L’annulation du mariage homosexuel de Begles par la cour d’appel de Bordeaux
La cour d’appel de Bordeaux dans un arrêt du 19 avril 2005 annule le « mariage homosexuel » de Bègles.
La cour d’appel de bordeaux confirme que le droit français ne reconnaît pas le mariage entre personnes du même sexe et qu’aucune jurisprudence européenne ne peut être invoquée pour remettre en cause le droit interne sur la question du mariage. Ce jugement pourfend ainsi la thèse du « vide juridique », sur laquelle se fondaient les avocats de Stéphane Chapin et de Bertrand Charpentier, soulignant au passage les irrégularités commises par le maire de Bègles, Noël Mamère, en sa qualité d’officier d’état-civil.
Mr C et Mr CH. c/ Ministère Public (mariage homosexuel – appel)
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
SIXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRET DU: 19 AVRIL 2005
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 juillet 2004 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (1ère Chambre Civile, RG n° 6427/2004) suivant déclaration d’appel du 02 septembre 2004
APPELANTS:
Stéphane C.,
né le (anonymisé par Juritel) à (anonymisé par Juritel)
de nationalité Française
demeurant (anonymisé par Juritel)
(anonymisé par Juritel)
(anonymisé par Juritel)
Bertrand CH.
né le (anonymisé par Juritel) à (anonymisé par Juritel)
de nationalité Française
demeurant (anonymisé par Juritel)
(anonymisé par Juritel)
(anonymisé par Juritel)
représentés par la SCP GAUTIER & FONROUGE, avoué à la Cour, et assistés de Maître Caroline MECARY (E.382), de Maître Yvan REDLER (P.129), et de Maître Emmanuel PIERRAT (L.166), avocats au barreau de PARIS,
INTIMÉ:
LE MINISTÈRE PUBLIC
Représenté par Jacques DEFOS DU RAU, Avocat Général, entendu en ses observations,
COMPOSITION DE LA COUR:
L’affaire a été débattue le 16 mars 2005 en audience publique, devant la Cour composée de:
Franck LAFOSSAS, Président,
Philippe GUENARD, Conseiller,
Philippe LEGRAS, Conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Josette della GIUSTINA
ARRET:
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 al. 2 du ncpc.
Les faits:
Le 25 mai 2004 l’officier d’état civil de la commune de Bègles en Gironde (33) effectuait la publication préalable au mariage annoncé de Stéphane, Simon, Pierre C. et de Bertrand, Jean-Luc, Pierre CH..
Les actes de naissance de chacun des deux intéressés mentionnaient un sexe masculin.
La compétence de l’officier d’état civil de Bègles résultait de leur domicile affirmé comme se trouvant pour tous deux à (anonymisé par Juritel).
La preuve de ce domicile à Bègles ressortait du contrat de location d’un appartement à cette adresse conclu avec Édith P. par Stéphane C. le 5janvier 2004 pour une durée indéterminée et par l’attestation de ce dernier “sur l’honneur que Monsieur CH. Bertrand demeure à mon adresse de Bègles (33) citée ci-dessus”.
Le 26 mai 2004 le procureur de la République de Bordeaux faisait notifier son opposition au mariage en raison de l’identité de sexe.
Cette opposition était notifiée à l’officier d’état civil le 27 mai 2004, inscrite sur les registres de l’état civil le 2 juin 2004.
Il s’avérait impossible de notifier à Bègles l’opposition à Stéphane C. et à Bertrand CH., l’huissier constatant qu’aucun des deux n’y avait de domicile ou de résidence.
À leur domicile déclaré ne figurait qu’une boîte aux lettres au nom de Monsieur et Madame P. Yannick et Édith. Cette dernière (signataire du contrat de bail justifiant le domicile) déclarait connaître Stéphane C. mais qu’il n’avait jamais demeuré en ce lieu.
Aucun élément ne permettait d’y découvrir leur véritable domicile. Deux procès-verbaux en étaient dressés en application de l’article 659 du nouveau code de procédure civile (n.c.p.c.) le 2juin 2004.
De l’enquête à laquelle le procureur de la République faisait procéder leur présence était découverte à Saint-Aubin-du-Médoc (33).
Aucune demande de publication en vue de mariage n’avait été formulée auprès de la mairie de cette ville.
Le lendemain 3 juin l’huissier instrumentaire notifiait l’opposition au mariage aux intéressés par acte à mairie de Saint-Aubin-du-Médoc après avoir vérifié exact leur domicile en cette ville.
Il n’était pas demandé mainlevée de l’opposition.
