Burn-out et stress au travail : responsabilité de l’employeur et actions en justice du salarié
Imaginez une bougie qui, après avoir longtemps brûlé, ne laisse subsister qu’une flamme vacillante.
Cette image de combustion intérieure est à l’origine du terme anglo-saxon « burn-out ». Elle se retrouve également dans le vocabulaire et l’imaginaire des personnes qui en souffrent, décrivant ce mal insidieux, qui s’installe progressivement, par accumulation pour aller jusqu’au constat : « Je suis cramé ».
En France, de 5 % à 10 % de la population active souffrirait de burn-out, soit entre 1,5 million et 3 millions de personnes. Les jeunes « millennials » et les femmes sont particulièrement touchés.
Alors que les signaux d’alerte se multiplient, le burn-out – ou « syndrome d’épuisement professionnel » – demeure un phénomène dont l’ampleur réelle reste largement sous-estimée. Ses manifestations sont diffuses, ses contours mal définis, ce qui en complique la reconnaissance et le traitement.
Le burn-out : un concept juridiquement incertain
Longtemps cantonné au champ médical, le burn-out est aujourd’hui reconnu comme un véritable enjeu de société.
Dès 2014, des estimations évoquaient déjà plusieurs millions de personnes en France exposées à un risque élevé.
Récemment, Santé publique France a relevé que les cas de souffrance psychique liée au travail avaient doublé entre 2007 et 2019. La crise du Covid-19 a encore accentué cette tendance, au point que certains parlent désormais d’« épidémie de burn-out ».
Face à cette progression, nombre d’institutions ont cherché à alerter et à agir.
L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) a publié un guide pratique, l’Académie nationale de médecine a appelé à faire de la prévention une responsabilité de la direction au plus haut niveau, et le 4e Plan santé au travail (2021-2025) a érigé la prévention et la qualité de vie au travail en leviers de performance et de bien-être.
Pour autant, malgré ces initiatives, le concept demeure fragile. Il ne s’appuie ni sur une définition stable, ni sur un cadre juridique unifié.
Le terme « Burn Out Syndrome »trouve ses racines dans l’idée de « se consumer jusqu’au bout ». Il prolonge les travaux de Claude Veil qui, dès 1959, parlait déjà « d’épuisement professionnel ».
Aujourd’hui encore, les définitions varient. L’Académie nationale de médecine décrit le burn-out comme un « état d’épuisement psychologique, cognitif et physique ».
La Haute Autorité de santé y voit une fatigue extrême, conséquence d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes.
Depuis 2019, l’Organisation mondiale de la santé a inscrit le burn-out dans la classification internationale des maladies (CIM-11). Toutefois, il n’est pas reconnu comme une « maladie » mais comme un syndrome lié au stress professionnel chronique.
Trois critères le caractérisent :
- un sentiment d’épuisement ou de perte d’énergie
- une distance croissante, voire un cynisme vis-à-vis du travail ;
- une efficacité professionnelle diminuée.
Autrement dit, le burn-out ne relève pas encore d’un diagnostic médical pleinement catégorisé, mais bien d’un état intermédiaire : un syndrome qui fragilise le salarié et peut l’entraîner vers une désinsertion sociale et professionnelle.
L’absence de reconnaissance légale du burn-out en tant que maladie professionnelle complique la prise en charge des salariés en détresse.; Pourtant, les chiffres sont sans appel : Selon une enquête datant du 9 mars 2023 menée par Opinion Way pour Empreinte Humaine, 55 % des moins de 29 ans souffrent de détresse psychologique (un état qui recouvre à la fois des symptômes de dépression et d’épuisement).
Démarches du salarié et reconnaissance juridique comme maladie professionnelle devant la CPAM
Lorsqu’un salarié voit sa santé se dégrader en lien avec son activité professionnelle, la première étape consiste à consulter son médecin traitant afin d’obtenir un arrêt de travail décrivant la pathologie et ses symptômes.
