L’ennui au travail jugé comme pouvant constituer un harcèlement moral

Le « burn-out », caractéristique de l’épuisement professionnel, fait son apparition dans denombreux contentieux, initié par des salariés qui engagent la responsabilité de leur employeur eu égard à un accroissement durable de leur charge de travail.

Son pendant, le bore-out définit une situation de sous-activité des taches confiées aux salariés vient désormais d’être reconnu par les juridictions sociales.

Naviguer sur internet sans but précis, passer son temps à regarder l’heure défiler, faire durer les pauses cafés semble anodin quand la situation ne dure pas. Toutefois, lorsque ce sentiment est
quotidien, cela peut vite devenir négatif et entrainer pur le salarié anxiété, fatigue ou encore la dépression.

Selon une étude Steptone de 2008, 32% des salariés européens seraient touché par l’ennui au travail.

Le bore-out s’entend comme la conséquence d’un épuisement professionnel provoqué par l’ennui, le manque et l’absence de tâche inhérente à la fonction du salarié. Ce manque notable et constant
de travail entraine une dévalorisation de soi ainsi qu’une grande fatigue psychologique.

 

Selon Marie PEZE, docteur en psychologie, lorsqu’un « employé n’arrive pas à donner un sens à son action quotidienne, il s’en porte très mal. Les symptômes varient selon le conteste et selon l’individu,   mais ils peuvent se traduire par une alchimie négative, explosive et destructrice ».

 

Comme l’explique la Cour de cassation (Soc. crim, n°12-81239), l’employeur « a pour obligation de fournir du travail à ses salarié, contrepartie du salaire perçu, et il ne peut sans affranchir, sauf
situation économique ou relation sociale telle que le licenciement s’impose ».

 

En effet, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt inédit en reconnaissant le bore-out comme une forme de harcèlement moral au sens de l’article L 1152-1 du Code du travail.

 

En l’espèce, un salarié a été embauché comme responsable des services généraux.

 

Quelques années après, en 2014, ce dernier fait l’objet d’une crise d’épilepsie et d’une dépression brutale.

 

Naturellement placé en arrêt maladie, le salarié est licencié quelques mois plus tard au motif d’une absence prolongée désorganisant l’entreprise et nécessitant son remplacement définitif.
Saisissant le Conseil de prud’hommes, le salarié estime que son état est la conséquence d’un harcèlement moral provoqué par une pratique de mise à l’écart par son employeur et d’une
absence de taches correspondant à son statut.

 

Après une analyse de la situation, les juges du fonds considèrent que le salarié a bien été victime d’un harcèlement moral provoqué par une sous activité permanente dans laquelle était laissé le
salarié.

 

En effet, au regard de l’article L 1152-1 du Code du travail, « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses
conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

De la même manière, en vertu de l’article L 1154-1 du même Code, dans sa rédaction applicable au litige, lorsque survient un litige relatif au harcèlement moral, le salarié établit des faits qui
permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et au vu de ces éléments il appartient à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que
sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

 

Ainsi, la Cour d’appel condamne l’absence de réaction de l’employeur face à l’ennui au travail comme constitutif de harcèlement moral.

 

Considérant les diverses attestations produites et les données médicales versées au dossier, elle estime que la dégradation des conditions de travail du salarié lié à l’inactivité sont le corollaire de
la dégradation de sa santé.

De son côté, l’employeur échoue à démontrer que les agissements dénoncés étaient étrangers à tout harcèlement moral, lequel est par conséquent établi.

 

Mais ce dernier n’avait pas établi les tâches confiées au salarié et n’avait pas contesté « les opérations de maintenance au domicile du PDG de la société », tout « en maintenant que celles-ci étaient toutefois rarissimes ». Il attribuait l’origine des difficultés professionnelles du salarié au fait que celui-ci n’avait vu ses responsabilités évoluer vers un poste de responsable sociétal de l’entreprise.

 

Le harcèlement moral a donc été reconnu et le préjudice du salarié indemnisé par des dommages et intérêts fixés à 5 000 €.

 

De plus, le licenciement étant jugé nul (c. trav. art. L. 1152-1 à L. 1152-3), il a été octroyé au salarié :

 

– 35 000 € de dommages et intérêts au titre du licenciement nul ;
– 8 855 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis (indemnité compensatrice de congés payés, inhérents au préavis, comprise).

 

Cette solution innovante n’est toutefois pas nouvelle puisque la notion de « bore-out » avait déjà fait l’objet d’un contentieux.

 

En effet, la Cour d’appel de Versailles avait attesté d’un harcèlement moral dans un contentieux dans lequel un médecin du travail avait signalé des comportements de
bore-out où l’employeur n’avait pas rapporté des preuves contraires.

 

La Cour d’appel ne semble pas exiger un élément intentionnel accompagnant l’inactivité subit par le salarié. Ainsi, le bore-out pourrait être caractérisé chaque fois que l’employeur ne réagit pas à
une situation de sous-occupation du salarié.

 

Ainsi, cet arrêt est la porte ouverte à la reconnaissance officielle du bore-out par les juridictions   françaises.

 

Compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation, il y a tout lien de considérer qu’elle validera ces décisions des juges du fonds. Il sera probable que de nombreux salariés s’en
prévaudront.

 

Cour d’appel de Paris, Pôle 6-chambre 11, 2 juin 2020, n°18/05421