Malgré l’opposition ainsi notifiée aux deux intéressés et à l’officier d’état civil de Bègles, ce dernier dressait à leur égard le 5 juin 2004 à 1 i heures l’acte qualifié de mariage et qui est l’objet du présent débat.
Cet acte est ainsi rédigé “ils ont déclaré l’un et l’autre vouloir se prendre pour époux”.
Procédure de première instance:
Le 11 juin 2004 le procureur de la République demandait au président du tribunal de grande instance de Bordeaux l’autorisation de faire assigner Stéphane C. et Bertrand CH. à jour fixe devant sa juridiction aux fins d’annulation de l’acte du 5juin 2004.
Cette autorisation était accordée le même jour pour le mardi 29 juin 2004, avec obligation d’assigner avant le 18juin.
Le Ministère Public faisait procéder à cette assignation le 15 juin 2004 mais l’acte d’huissier ne contenait pas, en pièces jointes, la requête et l’autorisation de jour fixe.
Une nouvelle demande d’autorisation était formulée au président du tribunal le 22 juin 2004, l’autorisation était accordée le même jour pour le 29 juin (sans délai particulier pour ce faire) et une nouvelle assignation était délivrée le 22juin, cette fois sans omission.
L’affaire était plaidée le 29 juin 2004 et par jugement rendu le 27 juillet 2004 l’acte du 5 juin 2004 était déclaré nul, le ministère public étant reçu dans son action.
Procédure d’appel:
Par acte remis au greffe de la Cour le 2 septembre 2004 Stéphane, Simon, Pierre C. et Bertrand, Jean-Luc, Pierre CH., se déclarant domiciliés à Saint-Aubin-du-Médoc (33) et non pas à Bègles (33), ont relevé appel contre le ministère public pris en la personne du procureur général près la cour d’appel de Bordeaux du jugement rendu à leur encontre le 27juillet 2004 par le tribunal de grande instance de cette ville.
Les appelants précisent dans leurs conclusions signifiées le 3 janvier 2005 que la décision déférée est critiquable et il est en conséquence demandé:
1) in limine litis
– d’annuler la décision déférée, le tribunal n’ayant été valablement saisi ni par l’assignation du 15 juin 2004, violation de l’article 789 n.c.p.c., ni par celle du 22juin 2004, constater que l’action du ministère public ne sollicite pas l’annulation sur le fondement d’une incompétence territoriale de l’officier d’état civil ou d’une fraude à la loi, constater que les cas de nullité à mariage auxquels se réfère le ministère public ne contiennent pas de condition de différence de sexe, en conséquence le déclarer irrecevable en sa demande de nullité pour défaut de droit d’agir,
2) subsidiairement sur le fond, à titre principal:
.Constater que les défendeurs ont valablement justifié de la condition de domicile lors de la publication des bans,
.constater qu’aucune disposition du code civil ne prohibe expressément l’accès du mariage civil aux couples de personnes de même sexe,
.dire et juger que le mariage n’a pas été célébré en fraude à la loi,
.dire et juger que le mariage civil n’est pas limité à l’union d’une femme et d’un homme et peut comprendre l’union de deux femmes ou de deux hommes,
.débouter le ministère public de sa demande en nullité,
3) plus subsidiairement:
.dire et juger que l’opposition à mariage et la demande en nullité fondée sur le non respect de la différence de sexe constituent une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale et au mariage des défendeurs, .dire et juger que cette ingérence n’est pas prévue par la loi, qu’elle n’est pas nécessaire dans une société démocratique et qu’elle ne poursuit pas un but légitime au sens des articles 8 et 12 combinés de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (C.E.D.H),
.dire et juger que l’opposition à mariage et la demande en annulation fondée sur le non respect de la condition de différence des sexes constituent une privation de jouissance du droit au mariage contraire aux dispositions des articles 8,12 et 14 combinés de la Convention, en conséquence débouter le procureur général de l’ensemble de ses demandes.
Le ministère public intimé, par ses dernières conclusions signifiées le 20 janvier 2005, sollicite la confirmation de l’annulation sur la seule question de l’absence de différence de sexe. Il renonce expressément à tout moyen tiré de l’absence de publication régulière, de l’inexactitude du domicile déclaré et de la célébration du mariage au mépris de son opposition.
Sur quoi, la Cour:
Le présent litige a été présenté comme fait de société et les appelants ont développé sur le sujet une argumentation juridique vaste et de grande qualité. Le ministère public a répondu en posant notamment la question de la nature du mariage et de l’évolution de la notion de couple. Suite à la particulière richesse de ce débat la cour estime opportun d’effectuer un rappel non succinct mais quasi-exhaustif des thèses en cause.
