Salarié d’une filiale, comment agir en justice contre la société mère ?

Dans un arrêt en date du 18 decembre 2013 la cour de cassation précise les modalités d’action de salariés en matière de co emploi.

Afin de fonder les demandes des salariés d’une filiale auprès de la société Mère, ces derniers doivent caractériser la situation de co emploi entre la société mère et sa filiale en démontrant la « confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion de la société mère dans la gestion économique et sociale de sa filiale« .

Par Me JALAIN

Source : Cass. soc., 18 décembre 2013, n°12-25686 :

« LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Vu la connexité, joint les pourvois n° T 12-25.686 à V 12-25.734 ;

Sur le moyen relevé d’office, après avis donné aux parties conformément aux dispositions de l’article 1015 du code de procédure civile :

Vu l’article 19 du Règlement n° 44/2001/CE du Conseil du 22 décembre 2000 ;

Attendu, selon ce texte, que l’employeur ayant son domicile dans le territoire d’un Etat membre peut être attrait dans un autre Etat membre, notamment devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ; que selon l’interprétation faite par la Cour de justice des Communautés européennes des dispositions de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, qui est transposable pour l’application de l’article 19 du Règlement n° 44/2001/CE, l’employeur est défini comme la personne pour le compte de laquelle le travailleur accomplit pendant un certain temps, en sa faveur et sous sa direction, des prestations en contrepartie desquelles elle verse une rémunération ;

Attendu, selon les arrêts attaqués statuant en référé, que Mme X… et quarante-huit autres salariés de la société Sodimédical, filiale à 100 % de la société Lohmann & Rauscher France, elle-même détenue en totalité par la société de droit allemand Lohmann & Rauscher GmbH & Co KG, ont saisi la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir la condamnation solidaire des sociétés Sodimédical et Lohmann & Rauscher GmbH & Co KG à leur fournir, sous astreinte, la prestation de travail et à leur payer, à compter du mois d’octobre 2011, leurs salaires ;

Attendu que pour rejeter l’exception d’incompétence opposée par la société Lohmann & Rauscher GmbH & Co KG et accueillir les demandes formées à son encontre, les arrêts, après avoir rappelé qu’en application des dispositions de l’article R. 1455-6 du code du travail, la formation de référé, juge de l’apparence, peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, d’une part, constatent que les salariés de la société Sodimédical exercent leur activité à son siège social à Plancy-l’Abbaye (Aube), d’autre part, relèvent que le rapport de l’expert du comité d’entreprise de la société Sodimédical, qui conclut que celle-ci, en tant qu’unité de production, ne possède aucune latitude pour développer et prospecter de nouveaux débouchés, et que la société Lohmann & Rauscher France, dont c’était la responsabilité, a retiré brutalement sa clientèle à la société de production et ce, sans qu’aucune alternative économique n’ait pu être présentée et a fortiori mise en oeuvre, que le rapport d’enquête du juge-commissaire, dont il résulte que la société Sodimédical est une filiale à 100 % de Lohmann & Rauscher France, elle-même filiale à 100 % de Lohmann & Rauscher GmbH et que le président du conseil d’administration de la société de droit allemand est également celui du conseil d’administration de la société mère française, que, depuis deux ans, Sodimédical n’avait pour client unique que la société Lohmann & Rauscher France, que toute la comptabilité Sodimedical est traitée chez Lohmann & Rauscher France, que les budgets Sodimédical sont validés directement par l’Allemagne (donc Lohmann & Rauscher GmbH & Co KG), via Lohmann & Rauscher France, que la société de droit allemand a consenti une avance de trésorerie à Sodimédical et un abandon de créances au profit de Lohmann & Rauscher France, et que les conclusions du juge-commissaire, selon lesquelles il appartiendra à l’administrateur judiciaire d’avoir la possibilité d’appeler directement en comblement de passif la société Lohmann & Rauscher France ainsi qu’éventuellement la société Lohmann & Rauscher GmbH & Co KG, justifient d’une apparence de confusion d’intérêts, d’activités et de direction entre la maison-mère allemande via Lohmann et Rauscher France et la société Sodimédical, qui ne disposait d’aucune autonomie ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il ne résultait pas de ses constatations une situation apparente de coemploi constituée par une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion de la société mère dans la gestion économique et sociale de sa filiale et justifiant sa compétence à l’égard de la société Lohmann & Rauscher GmbH & Co KG , la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’ils se déclarent compétents pour statuer sur les demandes formées à l’encontre de la société Lohmann & Rauscher GmbH & Co KG, et la condamnent, sous astreinte, à fournir aux salariés de la société Sodimédical la prestation de travail et à leur payer diverses sommes, les arrêts rendus le 11 juillet 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Reims ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris ;

Condamne les défendeurs aux dépens ;

Vu l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, rejette la demande de la SCP Didier et Pinet ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille treize. «