Réforme du droit du travail : fin de la solidarité ?
Extraits d’un excellent article de M.Michel Abescat dans TELERAMA.
» Jamais le droit social n’a été autant battu en brèche, et les attaques aussi virulentes contre le code du travail. Une politique libérale qui lorgne sur les Etats-Unis, où licenciements et précarité sont devenus un phénomène de masse.
Ernest-Antoine Seillière, quand il était à la tête du Medef, l’avait fait peser : 1,25 kilo, avait dénoncé la balance. Laurence Parisot, la nouvelle présidente, l’a mesuré : « Un labyrinthe de 3 600 kilomètres », s’est-elle écriée, en décembre dernier, sur France 2.
Tous nos malheurs viendraient ainsi de lui : le chômage, la stagnation des salaires, les pesanteurs qui « écrasent » nos entreprises et les rendent moins compétitives. La chanson a fini par entrer dans les têtes. Le code du travail, et avec lui tout notre système de protection sociale, est aujourd’hui au coeur du débat public, Nicolas Sarkozy ayant pris le relais des représentants patronaux.
En quelques mois, ses chantiers de « réforme » ont fleuri de tous côtés et suscitent actuellement de vives réactions, manifestations et grèves. Entre 2004 et 2007, le code du travail a été entièrement réécrit, théoriquement pour le rendre plus « accessible ». Au début de l’année, un accord sur la « modernisation du contrat de travail » a introduit, à côté du licenciement et de la démission, la « rupture conventionnelle », c’est-à-dire la séparation à l’amiable entre employeur et salarié. Le 18 juin, encore, le conseil des ministres examinera un texte qui, s’il maintient la durée légale du travail à 35 heures, la
vide de sa substance en renvoyant au niveau de l’entreprise la négociation sur sa durée réelle. Et ce n’est pas fini. En matière de retraite, l’allongement de la cotisation à 41 ans est dans les tuyaux tandis que de nouvelles franchises sur les remboursements maladie devraient voir le jour après l’été. Ainsi serons-nous peu à peu délivrés du « carcan » du code du travail, ainsi sortirons-nous enfin des « griffes » des 35 heures.
« La liberté de penser s’arrête là où commence le code du travail », a dit Laurence Parisot. Une phrase qui fait bondir Gérard Filoche, bouillant inspecteur du travail, auteur d’un livre argumenté, Salariés, si vous saviez… « Attaquer le code du travail, c’est s’en prendre à l’état de droit dans l’entreprise. Restaurer la loi de la jungle et de la soumission, rompre avec soixante ans de notre histoire sociale », tempête-t-il.
Quoi qu’on en pense, les revendications du Medef et les réformes en cours répondent à deux objectifs.
Remplacer la loi par le contrat. Et passer du droit collectif à celui de l’individu.
Sur ce second point, l’exemple des retraites est éclairant. On tire la sonnette d’alarme sur l’avenir des systèmes collectifs par répartition et on incite les salariés à se constituer une retraite personnelle par capitalisation. C’est-à-dire qu’on privilégie la protection individuelle au détriment de la solidarité.
De même dans le domaine de la santé. La loi de finances de la Sécurité sociale 2008 instaure trois franchises médicales, payées par les malades, pour financer le plan Alzheimer. Après l’été, on le sait, ces déremboursements devraient être étendus. Comme le remarque Liêm Hoang-Ngoc, chercheur au Centre d’économie de la Sorbonne, dans un livre plaisamment intitulé Sarkonomics, ce mécanisme de la franchise « rompt le principe de solidarité entre bien-portants et malades puisque les malades seuls sont mis à contribution ». Solidarité entre bien-portants et malades, entre actifs et inactifs, entre chômeurs et travailleurs, ce sont les fondements mêmes de notre modèle social qui sont battus en brèche. Au profit de l’individualisme.
Donner une place plus importante au contrat de manière à réduire le rôle de la loi est l’autre caractéristique des réformes en cours. On le voit en matière de durée du travail, dont on prévoit de fixer les modalités au niveau de l’entreprise.
« C’est la même chose avec la « rupture conventionnelle », ce licenciement à l’amiable mis en place en janvier dernier, remarque Gérard Filoche. On organise ce que Mme Parisot appelle la « séparabilité », un moyen de rompre facilement le contrat de travail, à la manière d’un divorce. Et l’on voudrait nous faire croire que le salarié va pouvoir négocier à égalité avec son employeur ! »
(…)
Après des années de dérégulation du marché du travail et du droit social, la situation américaine apparaît ainsi contrastée. Rentré en France après avoir vécu huit ans aux Etats-Unis, Michel Desmurget, chercheur à l’Inserm, confirme ce point de vue en passant en revue tous les aspects de la situation sociale dans un livre documenté et précis, Mad in USA « Les politiques libérales menées depuis trente ans aux Etats-Unis ont abouti à l’enrichissement massif des plus favorisés, à la paupérisation progressive de la classe moyenne et à la création d’une immense cohorte de travailleurs pauvres.
Ainsi, 25 % des travailleurs américains, soit trente millions d’individus, travaillent pour des salaires qui ne leur permettent pas d’extraire leur famille de la pauvreté. Ces gens sont corvéables à merci, ils n’ont pas de congés payés, pas de couverture maladie, pas de droits. […] J’entends souvent parler en France et en Europe des charges et des contraintes qui asphyxient l’emploi et ruinent l’esprit d’initiative. Malheureusement, je n’entends jamais parler des charges et des contraintes qui offrent à tous, et en particulier aux plus pauvres, une retraite décente, une assurance pour se soigner, des congés payés pour se reposer et des droits pour se défendre. » A lire les préconisations de nombreux chercheurs américains pour remédier aux défaillances de leur « modèle », il est frappant de constater les ressemblances avec ce qui existe déjà en Europe. Même si le système français mérite des réformes et des adaptations, peut-être, comme le dit Michel Desmurget, « ne sommes-nous pas aussi en retard que cela ».
A lire egalement :
“Salariés, si vous saviez…, Dix idées reçues sur le travail en France”, de Gérard Filoche, éd. La Découverte, 130 p., 9 EUR.
“Sarkonomics”, de Liêm Hoang-Ngoc, éd. Grasset, 134 p., 9 EUR.
“Le Salarié jetable, Enquête sur les licenciements aux Etats-Unis”, de Louis Uchitelle, éd. Demopolis, 320 p., 23 EUR.
“Mad in USA, Les ravages du ‘modèle américain’ », de Michel Desmurget, éd. Max Milo, 276 p., 19,90 EUR.
Me JALAIN, avocat au Barreau de Bordeaux