L’employeur peut-il contrôler la messagerie instantanée de ses salariés ?

L’émergence des nouvelles technologies oblige régulièrement la Cour de cassation à adapter ou préciser sa jurisprudence. Dans l’arrêt du 23 octobre 2019, il est certes question de l’application MSN désormais  disparue, mais la solution retenue reste d’actualité pour les messageries instantanées type WhatsApp.

 

La question est de savoir si un employeur peut fonder un licenciement après avoir pris connaissance, sans accord du salarié, des échanges issus d’une messagerie instantanée personnelle accessible ou installée sur un ordinateur professionnel.

 

 

Il convient tout d’abord  établir une distinction selon qu’il s’agit d’une messagerie professionnelle ou selon qu’il s’agit d’une messagerie strictement personnelle.

 

  • La messagerie instantanée personnelle protégée par le secret des correspondances

 

Dans cette affaire soumise à la cour de cassation, une salariée engagée en qualité de secrétaire est licenciée pour faute grave, l’employeur lui reprochant d’avoir, au moyen d’une messagerie instantanée installée sur son ordinateur professionnel, communiqué à une autre salariée des documents confidentiels à propos de collègues, qu’elle n’aurait dû ni consulter ni divulguer.

 

 

La salariée contestait son licenciement, jugeant que l’employeur a accédé à ces échanges en violation du secret des correspondances.

 

Dans un premier temps le conseil de prud’hommes puis la cour d’appel reconnaissent une violation par l’employeur du secret des correspondances de la salariée, s’agissant d’une messagerie instantanée personnelle.

 

La cour de cassation suit le même raisonnement que pour les emails adressés ou reçus sur une messagerie personnelle, distincte de la messagerie professionnelle, lesquels sont nécessairement à caractère privé et couverts par le secret des correspondances (Cass. soc. 26-1-2016 n° 14-15.360)

 

« Ayant constaté que les messages électroniques litigieux, échangés au moyen d’une messagerie instantanée, provenaient d’une boîte à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont la salariée disposait pour les besoins de son activité, la cour d’appel en a exactement déduit qu’ils étaient couverts par le secret des correspondances », a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 23 octobre 2019.

 

Il en résulte que l’employeur ne peut valablement ni les consulter ni s’en prévaloir devant le juge même si cette messagerie personnelle a été installée ou consultée par le salarié sur l’ordinateur mis à sa disposition par l’employeur.

 

Si on raisonne à partir de la jurisprudence de la Cour de cassation rendue à propos des fichiers enregistrés sur l’ordinateur et des boîtes mails professionnels, les conversations tenues sur ces messageries devraient être présumées professionnelles si elles ne sont pas explicitement identifiées comme personnelles ou privées, de sorte que l’employeur peut les contrôler librement en l’absence du salarié Cass. soc. 16-5-2013 n° 12-11.866

 

Cependant,  et c’est ici que cela se complique, même valablement consultés, les emails du salarié ne peuvent être invoqués à l’appui d’une sanction disciplinaire que si leur contenu est en rapport avec son activité professionnelle et ne revêt pas un caractère privé.

 

Concernant les messages identifiés comme personnels, l’employeur ne peut pas les consulter hors la présence du salarié.  Il peut demander au juge de désigner un huissier de justice à cette fin s’il justifie d’un motif légitime. Le procès-verbal, établi par ce dernier après ouverture du courriel en présence du salarié, peut être retenu comme preuve d’un manquement de l’intéressé à ses obligations contractuelles (Cass. soc. 23-5-2007 n° 05-17.818 FS-PBRI)

 

La question se posera forcement avec  l’application WhatsApp qui ne s’appuie pas sur un compte email mais sur un numéro de téléphone. Toutefois, la jurisprudence étant similaire pour le téléphone professionnel il apparait que le secret des correspondances aura aussi vocation à être protégé même si le compte utilise le numéro professionnel.

 

Cass. soc. 23 oct. 2019, n° 17-28448

 

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de dire le licenciement abusif et de le condamner à payer à la salariée diverses sommes, alors, selon le moyen :

 

1°/ que les courriers ou messages adressés par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel en sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l’intéressé, sauf si le salarié les identifie comme personnels ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que les propos et agissements reprochés à Mme P… résultaient d’une correspondance échangée avec l’une de ses collègues de travail sur leurs ordinateurs de travail respectifs, par la voie de la messagerie instantanée installée sur lesdits ordinateurs ; qu’il en résultait que ces messages instantanés étaient présumés avoir un caractère professionnel et que, faute de les avoir été identifiés comme étant personnels, Mme P… ne pouvait reprocher à l’employeur d’en avoir pris connaissance, même sans son autorisation ou celle de la destinataire de ces messages ; qu’en écartant au contraire ces messages instantanés comme constituant des modes de preuve illicites, au motif qu’ « à l’évidence un tel compte de messagerie est personnel et distinct de la messagerie professionnelle sans qu’il soit besoin d’une mention « personnel » ou encore « conversation personnelle » », la cour d’appel a violé les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil, 9 du code de procédure civile et L. 1121-1 du code du travail ;

 

2°/ que la circonstance que la messagerie instantanée installée sur l’outil informatique du salarié comporte certains messages de contenu personnel n’est pas de nature à écarter la présomption de caractère professionnel des messages échangés par le salarié par ce biais ; qu’en retenant au contraire que « l’affirmation dans la lettre de licenciement que le président de la SAS a trouvé dans cette messagerie « des éléments personnels de votre vie privée, qui sont totalement étrangers au fonctionnement de l’entreprise » » emportait renversement de la présomption de caractère professionnel des messages échangés à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour accomplir ses fonctions, la cour d’appel a violé, par fausse application, les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil, 9 du code de procédure civile et L. 1121-1 du code du travail ;

 

Mais attendu qu’ayant constaté que les messages électroniques litigieux, échangés au moyen d’une messagerie instantanée, provenaient d’une boîte à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont la salariée disposait pour les besoins de son activité, la cour d’appel en a exactement déduit qu’ils étaient couverts par le secret des correspondances ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;