Les conventions individuelles de forfait dans le secteur bancaire et du bâtiment sont-elles valables ?

Dans deux arrêts en date du 17 décembre 2014, la Cour de cassation rappelle les exigences et conditions de validité des conventions de forfait jour. Elle jugeait l’accord collectif du secteur bancaire suffisant contrairement à l’accord collectif applicable au secteur du bâtiment.

En application de l’article L3121-29 du Code du travail, un accord collectif doit prévoir les conditions principales de mise en oeuvre des conventions individuelles de forfait en jour sur l’année, les catégories de salariés concernées et la durée annuelle de travail minimale des forfaits.

En outre, la jurisprudence ajoutait comme condition la garantie du respect des durées maximales de travail et des droits au repos journaliers et hebdomadaires.

En l’absence d’une de ces conditions, la convention de forfait est nulle.

De nombreux accords collectifs ont ainsi été remis en cause par la Cour de cassation, estimant qu’ils ne garantissaient pas les durées maximales de travail ni les droits au repos minimaux en ce que la charge et l’amplitude de travail n’étaient pas suffisamment contrôlées si bien qu’il était impossible de savoir si elles restaient raisonnables.

La Cour de cassation analysait ainsi l’accord collectif du secteur du bâtiment ainsi que l’accord collectif du secteur bancaire :

  • Concernant le bâtiment, elle jugeait les garanties conventionnelles insuffisantes en ce que l’accord prévoyait seulement de laisser la liberté suffisante aux salariés en forfait jour dans l’organisation d’une partie de leur temps de travail (cass. soc. 17 décembre 2014, n°13-23230),
  • Concernant le secteur bancaire, la Cour de cassation jugeait l’accord suffisant en ce qu’il prévoyait le décompte auto-déclaratif des journées travaillées, un suivi régulier et précis de la part de la hiérarchie ainsi que la garantie de respecter le repos quotidien de 11 heures consécutives (cass. soc. 17 décembre 2014, n°13-22890).

Par Me JALAIN

Avocat en droit du travail au Barreau de Bordeaux

www.avocat-jalain.fr

contact@avocat-jalain.fr

Adresse : 197 rue des orangers BORDEAUX (33 200)

Cass. soc. 17 décembre 2014, n°13-23230 :

« LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 28 juin 2013), que M. X… a été engagé par la société Fondasol en qualité d’ingénieur à compter du 2 juillet 2007 ; que le contrat de travail contenait une clause de forfait en jours ; qu’après son licenciement intervenu le 5 octobre 2010, le salarié a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal de l’employeur :

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de déclarer illicite et inopposable au salarié la convention individuelle de forfait en jours, alors, selon le moyen :

1°/ que les défaillances de l’employeur dans la mise en oeuvre d’un accord collectif prévoyant la conclusion de conventions de forfait en jours n’entraînent l’inopposabilité au salarié de la convention individuelle de forfait conclue que si elles concernent les dispositions conventionnelles destinées à assurer la protection de la santé et le droit au repos de ce salarié ; que les dispositions de l’accord collectif relatives à la création d’un compte épargne temps ou tout système équivalent, destiné à permettre au salarié d’accumuler des droits à congés supplémentaires par rapport au congé annuel et, le cas échéant, de les monétiser, ne concourent pas à assurer l’effectivité de son droit au repos, ni à la protection de sa santé, de sorte que le défaut d’exécution par l’employeur de cette exigence conventionnelle ne met pas en cause la validité de la convention de forfait en jours ; qu’en déclarant inopposable à M. X… la convention de forfait en jours insérée dans son contrat de travail sur l’unique constatation de ce que, contrairement aux prévisions de l’accord collectif elle ne prévoyait pas la possibilité d’utiliser un compte épargne temps, ni aucun autre avantage de substitution, et que « le non-respect de l’une des conditions fixées par l’accord collectif suffit à rendre la convention individuelle de forfait illicite et inopposable au salarié », quand la méconnaissance, par l’employeur, d’une stipulation de l’accord collectif qui ne concourait pas à la protection de la santé ou du droit au repos du salarié ne mettait pas en cause la validité de la convention individuelle de forfait en jours, la Cour d’appel a violé l’article L3121-45 du Code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 ;

2°/ qu’en retenant, à l’appui de sa décision, que l’employeur « n’est pas en mesure de justifier » de la mise en place du suivi par la tenue du « document individuel de contrôle des journées et demi-journées travaillées » prévu par la convention de forfait, la cour d’appel a dénaturé par omission les documents individuels de contrôle du temps de travail de M. X… produits devant elle par la société Fondasol et invoqués dans ses écritures, violant ainsi le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

Mais attendu, d’abord, que le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles ;

Attendu, ensuite, qu’il résulte de l’article 17, paragraphes 1 et 4 de la Directive 1993-104 du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la Directive 2003-88 CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 que les États membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur ;

Attendu, encore, que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ;

