Prescriptions : précisions sur les conditions d’application des différents délais

 

Dans plusieurs arrêts rendus début 2021, la Cour de cassation vient préciser les conditions d’applications des différents délais de prescription.

 

Pour rappel le code du travail prévoit différents délais de prescription, selon la nature du litige, au terme desquels une action ne peut plus être engagée.

 

Ainsi :

 

  • L’action de nature salariale se prescrit par 3 ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer cette action (c. trav. art. L. 3245-1 ) ;

 

  • L’action en exécution du contrat de travail se prescrit par 2 ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit (c. trav. art. L. 1471-1) ;

 

  • L’action relative à la rupture du contrat de travail se prescrit par 12 mois à compter de la notification de la rupture (c. trav. art. L. 1235-7) ;

 

  • L’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination ou d’actes de harcèlement se prescrit par 5 ans à compter, selon le cas, de la révélation de la discrimination ou du jour où le salarié victime de harcèlement a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son action (c. trav. art. L. 1134-5).

 

 

La Cour de cassation est venue donner des précisions concernant ces prescriptions, ainsi :

 

  • Concernant les principes de l’action en paiement ou en répétition du salaire

 

La Cour de cassation est venu préciser qu’en la matière, il convient de distinguer entre prescription de l’action et sommes susceptibles d’être réclamées (c. trav. art. L. 3245-1) :

 

  • l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par 3 ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ;

 

  • la demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter du jour où le salarié a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son action ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat

 

(cass. soc. 30 juin 2021, n° 19-10161 FSPB).

 

 

  • Concernant la demande de requalification d’un temps partiel en un temps complet

 

Selon l’interprétation de la Cour de cassation, cette demande est d’abord une action en rappel de salaire.

 

Ainsi, une demande de rappel de salaire fondée sur la requalification d’un contrat à temps partiel en un contrat à temps partiel et, d’autre part, sur une contestation de la classification professionnelle est soumise à la prescription triennale (cass. soc. 30 juin 2021, n° 19-10161 FSPB).

 

 

  • Concernant l’action relative à l’utilisation des droits affectés à un compte épargne temps

 

Là encore, la Cour de cassation vient préciser que cette action relative à l’utilisation des droits affectés sur un CET, acquis en contrepartie du travail, a une nature salariale.

 

C’est donc la prescription triennale qui s’applique (cass. soc. 30 juin 2021, n° 19-14543 FSPB, deuxième moyen).

 

 

  • L’action en rappel de salaire fondée sur l’invalidité d’une convention de forfait en jours est soumise à la prescription triennale

 

Une fois encore, la Cour de cassation rappelle dans un arrêt du 30 juin 2021 que la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance.

 

Elle en déduit que l’action en paiement d’un rappel de salaire fondée sur l’invalidité d’une convention de forfait en jours est soumise à la prescription triennale.

 

Elle refuse par ailleurs de faire courir le délai de prescription à compter de la date de signature du contrat, notamment parce que, selon sa lettre d’information, cela aurait abouti à ce que, après l’acquisition de la prescription, « le salarié soit soumis à une convention de forfait illicite sans disposer de droit d’action pour remettre en cause le forfait en jours ou obtenir un rappel de salaire ».

 

La Cour de cassation approuve donc le raisonnement de la cour d’appel, qui a choisi d’accorder le rappel d’heures supplémentaires pour les années 2013, 2014 et 2015 (plus précisément jusqu’au 30 juin 2015), tout en veillant à rester sur les 3 années précédant la saisine du conseil de prud’hommes (cass. soc. 30 juin 2021, n° 18-23932 FSPB)

 

 

  • Action biennale en exécution du contrat de travail

 

Concernant la requalification de missions d’intérim en raison du motif de recours :

 

L’action en requalification d’un contrat d’intérim en CDI relève bien de la prescription biennale applicable en matière d’exécution du contrat.

 

S’agissant du point de départ de la prescription, la Cour de cassation précise que, dans le cas d’une demande de requalification d’un contrat d’intérim en CDI auprès d’une entreprise utilisatrice fondée sur le motif du recours au contrat de mission, le délai de 2 ans commence à courir au terme du contrat ou, en cas de succession de contrats d’intérim, au terme du dernier contrat.