1) la procédure, l’assignation:
a) faits et moyens des parties:
Lorsque, suite à autorisation présidentielle, le procureur de la République a fait assigner à jour fixe les défendeurs en annulation de mariage par acte du 15 juin 2004, il a omis de joindre à cet acte l’autorisation d’assigner ainsi que sa requête, contrairement aux dispositions de l’article 789 n.c.p.c. Il a alors sollicité une seconde autorisation et par second acte du 22 juin 2004 il a délivré une nouvelle assignation, cette fois-ci complète.
Les appelants soutiennent que le premier acte est nul pour le défaut de forme sus cité, qui leur fait grief, et que le second aurait dû être délivré dans le délai qui avait été imposé par le président pour le premier, soit avant le 18 juin 2004, si bien que cette seconde assignation est caduque. Ils affirment que cette façon de procéder démontre l’inégalité des armes en faveur du ministère public, violation du principe affirmé à l’article 6 C.E.D.H.
Le premier juge a estimé n’être saisi que par la seconde assignation, régulièrement délivrée.
Le ministère public intimé s’approprie ces motifs.
b) décision de la cour:
Ainsi que le premier juge l’a exactement analysé, la première assignation à jour fixe sur autorisation présidentielle n’a pas été inscrite au rôle et le tribunal n’en a pas été saisi. La cour n’en a pas davantage été saisie, il est sans intérêt de la commenter.
La seconde assignation, distincte de la première, ne contenait aucune erreur, c’est elle qui a été enrôlée et qui a saisi la juridiction.
Le président du tribunal n’avait pas fixé de date limite d’assignation dans cette seconde autorisation, juridiquement indépendante de la précédente, et le ministère public ne peut se voir reprocher aucun dépassement de délai.
Par confirmation la saisine du tribunal sera reconnue valable.
2) recevabilité de l’action:
a) faits et moyens des parties:
Les appelants soutiennent que le ministère public n’est pas recevable faute de texte précis interdisant le mariage entre personnes de même sexe et fondant son action.
Le tribunal a considéré que l’article 184 du code civil (c. civ.) attribue compétence au ministère public.
Le ministère public rappelle que par application de l’article 423 n.c.p.c. il peut toujours agir à titre principal pour la défense de l’ordre public.
b) décision de la cour:
En application de l’article 423 n.c.p.c. le ministère public peut, de façon générale, agir pour la défense de l’ordre public à l’occasion des faits qui portent atteinte à celui-ci.
En application de l’article 184 c. civ. il peut attaquer tout mariage contracté en contravention aux dispositions contenues aux articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162 et 163 c. civ.
En l’espèce le ministère public estime et demande à la cour de juger que les articles du code civil précités interdisent d’appeler mariage l’union de deux personnes de même sexe et que l’acte qualifié mariage entre Stéphane C. et Bertrand CH. doit être annulé.
Il agit donc bien dans sa compétence d’attribution et par confirmation son action est recevable.
3) la fraude à la loi, domicile, opposition:
a) faits et moyens des parties:
Les appelants soutiennent que le domicile déclaré à Bègles correspondait bien à celui de Stéphane C., la preuve en étant le contrat de location remis à l’officier d’état civil de Bègles, dont la nullité n’a pas été soulevée. Ils rappellent que la jurisprudence se montre “libérale” et que l’annulation n’est que facultative.
Ils estiment que “la question de la validité de l’opposition pouvait légitimement se poser” et que c’est la raison pour laquelle ils n’ont pas entendu en demander la mainlevée, aucun texte ne le leur imposant.
Le premier juge a constaté qu’il n’était pas saisi d’une demande d’annulation pour fraude à la loi, rendant sans objet la vérification de l’adresse de Bègles. Il a considéré que l’officier d’état civil avait obligation de surseoir à l’acte du fait de l’opposition mais que l’absence de sursis n’était pas à elle-seule cause de nullité.
Le ministère public intimé rappelle qu’il ne fonde pas son action sur ces moyens.
b) décision de la cour:
Les actes d’huissier du 2 juin 2004 dressés en application de l’article 659 n.c.p.c. n’ont pas été attaqués. L’officier ministériel y indique l’absence de Stéphane C. et de Bertrand CH. de l’appartement qui était affirmé comme leur domicile à Bègles et qui justifiait la compétence territoriale de l’officier d’état civil de cette ville, sans même une boîte aux lettres.
Par ailleurs l’article 176 c. civ. faisait obligation à cet officier d’état civil de surseoir au mariage tant que l’opposition n’avait pas été levée.
Mais le ministère public renonce expressément à tout moyen de droit sur le sujet et la cour n’en est pas saisie. Il n’en sera pas plus amplement discuté.