Et attendu, d’une part, que le titre III de l’accord national professionnel du 6 novembre 1998 relatif à l’organisation, à la réduction du temps de travail et à l’emploi dans le bâtiment, qui se borne à prévoir que le contrat de travail doit laisser aux salariés concernés la liberté dans l’organisation d’une partie de leur temps de travail, n’est pas de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours, et, d’autre part, que la cour d’appel a constaté que les modalités de mise en oeuvre de ces dispositions conventionnelles ont été fixées, non par accord collectif, mais par une note de service ; que par ces motifs substitués d’office, après avis donné aux parties en application de l’article 1015 du Code de procédure civile, à ceux tirés de la violation des dispositions conventionnelles relatives au compte épargne-temps et justement critiqués par le moyen, l’arrêt se trouve légalement justifié ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident du salarié :

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société Fondasol aux dépens ;

Vu l’article 700 du Code de procédure civile, rejette la demande de la société Fondasol et condamne celle-ci à payer à M. X… la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept décembre deux mille quatorze. »

Cass. soc. 17 décembre 2014, n°13-22890

« LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X… a été engagé le 12 décembre 2005 en qualité de fondé de pouvoir par la société Rothschild et Cie au sein de laquelle il a occupé en dernier lieu la fonction de sous-directeur ; qu’il a été licencié pour insuffisance professionnelle le 22 décembre 2008 ; que contestant le bien-fondé de son licenciement, il a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal de l’employeur :

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen :

1°/ que n’institue pas au profit du salarié une garantie de fond dont le non-respect prive son licenciement de cause réelle et sérieuse la disposition conventionnelle qui énonce de manière générale « qu’avant d’engager la procédure de licenciement pour motif non disciplinaire , l’employeur doit avoir considéré toutes solutions envisageables, notamment recherché le moyen de confier au salarié un autre poste lorsque l’insuffisance résulte d’une mauvaise adaptation de l’intéressé à ses fonctions », et que « le licenciement pour motif non disciplinaire est fondé sur un motif objectif et établi d’insuffisance professionnelle » ; qu’en jugeant le contraire, la Cour d’appel a violé l’article 1232-1 du Code du travail ensemble l’article 26 de la convention collective nationale de la banque ;

2°/ que la lettre de licenciement de M. X… lui reprochait en 2007 des « lacunes techniques et difficultés à appréhender des opérations complexes, illustrées notamment à l’occasion de vos interventions sur les dossiers Atos et Camaïeu », et en 2008 des « carences en particulier apparues dans le cadre de trois opérations nécessitant une forte implication (les dossiers Sonaca, Unilever et Générali) et pour lesquels votre hiérarchie a constaté vos défaillances, tant en termes d’exécution des travaux demandés qu’au plan de la supervision. Dans le même sens, vos prestations sur les dossiers Atos, CGG et Enmewa ont fait ressortir vos limites sur le plan technique », ainsi que dans « les dossiers Med Gre et Hermeline » ; qu’en jugeant qu’il s’évinçait des éléments de cette lettre que l’employeur avait licencié M. X…, compte tenu de sa mauvaise adaptation à ses fonctions de sous-directeur, la Cour d’appel a violé l’article 26 de la convention collective nationale de la banque par fausse application ;

3°/ que l’article 26 de la convention collective de la banque exige de l’employeur qu’il envisage de confier à un autre poste au salarié lorsque l’insuffisance professionnelle invoquée résulte d’une mauvaise adaptation de l’intéressé à ses fonctions, ce qui impose au juge de rechercher quelle est la cause de l’insuffisance professionnelle, au-delà des termes de la lettre de licenciement qui ne fixe les limites du litige qu’à l’égard du motif de licenciement invoqué ; qu’en retenant que la lettre de licenciement n’évoque nullement le désintérêt de M. X… pour ses nouvelles fonctions et son manque de mobilisation à compter d’avril 2008 face à la crise financière, sans rechercher comme elle y était invitée, si l’employeur ne justifiait pas de ce que l’insuffisance reprochée trouvait sa cause dans le désintérêt et le manque de mobilisation du salarié et non pas dans son inadaptation à son poste, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 26 de la convention collective de la banque ;

4°/ que la société Rothschild faisait valoir que M. X… avait été recruté en qualité de fondé de pouvoir, avec une progression de carrière bien définie, qui impliquait une évolution au poste de sous-directeur, puis directeur adjoint, directeur et enfin adjoint et qu’il avait bénéficié pour ce faire d’une formation continue de deux ans, ce dont il résultait qu’aucune solution de formation alternative n’aurait permis d’éviter son licenciement ; qu’en jugeant que l’employeur qui s’était abstenu de rechercher une solution alternative à la mesure ultime du licenciement avait méconnu les dispositions de l’article 26 de la convention collective, sans cependant s’expliquer sur les solutions alternatives qu’il aurait pu envisager, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 26 de la convention collective de la banque ;