Le médecin du travail doit également être sollicité, car il est en mesure d’évaluer le lien entre l’état de santé et les conditions de travail.
Le salarié a aussi la possibilité d’alerter son employeur sur une situation représentant un danger grave et imminent pour sa santé, et d’exercer un droit de retrait (art. L. 4131-1 du Code du travail). L’employeur ne peut alors exiger la reprise du travail tant que le danger persiste. Toutefois, cette démarche reste parfois entravée par le déni de la souffrance vécue ou par des pressions hiérarchiques visant à dissuader toute déclaration.
La saisine du Comité social et économique (CSE), compétent pour enquêter en cas de maladies à caractère professionnel est recommandée, éventuellement en lien avec l’inspection du travail. Enfin, des démarches administratives doivent rapidement être engagées auprès de l’assurance maladie, afin de solliciter la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle.
Le burn-out ne figure pas dans les tableaux de maladies professionnelles. Par conséquent, il ne bénéficie pas de la présomption d’origine professionnelle prévue pour ces affections.
Néanmoins, les pathologies psychiques peuvent être reconnues hors tableau comme maladies professionnelles si trois conditions sont réunies :
- elles sont essentiellement et directement causées par le travail habituel de la victime
- elles entraînent le décès ou une incapacité permanente d’au moins 25 %
- la preuve du lien entre travail et pathologie est rapportée par le salarié.
La procédure se déroule en plusieurs étapes :
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le salarié doit transmettre à la Sécurité sociale un dossier comprenant un formulaire de demande motivée, le certificat médical initial, les résultats d’examens complémentaires et une attestation de salaire en cas d’arrêt de travail ;
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ce dossier doit être déposé dans les 15 jours suivant l’arrêt de travail (un délai non sanctionné en cas de dépassement), la prescription étant fixée à deux ans à compter de la cessation du travail ou de l’information sur le lien travail/maladie ;
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la caisse de sécurité sociale dispose de 120 jours pour instruire la demande. En cas de doute, le dossier est transmis au Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), qui dispose à son tour de 120 jours.
Dans la pratique, les décisions de reconnsiassance de maladies professionnelles restent trop rares car le taux incapacité attribué pour les maladies psychiques est souvent compris entre 5 % et 15 % pour les troubles anxiodépressifs,
Autre probleme, les CRRMP rejettent des dossiers lors le seuil d’IPP de 25 % est atteint en se fondant sur labsnece suffisant de lien lien de causalité entre la pathologie et le travail ce qui frustre les salariés.
La CPAM étant réfractaire sur la reconnaissance de ces maladies professionnelles, il est conseillé dans ce cas de saisir le Tribunal Judiciaire pour aller soumettre au juge les nombreuses incohérences qui peuvent être constatées ou défaut de motivation des CRRMP.
Ainsi l’avis du CRRMP est une mesure d’instruction qui ne lie pas le juge du Tribunal Judiciaire ( Pole Social)
S’il le juge insuffisamment motivé, le juge peut ordonner une nouvelle consultation ou toute mesure d’instruction utile (expertise) ou même jugé établi les lien entre l’épuisement professionnel et le travail même en cas d’avis contraire du CRRMP.
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CA Paris, 4 févr. 2016, n° 15/04729 – L’absence de motivation de l’avis du CRRMP entraîne son annulation et la désignation d’un autre CRRMP.
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CA Paris, 11 févr. 2022, n° 17/09816 – La cour sanctionne l’insuffisance de motivation de l’avis du CRRMP.
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CA Bordeaux, 28 juin 2018, n° 16/06806 – La cour écarte l’avis du CRRMP faute de motivation suffisante et ordonne une nouvelle consultation.
Les effets d’une reconnaissance de l’épuisement en maladie professionnelle
Lorsqu’il est reconnu comme maladie professionnelle, le burn-out ouvre droit à une prise en charge intégrale des frais médicaux, au versement d’indemnités journalières, et, le cas échéant, d’indemnités complémentaires prévues par la convention collective. En cas d’incapacité permanente, le salarié peut percevoir un capital ou une rente viagère, s’ajoutant à sa retraite.