4) obligation de différence de sexe:
a) faits et moyens des parties:
Les appelants soutiennent qu’il n’existe aucune définition du mariage articulée autour de la différence de sexe, aucune définition légale du mariage comme étant l’union d’un homme et d’une femme, mais uniquement une construction jurisprudentielle en évolution.
Ils prennent en considération, à ce titre et au regard de l’évolution jurisprudentielle, l’importance de la constitution de la République Française et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 dans leur affirmation de l’égalité des citoyens devant la loi, ainsi que la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales dans son imposition d’une égalité de traitement devant la loi et de respect de la vie privée et familiale et de l’accès au mariage.
À propos de la construction jurisprudentielle et de la loi françaises, notions de concubinage et de Pacte Civil de Solidarité (Pa.C.S), ils relèvent “il est permis de se demander si le mariage lui-même ne serait pas affecté par une évolution profonde à laquelle juges et législateur ont contribué, chacun pour sa part; une évolution qui tendrait, tout simplement, à ouvrir le modèle de l’union matrimoniale, après ses dérivés, aux couples de même sexe”, question qui aurait été abordée de façon trop rapide et négligée par le tribunal.
Ils estiment que la demande d’annulation du mariage présentée par le ministère public est une violation des articles 8, 12 et 14 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de 8 l’Homme et des Libertés Fondamentales, quant au droit de se marier et fonder une famille ainsi qu’au respect de la vie privée, sans ingérence de l’autorité publique.
Ils en déduisent que l’accès au mariage fait partie intégrante de la vie privée et familiale, d’autant plus que la Jouissance du droit de se marier doit être assurée sans distinction aucune fondée notamment sur le sexe.
Ils estiment que la protection juridique offerte par le pacte civil de solidarité est inférieure à celle offerte par le mariage, que cela constitue une discrimination à leur égard, alors que la procréation n’est pas une condition du mariage qui n’est plus le lieu de la sécurisation de la filiation et alors que le développement du divorce brouille totalement les conceptions traditionnelles.
L’ingérence doit être prévue par la loi et surtout poursuivre un but légitime, ce qui n’est pas à leurs yeux le cas, en l’absence d’impératif moral, de protection des droits et libertés d’autrui, d’atteinte aux droits et libertés des enfants, étant observé que l’adoption par un seul parent est autorisée en droit positif français. Cette ingérence n’est pas nécessaire, la preuve en étant que le mariage de personnes de même sexe est autorisé dans d’autres pays européens.
Ils insistent enfin sur le fait que la jurisprudence européenne évolue puisque la cour européenne des droits de l’homme se montre très restrictive sur l’interprétation des textes relatifs à la discrimination fondée sur le sexe.
Ils ajoutent que l’évolution est particulièrement rapide celle relative aux transsexuels peut être prise en exemple. D’ailleurs la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne adoptée le 17 juin 2004 dispose “le droit de se marier et de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l’exercice” sans qu’il n’y soit fait référence à une différence de sexe.
Cette évolution se remarque également hors de l’union européenne, dans le monde entier.
En conclusion il ne leur apparaît pas nécessaire, dans une société démocratique, de restreindre le mariage à la seule union de deux personnes de sexe différent, sans porter atteinte de façon discriminatoire et disproportionnée au droit à une vie privée et familiale et à la substance même de ce droit : la liberté matrimoniale des homosexuels garantie par les articles 8, 12 et 14 C.E.D.H.
Le ministère public fait valoir les termes de l’article 75 c. civ. et la jurisprudence unanime. Il indique que la comparaison entre le Pa.C.S, le concubinage et le mariage met en évidence la différence de sexe comme condition de fond et spécificité du mariage.
Il estime qu’un mariage n’existe que par l’union de deux personnes de sexe différent et que “la question qu’a justement tranchée le tribunal est de savoir si nos textes permettent de reconnaître une existence à un mariage entre deux personnes de même sexe
Il indique que l’article 12 C.E.D.H utilisé par les appelants à leur profit comporte expressément les mots “l’homme et la femme”, la jurisprudence européenne l’interprétant en ce sens.
Il estime, comme le premier juge, que la jurisprudence Goodwin (cour européenne des droits de l’homme ayant autorisé le mariage de transsexuels) confirme son analyse puisqu’il s’agit d’une conséquence de la reconnaissance de leur modification sexuelle.
Il conclut à la différence de sexe comme condition de l’existence et de validité du mariage.
Le premier juge a statué dans le sens des conclusions du ministère public.
b) raisonnement de la cour:
La cour recherchera la solution en droit interne puis la comparera avec les impératifs du droit européen, dont la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, au regard de la jurisprudence européenne. Elle mettra ensuite sa décision en perspective en recherchant les conséquences prévisibles d’une suite favorable à l’appel.