Mais attendu, selon l’article 26, alinéa 1er de la convention collective nationale de la banque, relatif au licenciement pour motif non disciplinaire, qu’avant d’engager la procédure de licenciement, l’employeur doit avoir considéré toutes solutions envisageables, notamment recherché le moyen de confier au salarié un autre poste lorsque l’insuffisance résulte d’une mauvaise adaptation de l’intéressé à ses fonctions ; qu’il en résulte que la méconnaissance par l’employeur de cette obligation prive le licenciement de cause réelle et sérieuse ;

Et attendu qu’ayant relevé que la lettre de licenciement faisait état des carences techniques et insuffisances du salarié de sorte qu’il n’était pas parvenu à atteindre le niveau requis pour son positionnement au sein de la banque, ce dont elle a pu déduire que le licenciement avait été prononcé en raison de la mauvaise adaptation de l’intéressé à ses fonctions, la cour d’appel, qui a constaté que l’employeur ne justifiait, ni n’alléguait avoir considéré toutes solutions envisageables préalables à l’engagement de la procédure de licenciement et fait ressortir qu’il n’avait pas recherché le moyen de confier au salarié un autre poste, a, sans être tenue de procéder à des recherches que ses énonciations rendaient inopérantes, légalement justifié sa décision ;

Sur les deux moyens du pourvoi incident du salarié :

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur ces moyens qui ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

Mais sur le second moyen du pourvoi principal de l’employeur :

Vu l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l’article L. 3121-45 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière de l’article 17, paragraphes 1 et 4 de la Directive 1993-104 CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la Directive 2003-88 CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ensemble l’article 6-2 de l’accord d’aménagement et de réduction du temps de travail dans le secteur des banques du 29 mai 2001 ;

Attendu, d’abord, que le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles ;

Attendu, ensuite, qu’il résulte des articles susvisés des Directives de l’Union européenne que les États membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur ;

Attendu, encore, que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ;

Attendu, enfin, que l’accord d’aménagement et de réduction du temps de travail dans le secteur des banques du 29 mai 2001 prévoit que « Le décompte des journées et demi-journées travaillées se fait sur la base d’un système auto-déclaratif », que « l’organisation du travail de ces salariés devra faire l’objet d’un suivi régulier par la hiérarchie qui veillera notamment aux éventuelles surcharges de travail », que « dans ce cas, il y aura lieu de procéder à une analyse de la situation, de prendre le cas échéant toutes dispositions adaptées pour respecter, en particulier, la durée minimale du repos quotidien prévue par l’article L220-1 du Code du travail et de ne pas dépasser le nombre de jours travaillés, et ce dans les limites prévues au dernier alinéa de l’article L212-15-3-III dudit Code », que « La charge du travail confiée et l’amplitude de la journée d’activité en résultant doivent permettre à chaque salarié de prendre obligatoirement le repos quotidien visé ci-dessus » et que « la durée minimale de ce repos est fixée légalement à 11 heures prises d’une manière consécutive et, le cas échéant, selon les modalités de l’article 63 de la convention collective de la banque. » ;

Attendu que pour dire que la convention de forfait en jours doit être considérée comme illicite, l’arrêt retient que l’avenant au contrat de travail du salarié mentionne que « l’organisation du travail du salarié fera l’objet d’un suivi régulier avec sa hiérarchie afin que la durée minimale de repos quotidien soit respectée et que le nombre de jours travaillés ne soit pas dépassé. En cas de surcharge de travail, M. X… devra informer dès que possible sa hiérarchie », et qu’il apparaît ainsi que ces dispositions contractuelles, prises en application de l’accord de branche, ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition dans le temps de travail de l’intéressé et donc à assurer la protection de la santé et de la sécurité du salarié, qu’en effet, le système auto-déclaratif qui tend en réalité à faire peser sur le salarié la garantie de son droit à la santé et au repos ne saurait être considéré comme licite puisqu’il appartient à l’employeur, seul, soumis à une obligation de sécurité de résultat de veiller à garantir le droit à la santé et au repos de ses salariés ;

Qu’en statuant ainsi, alors que répondent aux exigences relatives au droit à la santé et au repos, les dispositions de l’accord d’aménagement et de réduction du temps de travail dans le secteur des banques du 29 mai 2001 imposant notamment à l’employeur de veiller à la surcharge de travail et d’y remédier, de sorte qu’est assuré le contrôle de la durée maximale raisonnable de travail, la cour d’appel, qui s’est référée au seul contrat de travail, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne la société Rothschild et Cie à payer à M. X… les sommes de 104 108,38 euros au titre des heures supplémentaires, 10 410,83 euros au titre des congés payés afférents, 54 404,37 euros au titre de l’indemnité compensatrice de la contrepartie obligatoire en repos et 5 440,43 euros au titre des congés payés afférents, l’arrêt rendu le 12 juin 2013, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles ;

Condamne M. X… aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept décembre deux mille quatorze. »