Par ailleurs, si la rupture du contrat de travail survient dans un tel contexte, le salarié peut obtenir des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Les impacts pour l’employeur : responsabilité , prévention et gestion des risques
En définitive, la responsabilité de l’employeur en cas de burn-out peut s’analyser sous deux angles complémentaires. Sur le terrain contractuel, le salarié peut saisir le conseil de prud’hommes afin de faire reconnaître un manquement à l’obligation de sécurité découlant du contrat de travail. Cette action permet notamment d’obtenir des dommages-intérêts ou la requalification d’un licenciement jugé abusif.
Sur le terrain délictuel ou quasi-délictuel, le salarié peut, après la reconnaissance de son burn-out comme maladie professionnelle, engager la responsabilité de son employeur devant le pôle social du tribunal judiciaire en invoquant une faute inexcusable. Cette action ouvre droit à une indemnisation complémentaire, couvrant des préjudices personnels tels que la souffrance morale ou la perte de qualité de vie.
Les fondements de la responsabilité de l’employeur
Le burn-out est directement lié à l’organisation et aux conditions de travail. De ce fait, il peut engager la responsabilité de l’employeur sur plusieurs fondements juridiques.
1. L’obligation de sécurité (art. L. 4121-1 du Code du travail).
L’employeur doit assurer la sécurité et protéger la santé, tant physique que mentale, des travailleurs. La jurisprudence a confirmé à plusieurs reprises qu’il s’agit d’une véritable obligation de résultat. Ainsi, dès qu’un salarié subit une dégradation de santé liée au travail, l’employeur peut être tenu responsable. Les décisions de justice rappellent que :
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une surcharge de travail ayant entraîné un état d’« épuisement professionnel » aurait dû alerter l’employeur ;
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la dégradation des conditions de travail ignorée par l’employeur constitue un manquement à son obligation de prévention des risques psychosociaux ;
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un « surmenage professionnel » lié à une réduction d’effectifs et à l’absence de soutien hiérarchique a été reconnu comme générateur d’un état anxio-dépressif.
En pratique, de plus en plus d’arrêts viennent éclaircir la responsabilité de l’employeur en la matière.
Ainsi, des méthodes de management qui se traduisent par du stress et de l’anxiété peuvent constituer un harcèlement moral autant qu’être à l’origine d’un burn out.
Le phénomène « burn-out » peut trouver son origine dans des faits de harcèlement insidieux de la part d’un supérieur hiérarchique comme l’a reconnue la Cour de cassation sur le fondement de l’article L1152 du Code du travail (Cass. Soc. 15 novembre 2006, n° 05-41.489).
Dans un arrêt plus récent rendu le 18 mai 2021 (RG n° 19/00730), la Cour d’appel de Limoges juge ainsi que « ce n’est pas parce que [la salariée] n’a pas sombré dans la dépression ou qu’elle n’a pas développé un burn-out, qu’elle n’a pas subi un préjudice moral sérieux en ayant travaillé pendant plusieurs années sous le management abusif de M. Z. »
Aussi, jugé le 5 février 2020 par ladite cour, est discriminatoire la rupture de licenciement engagée par l’employeur huit jours après avoir reçu un email du salarié l’informant de ses difficultés de santé et notamment de son Burn out. (Cass. soc. 5 février 2020, n° 18-22399).
Ainsi et aux fins d’endiguer ce phénomène, la jurisprudence prévoit une protection du salarié victime de « burn-out » fondée principalement sur l’obligation de sécurité incombant à l’employeur.
- Burn out et charge de travail non maitrisée.
De plus en plus attentive au respect de cette obligation de sécurité, la Cour de cassation protège désormais le salarié en arrêt maladie prolongé en raison d’un manquement de l’employeur lié à la surcharge de travail, contre le licenciement.
Dans ce contexte, le salarié ne saurait être licencié pour absence causant une désorganisation de l’entreprise.
