Les pistes de réforme du Conseil de prud’hommes

La réforme de la justice prud’homale vue par la commission d’études des effets de la loi pour la croissance (janvier 2015) :

« Dans le cadre du débat parlementaire qui s’ouvre en janvier 2015 sur le projet de loi pour la croissance et l’activité, Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, a sollicité Jean Pisani-Ferry pour que France Stratégie assure la mise en place et le fonctionnement d’une commission d’experts indépendante chargée d’évaluer les effets des principales mesures prévues. Cette commission temporaire a retenu cinq thèmes prioritaires, la présente fiche retraçant les conclusions de la réflexion conduite sur la réforme de la justice prud’homale. La commission est présidée par Anne Perrot.

Après un bref rappel des objectifs et du contenu de la loi concernant la réforme de la justice prud’homale, cette fiche présente les résultats de travaux académiques ayant cherché à évaluer les effets de réformes de même nature visant d’une part à réduire les délais des procédures et d’autre part à professionnaliser les conseillers prud’homaux. Nous analysons également les principaux mécanismes découlant de cette loi à savoir la diminution des coûts de la justice prud’homale et l’accroissement de la sécurité juridique des procédures. Il apparaît en effet que la combinaison de ces différents éléments est susceptible d’avoir des effets partiels contraires selon que l’on s’intéresse aux effets sur les employeurs ou sur les salariés, sur les créations ou sur les destructions d’emplois, aux effets de court terme ou aux effets de long terme.

La section 1 rappelle les objectifs de la mesure et identifie les indicateurs permettant d’en mesurer l’impact. La section 2 détaille le contenu du projet de loi et la section 3 présente les éléments d’évaluation empiriques existants. Cette section met aussi en évidence les différents effets partiels évoqués, notamment les effets de la réduction des délais des procé- dures sur le coût et le volume des procédures, les effets sur le bien-être et sur l’emploi.

1. OBJECTIFS DE LA MESURE ET INDICATEURS D’ÉVALUATION RETENUS

  • OBJECTIFS

1. Raccourcir les délais

2. Faciliter le rapprochement des points de vue des parties avant le recours à une autre phase que celle de la conciliation

3. Faciliter les procédures

4. Une justice prud’homale performante […] source de sécurité pour les salariés comme pour les employeurs

  • INDICATEURS RETENUS

1. Réduction des délais des procédures

2. Réduction de l’insécurité juridique

3. Emploi

4. Productivité

2. CONTENU DE LA LOI ET MODALITÉS DE MISE EN ŒUVRE (ARTICLES 83 ET 84 DU PROJET DE LOI)

  • RENFORCEMENT DES OBLIGATIONS DÉONTOLOGIQUES DES CONSEILLERS

« L’acceptation par un conseiller prud’homme d’un mandat impératif, avant ou après son entrée en fonction et sous quelque forme que ce soit, constitue un manquement grave à ses devoirs. Si ce fait est reconnu par les juges chargés de statuer sur la validité des opérations électorales, il entraîne de plein droit l’annulation de l’élection de celui qui s’en est rendu coupable ainsi que son inéligibilité. Si la preuve n’en est rapportée qu’ultérieurement, le fait entraîne la déchéance du mandat de l’intéressé dans les conditions prévues aux articles L. 1442-13-2 à L. 1442-14 et L. 1442-16-1 à L. 1442-16-2.»

  • OBLIGATION DE FORMATION INITIALE POUR LES CONSEILLERS

« Les conseillers prud’hommes suivent une formation initiale à l’exercice de leur fonction juridictionnelle et une formation continue. Tout conseiller prud’homme qui n’a pas satisfait à l’obligation de formation initiale dans un délai fixé par décret est réputé démissionnaire. » ‘ « Les employeurs accordent aux salariés de leur entreprise, membres d’un conseil de prud’hommes, cinq jours d’autorisations d’absence pour les besoins de leur formation initiale prévue à l’article L. 1442-1. »

