Les preuves obtenues à l’insu de l’employeur sont-elles valables ?

A l’instar de l’employeur qui ne peut, sans méconnaître l’obligation de loyauté, obtenir des preuves au moyen de procédés clandestins ou portant atteinte à des libertés fondamentales du salarié, le salarié ne peut se prévaloir de documents appartenant à l’entreprise et conservés par lui que sous certaines conditions.

La chambre sociale de la cour de cassation a eu à répondre à deux questions de la sanction du vol de documents de l’entreprise par le salarié et celle de la recevabilité des documents de l’entreprise pris à l’inssu de l’employeur par le même salarié.

Sur la première question, la chambre sociale considérait classiquement que le vol de documents appartenant à l’entreprise de même que la violation par le salarié d’une obligation légale et/ou conventionnelle au secret professionnel étaient des causes de licenciement, en général constitutives de faute grave. (Soc., 3 octobre 1990, pourvoi n° 88-44.170).

A partir du début des années 1990, la cour de cassation a infléchi sa jurisprudence.

Ainsi aucune faute grave ne peut être reprochée au salarié pour avoir reproduit à l’insu et contre le gré de son employeur et versé aux débats des documents echniques et confidentiels de l’entreprise dès lors que le salarié avait lui-même établi ces documents ou les avait eus à sa disposition dans le cadre normal de ses fonctions (Soc., 19 juin 1991, Bull., V, n° 311, p. 190, Dr. Soc., 1991, p. 639).

De même n’est pas constitutif d’une faute grave, ni même d’une cause réelle et sérieuse de licenciement, le comportement d’un salarié auquel il était reproché d’avoir détenu dans son bureau des dossiers archivés sans lien avec ses propres dossiers et de les avoir utilisés à des fins non explicitées (Soc., 6 octobre 1998, pourvoi n° 96-42.437,RJS 11-98, n° 1349).

Dans un arrêt de 2001 la faute grave a été écartée eu égard à l’ancienneté du salarié et au fait que la preuve d’un usage préjudiciable des fi chiers volés n’était pas rapportée (Soc., 4 décembre 2001, pourvoi n° 99-45.806)

Une étape a été franchie encore llorsque la haute cour a accepté la recevabilité des preuves produites par le salarié issus des documents derobés à son entreprise dès lors que ces documents pouvaient servir à sa defense devant toute juridiction.

La cour de cassation jugeait alors que « le salarié peut produire en justice, pour assurer sa défense dans le procès qui l’oppose à son employeur, les documents de l’entreprise dont il a connaissance à l’occasion de l’exercice de ses fonctions » (Soc., 2 décembre 1998, Bull., V, n° 535)

L’inconvenient de cette position était d’être en contradiction avec la chambre criminelle de la cour de cassation qui qualifiait de vol le fait pour un salarié de photocopier à des fins personnelles les documents de l’entreprise, sans autorisation préalable et ce, quels que soient les motifs et notamment même s’ils étaient destinés à servir en justice dans un contentieux prud’homal

Fianlement, la chambre criminelle, au profit d’un revirement de jurisprudence, a décidé que devait être relaxé du chef de vol le salarié qui, sans l’autorisation de son employeur, a appréhendé ou reproduit des documents de l’entreprise dont il a eu connaissance à l’occasion de ses fonctions, dès lors que leur production était strictement nécessaire à l’exercice des droits de sa défense dans le litige l’opposant à ce dernier.

Il résulte ainsi des solutions harmonisées de la Cour de cassation que l’appropriation et l’utilisation par le salarié de documents de l’entreprise est subordonnée à deux conditions :

1) le salarié doit avoir eu connaissance des documents litigieux à l’occasion de ses fonctions : il reviendra aux juges du fond, en cas de contestation sur ce point, de vérifier la manière dont le salarié a pu se procurer es documents produits,

2) Les documents soustraits à l’entreprise doivent être strictement nécessaires à l’exercice de la défense du salarié

Il appartiendra aux juges du fond de vérifier le rapport de proportionnalité devant exister entre l’appréhension des documents et leur stricte nécessité pour la défense du salarié et de faire un tri entre les différents documents produits selon leur pertinence pour les besoins du procès.

Portée de cette jurisprudence sur :

– la production d’enregistrements téléphoniques en justice

L’enregistrement de communications téléphoniques réalisées à l’insu du correspondant est considéré comme un procédé déloyal car il viole la vie privée du correspondant. De tels enregistrements ne peuvent donc être produits comme moyen de preuve.

– l’ enregistrement d’une conversation téléphonique entre un représentant de l’entreprise et un salarié

L’enregistrement d’une conversation téléphonique avec un représentant de l’entreprise effectuée par un salarié l’insu de son correspondant est un procédé déloyal et la preuve ainsi obtenue est irrecevable en justice.

– La preuve par SMS

Si l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectué à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il n’en est pas de même de l’utilisation par le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits S.M.S.

Les SMS sont conservés après lecture dans l’appareil récepteur et que leur éventuelle relecture est possible.

La chambre sociale de la cour de cassation estime, dans un arrêt du 23 mai 2007 que de tels messages peuvent servir de base à une preuve admissible. Elle énonce clairement la possibilité de leur utilisation par leur destinataire, en soulignant que leur auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur.

Une telle solution doit pouvoir être transposable pour les messages audio laissés sur le repondeur du salarié.

Une telle connaissance est effectivement incompatible avec tout raisonnement relatif à une utilisation « à l’insu » de l’auteur, fondement véritable de la déloyauté affectant les enregistrements de conversations privées.

Constat d’huissier

Si un constat d’huissier ne constitue pas un procédé clandestin de surveillance nécessitant l’information préalable du salarié, en revanche il est interdit à cet officier ministériel d’avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve, on revient ici au principe de loyauté dans la recherche de la preuve.

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Maître JALAIN, avocat en droit du Travail

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