Ainsi, le licenciement pris pour désorganisation de l’entreprise engendrée par l’absence pour maladie non professionnelle du salarié est injustifié lorsque l’absence est liée à un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat (L4121-1 C. tr.)
Ainsi par exemple la Cour d’appel de de Rennes jugeait le 29 novembre 2013, :
« Mme X… était dans un état d’épuisement total et atteinte de burn-out en raison de la surcharge de travail à laquelle elle était confrontée et qui avait déjà été relevée par le médecin du travail à la fin de l’année 2006, que l’employeur s’est abstenu de prendre des mesures pour la soulager et a manqué de ce fait à son obligation de sécurité de résultat ( …) »
Celle d’Aix en Provence en date du 20 juin 2014, :
« Que l’altération de l’état de santé du salarié résultait bien de la dégradation de ses conditions de travail non prises en compte par l’employeur pourtant débiteur de l’obligation d’assurer la sécurité et la protection des salariés, de prévenir des risques professionnels, dont le burn -out en prenant des mesures adaptées »
En conséquence et au regard de la jurisprudence actuelle, tout risque psychosocial est susceptible d’être englobé dans cette formulation (sécurité, stress etc.).
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Les actions judiciaires ouvertes pour le salarié
Requalification de l’inaptitude en licenciement sans cause, prise d’acte ou résiliation judiciaire sont notamment les actions ouvertes au salarié qui souhaite dénoncer un Burn out.
Les manquements de l’employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur doivent être d’une gravité suffisante aux fins d’être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 15 mars 2005, no 03-42.070, Bull. civ. V, no 91 ; Cass. soc., 14 janv. 2004, no 01-40.489, Bull. civ. V, no 8).
Tel est le cas du manquement par l’employeur à son obligation de sécurité.
Dans ce domaine, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail est jugée bien fondée s’agissant notamment :
- d’une situation de harcèlement moral (Cass. soc., 20 févr. 2013, no 11-26.560) ;
- d’une réaction tardive de l’employeur à la lettre d’une salariée dénonçant les agressions verbales de ses collègues de travail (Cass. soc., 15 mars 2005, no 03-41.555, Bull. civ. V, no 90) ;
- du non-respect des règles applicables en matière de surveillance médicale des travailleurs handicapés (Cass. soc., 26 oct. 2010, no 09-42.634, Bull. civ. V, no 249).
L’ensemble de ces jurisprudences seraient applicables par analogie à l’action du au salarié souhaitant opposer les manquements de son employeur à son obligation sécurité pour faire acter la rupture du contrat aux torts de son employeur dans le cadre d’un burn out.
La faute inexcusable de l »employeur
Lorsque l’employeur « avait ou aurait dû avoir conscience du danger » et n’a pas pris les mesures nécessaires, sa responsabilité peut être qualifiée de faute inexcusable. Cela entraîne la majoration des rentes, l’augmentation des cotisations AT/MP et l’octroi de dommages-intérêts conséquents.
Une action doit alors être envisagée devant le Pole Social du Tribunal Judiciaire.
Conclusion
Le burn-out ne peut plus être considéré comme un simple « mal-être » passager. Il constitue un risque majeur de santé au travail, dont les conséquences sont multiples : médicales, sociales, juridiques, économiques et éthiques.
Les pouvoirs publics et les entreprises sont appelés à mieux reconnaître ce syndrome, à adapter le cadre juridique, et surtout à renforcer la prévention. Parmi les pistes, la création d’un tableau de maladie professionnelle dédié et la révision des critères de reconnaissance sont largement évoquées.
Sur le terrain de la reconnaissance de la responsabilité de l’employeur, la jurisprudence permet desormais au salarié de disposer d’un veritable arsenal juridique pour obtenir une indemnisation de ses préjudices.
L’accompagnement d’un avocat spécialisé en Droit du Travail et de la sécurité sociale sera bien entendu déterminant pour le succès de ces procedures 🙂