemnité légale de licenciement – qui prévoient explicitement la déduction de certaines périodes non travaillées – aucune disposition analogue n’existe pour l’indemnité due en cas de licenciement abusif.

 

En conséquence, la Haute Cour a considéré que les juges du fond ne pouvaient donc pas exclure les périodes d’arrêt maladie non professionnelle de la salariée du calcul de son ancienneté. En l’espèce, la salariée justifiait donc d’une ancienneté totale de deux ans et dix mois à faire valoir dans le calcul de son indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

Cette position est non sans rappeler rappeler l’adage « Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus » (il est interdit de distinguer là où la loi ne distingue pas).

Elle s’inscrit également dans la continuité d’une jurisprudence ancienne, déjà retenue avant les ordonnances Macron de 2017 (Cass. soc., 17 octobre 1979, n° 77-41.381 ; Cass. soc., 7 décembre 2011, n° 10-14.156).

 

Le rappel de la possibilité d’une indemnisation pour une ancienneté inférieure à un an

 

La cour d’appel avait ajouté à son erreur une seconde : elle avait estimé que la salariée, employée dans une entreprise de moins de onze salariés, ne pouvait prétendre à aucune indemnité faute d’ancienneté minimale d’un an.

 

Or, la Cour de cassation a déjà jugé (Cass. soc., 12 juin 2024, n° 23-11.825) que le salarié ayant moins d’un an d’ancienneté dans une entreprise de cette taille a droit à une indemnité fixée par le juge, dans la limite d’un mois de salaire.

 

En l’espèce, eu égard à ses deux années complètes d’ancienneté, la salariée pouvait prétendre à une indemnité comprise entre 0,5 et 3,5 mois de salaire. La Cour de cassation, statuant au fond, lui a accordé le montant maximal.

 

Une cohérence d’ensemble dans l’évolution du droit du travail

 

Cette décision s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel plus large de la Cour de cassation visant à renforcer la protection des salariés en matière de droits liés à la santé et à la sécurité.

 

Quelques jours plus tôt, le 10 septembre 2025, la Chambre sociale rendait un arrêt structurant en matière de congés payés et de maladie : elle reconnaissait le droit au report des congés payés lorsqu’un salarié tombe malade pendant ses vacances, à condition que l’arrêt soit notifié à l’employeur (n° 23-22.732). Ce faisant, le droit français s’alignait sur la jurisprudence européenne.

 

Ces arrêts s’inscrivent dans une démarche visant à préserver l’effectivité du droit à la santé, en évitant que le recours à un arrêt maladie puisse avoir un effet dissuasif sur les salariés.

 

Une prudence accrue pour les employeurs

 

Pour les employeurs, cette clarification impose une vigilance particulière dans la gestion des contentieux liés aux licenciements sans cause réelle et sérieuse.

Les entreprises devront s’assurer que leurs calculs d’ancienneté et leurs barèmes d’indemnisation intègrent bien les périodes de suspension du contrat de travail, afin d’éviter toute erreur d’appréciation pouvant conduire à une condamnation renforcée.

 

 

Cass. soc. 1er oct. 2025, n°24-15.529, F-D, P. c/ Sté Épilogue

 

 

Réponse de la Cour

 

 Vu l’article L. 1235-3 du code du travail :

  1. Selon ce texte, en cas de licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, le salarié qui compte au moins une année d’ancienneté, peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il en résulte que ces dispositions ne comportent aucune restriction en cas de suspension d’exécution du contrat de travail.

 

  1. Pour débouter la salariée de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt retient qu’elle bénéficie d’une ancienneté de moins d’une année, eu égard à ses arrêts de travail pour maladie non professionnelle, dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés et ne peut donc prétendre à une indemnité à ce titre.

 

  1. En statuant ainsi, alors qu’il ressortait de ses propres constatations que la salariée comptait, périodes de suspension du contrat de travail pour maladie incluses, plus d’une année d’ancienneté au sein de l’entreprise, la cour d’appel a violé le texte susvisé.