  • CRÉATION D’UN BUREAU DE JUGEMENT RESTREINT

« En cas d’échec de la conciliation, si le litige porte sur un licenciement ou une demande de résiliation judiciaire, le bureau de conciliation et d’orientation peut, avec l’accord des deux parties, en raison de la nature de l’affaire, renvoyer celle-ci devant le bureau de jugement dans sa composition restreinte mentionnée à l’article L. 1423-131. À défaut, l’affaire est renvoyée devant le bureau de jugement mentionné à l’article L. 1423-122. » ‘ « Le bureau de jugement dans la composition restreinte mentionnée au premier alinéa statue dans un délai de trois mois. »

  • POSSIBILITÉ D’ALLER DIRECTEMENT DE LA PHASE DE CONCILIATION À LA FORMATION DE JUGEMENT PRÉSIDÉE PAR UN JUGE PROFESSIONNEL

« En cas d’échec de la conciliation, le bureau de conciliation et d’orientation peut, d’office, en raison de la nature de l’affaire, renvoyer celle-ci devant la formation de jugement présidée par le juge désigné en application de l’article L. 1454-2. »

  • POSSIBILITÉ POUR LE PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR D’APPEL D’INTERVENIR EN CAS D’INTERRUPTION DURABLE DU FONCTIONNEMENT D’UN CONSEIL DES PRUD’HOMMES

« En cas d’interruption durable de son fonctionnement ou de difficultés graves rendant ce fonctionnement impossible dans des conditions normales, le premier président de la cour d’appel désigne un ou plusieurs juges du ressort de la cour pour connaître des affaires inscrites au rôle du conseil de prud’hommes. Il fixe la date à compter de laquelle les affaires sont provisoirement soumises à ce ou ces juges. »

  • RÉNOVATION DU CADRE DISCIPLINAIRE APPLICABLE AUX PERSONNES PARTICIPANT À L’EXERCICE DE LA JUSTICE PRUD’HOMALE

« En dehors de toute action disciplinaire, les premiers présidents de cour d’appel peuvent donner un avertissement aux conseillers prud’hommes des conseils de prud’hommes situés dans le ressort de leur cour. »

« Le pouvoir disciplinaire est exercé par une commission nationale de discipline qui est présidée par un président de chambre à la Cour de cassation, désigné par le premier président de la Cour de cassation. »

« La commission nationale de discipline peut être saisie par le garde des Sceaux, ministre de la Justice, ou le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle le conseil de prud’hommes auquel appartient le conseiller prud’homme mis en cause a son siège, après audition de celui-ci par le premier président. »

« Sur proposition du garde des Sceaux, ministre de la Justice, ou du premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle le conseil de prud’hommes auquel le conseiller prud’homme mis en cause appartient a son siège, le président de la commission nationale de discipline peut suspendre un conseiller prud’homme, pour une durée qui ne peut excéder six mois, lorsqu’il existe contre l’intéressé, qui aura été préalablement entendu par le premier président, des faits de nature à entraîner une sanction disciplinaire. »

  • CRÉATION DU STATUT DU DÉFENSEUR SYNDICAL

« Le défenseur syndical exerce des fonctions d’assistance ou de représentation devant les conseils de prud’hommes et les cours d’appel en matière prud’homale. Il est inscrit sur une liste arrêtée par l’autorité administrative sur présentation par les organisations représentatives d’employeurs et de salariés au niveau national dans les conditions définies par décret. »

3. ÉLÉMENTS D’ÉVALUATION EMPIRIQUE EXISTANTS

Les mesures principales de la loi visent à améliorer la qualité de la justice prud’homale en raccourcissant les délais des procédures et en améliorant la formation et le contrôle disciplinaire des conseillers prud’homaux. Les enjeux de cette réforme sont importants.

En 2013, la longueur des procédures est telle que l’État a été condamné 51 fois pour déni de justice en matière prud’homale. Le taux d’appel des décisions est de 62 % en 2012 contre 19,6 % pour les tribunaux de grande instance et 6,3 % pour les tribunaux d’instance. Le taux d’appel est en augmentation de 6 points depuis 2004. Certes, le taux d’appel élevé peut être lié à la spécificité des relations du travail qui peuvent être particulièrement conflictuelles. Mais il n’en reste pas moins que le taux de confirmation des décisions en matière prud’homale, de 28,3 %, est nettement plus faible que dans les tribunaux de grande instance (46,4 %) et d’instance (46 %). Cette fiche éclaire, à la lumière des travaux universitaires, les effets potentiels de la professionnalisation des conseillers prud’homaux et de la réduction des délais de procédure sur les coûts de licenciement, sur le sentiment de sécurité de l’emploi, sur l’emploi et sur la productivité.