 

Par ailleurs, en ce qui concerne les effets de la requalification, la Cour de cassation indique que lorsque la demande est fondée, le salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un CDI prenant effet au premier jour de sa mission.

 

(cass. soc. 30 juin 2021, n° 19-16655 FSPB)

 

 

Concernant la requalification d’un CDD :

 

Dans cette situation, la chambre sociale de la Cour de cassation précise, pour la première fois selon sa lettre d’information, que le délai biennal (exécution du contrat de travail) court à compter du premier jour d’exécution du deuxième contrat, c’est-à-dire du contrat intervenu en violation du délai de carence

 

(cass. soc. 5 mai 2021, n° 19-14295 FSP)

 

 

  • Action quinquennale en réparation du préjudice résultant d’une discrimination ou d’un harcèlement

 

La cour vient tout d’abord préciser que concernant le harcèlement que : la persistance des faits repousse indéfiniment le point de départ de la prescription :

 

En effet, la prescription court « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

 

Or, dans les faits il était évident que, le jour où elle s’était présentée devant l’inspection du travail pour faire état d’une situation de harcèlement (9 septembre 2009), la salariée connaissait les faits lui permettant de faire valoir ses droits.

 

Pour l’employeur, le délai de prescription de 5 ans ayant commencé à courir, au plus tard, le 9 septembre 2009, l’action engagée le 10 novembre 2014 devant les prud’hommes était prescrite.

 

Cependant, la cour d’appel avait noté que la salariée soutenait avoir été victime d’agissements de harcèlement moral au-delà de sa mise en arrêt de travail pour maladie.

 

Le point de départ de la prescription s’en était donc trouvé perpétuellement reporté, jusqu’à son licenciement le 17 novembre 2009. La salariée avait dès lors jusqu’au 17 novembre 2014 pour saisir le conseil de prud’hommes.

 

Son action ayant été introduite le 10 novembre 2014, il n’y avait pas forclusion.

 

(cass. soc. 9 juin 2021, n° 19-21931 FSP

 

 

Médaille du travail et accord discriminatoire : application de la prescription quinquennale :

 

La cour d’appel avait choisi d’appliquer la prescription applicable en matière de contentieux lié à l’exécution du contrat de travail (2 ans).

 

Or, largement plus de 2 ans s’étaient écoulés entre l’ouverture du droit à gratification (2007) et la saisine des prud’hommes (2015), de sorte que, pour les juges du fond, l’action était prescrite.

 

Cependant, pour la Cour de cassation, il fallait appliquer la prescription prévue en matière de discrimination (5 ans), puisque le salarié avait été privé de gratification en raison d’un accord jugé discriminatoire. Et il convenait de faire démarrer le délai de prescription avec la date de conclusion de l’accord collectif incriminé, soit le 24 janvier 2011. Le salarié ayant saisi les prud’hommes le 5 mai 2015, son action était recevable (cass. soc. 30 juin 2021, n° 19-14543 FSPB, premier moyen)

 

 

Étendue de la réparation : l’inégalité de traitement ne se confond pas avec la discrimination

 

Deux salariées d’une compagnie aérienne soutenaient avoir été victime d’inégalité de traitement et réclamaient en conséquence des rappels de salaire.

 

Pour déterminer le montant des rappels de salaires, les juges du fond avaient en effet choisi, en application de la prescription sur les salaires, de remonter jusqu’à 3 ans avant la date de la saisine des conseils de prud’hommes.

 

Pour obtenir davantage, les salariées soutenaient que l’inégalité de traitement appelait la même solution que la discrimination et que, à ce titre, elles avaient droit à la réparation intégrale du préjudice subi (c. trav. art. L. 1134-5, dernier al).

 

En réponse à cet argument, la Cour de cassation s’en tient au fait que la demande était fondée non pas sur une discrimination, mais sur une atteinte au principe d’égalité de traitement.

 

L’action consistant par ailleurs en un rappel de salaire, c’était la prescription triennale qu’il convenait d’appliquer (cass. soc. 30 juin 2021, n° 20-12960 FSPB)