  • LA PROFESSIONNALISATION DE LA JUSTICE PRUD’HOMALE

La réforme vise à professionnaliser la Justice et à améliorer la qualité et la prévisibilité des jugements : formation des conseillers, renforcement de leurs obligations déontologiques, notamment la suppression du mandat impératif, refonte de leur cadre disciplinaire et création du défenseur syndical.

(…)

  • LES EFFETS ATTENDUS DE LA RÉDUCTION DES DÉLAIS

La réforme de la Justice des prud’hommes vise à raccourcir la durée des jugements grâce à plusieurs dispositions : création d’un bureau de jugement restreint, possibilité d’aller directement de la phase de conciliation à la formation de jugement, faculté donnée au premier président de la cour d’appel d’intervenir en cas d’interruption durable du fonctionnement d’un conseil des prud’hommes.

  • EFFET SUR LE BIEN-ÊTRE ET SENTIMENT DE SÉCURITÉ DE L’EMPLOI

L’impact potentiel de la loi sur le sentiment de sécurité de l’emploi des salariés est éclairé par une étude récente de Fraisse, Prost et Roux (2015). Le sentiment de sécurité de l’emploi est évalué à partir de la question : « Pourriez-vous indiquer, sur une échelle allant de 1 (pas satisfait du tout) à 6 (très satisfait), votre degré de satisfaction vis-à-vis de la sécurité de votre emploi ? ». La diminution des délais de procédure prud’homale améliore le sentiment de sécurité de l’emploi des salariés. Les salariés se sentent mieux sécurisés lorsqu’ils peuvent obtenir plus rapidement réparations d’éventuels préjudices. La réduction des délais combinée à une amélioration de la prévisibilité des jugements visée par la loi est donc susceptible d’améliorer le sentiment de sécurité de l’emploi des salariés.

  • EFFETS SUR L’EMPLOI

De nombreux travaux empiriques étudient l’impact des coûts de licenciement supportés par les entreprises sur le fonctionnement du marché du travail. Ces travaux montrent que des coûts de licenciement plus élevés diminuent les destructions d’emploi, les créations d’emploi et ont généralement un effet global négatif sur l’emploi (voir la synthèse présentée dans Cahuc, Carcillo et Zylberberg, 2014).

(…)

  • EFFETS SUR LA PRODUCTIVITÉ

L’effet de la réforme sur la productivité – comme sur l’emploi – dépend de sa capacité à combiner efficacement réduction des délais de procédure et prévisibilité des jugements pour réduire les coûts de litiges pour les salariés et pour les entreprises. Si les coûts des litiges diminuent pour les deux parties, la loi peut avoir un impact positif sur la productivité. En effet, de nombreuses études ont montré qu’une diminution des coûts de licenciement améliore la productivité. Plusieurs canaux ont été identifiés : une meilleure allocation du facteur travail vers les entreprises les plus innovantes, une meilleure adaptabilité des entreprises à la conjoncture, ou encore un meilleur investissement des salariés dans l’entreprise. Par exemple, Autor et al. (2006) montrent qu’une jurisprudence plus protectrice des travailleurs aux États-Unis a conduit à une baisse de la productivité. Bassanini et al. (2009) mettent en évidence des effets négatifs de la protection de l’emploi sur la productivité globale des facteurs. Cingano et al. (2013), Micco et Pagés (2006), ou encore Martins (2009) aboutissent à des résultats similaires.

(…) « 

Source : Rapport de la Commission d’étude des effets de la loi pour la croissance, Réforme de la justice prud’homale, janvier 2015


Maître JALAIN – Avocat en droit du travail au Barreau de Bordeaux

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