– En droit interne français – le mariage est, notamment, un contrat conclu publiquement sous – forme solennelle dans la mairie de la commune où l’un des deux époux a son domicile ou sa résidence.
L’officier d’état civil de cette commune reçoit l’échange de consentements après avoir donné lecture d’un certain nombre d’engagements, il doit en dresser procès-verbal.
Il convient de rechercher quel est le consentement attendu.
L’article 75 du code civil l’énonce “il recevra de chaque partie, l’une après l’autre, la déclaration qu’elles veulent se prendre pour mari et femme”.
Sans équivoque possible, le code civil impose à l’officier d’état civil de recueillir la déclaration de deux personnes de sexe différent qui se prennent pour “mari et femme”.
Cela est conforté par le fait que cet échange de consentement prend la suite de la lecture (faite par lui) de divers articles du code civil dont ceux relatifs à l’éducation et l’autorité parentale sur les enfants communs.
Et toute autre interprétation rendrait incohérent le droit interne puisque notamment les prohibitions à mariage concernent le frère et la soeur mais ni deux frères ni deux soeurs.
Le mariage en droit interne français produit des effets patrimoniaux comme extra-patrimoniaux, et notamment des conséquences sur la filiation commune aux époux, actuellement appelée légitime.
Les différentes évolutions législatives ont maintenu cette notion de filiation commune aux époux et le premier juge a justement rappelé l’importance à cet égard de la présomption de paternité puisque le code civil entame ainsi le chapitre consacré à cette filiation “l’enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari”.
La notion de père est ainsi liée étroitement à celle de mari.
La notion de femme mariée est non moins étroitement liée à cette filiation commune aux époux puisque “la présomption de paternité est écartée quand l’enfant, inscrit sans l’indication du nom du mari, n‘a de possession d’état qu’à l’égard de la mère”, ce qui rend décisive la déclaration de sa qualité de femme mariée.
Par ailleurs il est possible de procéder à une adoption par les deux époux ou par l’un de l’enfant de l’autre.
La cour de cassation avait jugé en 1903 à la nécessaire différence de sexe et les évolutions législatives n’ont pas modifié le contexte juridique de sa décision.
Le Discours Préliminaire sur le Projet de Code Civil avait exposé “on ne doit point céder à des prétentions aveugles. Tout ce qui est ancien a été nouveau.., nous sommes convaincus que le mariage, qui existait avant l’établissement du christianisme, qui a précédé toute loi positive, et qui dérive de la constitution même de notre être, n‘est ni un acte civil, ni un acte religieux, mais un acte naturel qui a fixé l’attention des législateurs… le rapprochement de deux sexes que la nature n’a faits si différents que pour les unir, a bientôt des effets sensibles. La femme devient mère… l’éducation des enfants exige, pendant une longue suite d’années, les soins communs des auteurs de leurs jours… Tel est le mariage, considéré en lui-même et dans ses effets naturels, indépendamment de toute loi positive. Il nous offre l’idée fondamentale d’un contrat proprement dit, ce contrat, d’après les observations que nous venons de présenter, soumet les époux, l’un envers l’autre, à des obligations respectives, comme il les soumet à des obligations communes envers ceux auxquels ils ont donné l’être, les lois de tous les peuples policés ont cru devoir établir des formes qui puissent faire reconnaître ceux qui sont tenus à ces obligations. Nous avons déterminé ces formes.”
Ainsi donc, comme le premier juge, la cour aboutit à la conclusion qu’en droit interne français le mariage est une institution visant à l’union de deux personnes de sexe différent, leur permettant de fonder une famille appelée légitime. La notion sexuée de mari et femme est l’écho de la notion sexuée de père et mère.
Cette différence de sexe constitue endroit interne français une condition de l’existence du mariage.
Or l’acte dressé le 5 juin 2004 par l’officier d’état civil de Bègles ne reproduit pas l’échange de consentements énoncé à l’article 75 c. civ . mais mentionne que Stéphane C. et Bertrand CH., de même sexe, ont déclaré “vouloir se prendre pour époux”, notion asexuée contraire à la volonté législative.
– La Convention Européenne des Droits de l’Homme – garantit que “l’homme et la femme ont le droit de se marier et fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit”, formulation qui n’impose pas, en elle-même, que le mariage de deux personnes de même sexe doive être accepté.
Elle dispose également “toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale… il ne peut y avoir une ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire… à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui”
Elle énonce que “la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.”
La cour constate que la législation interne française permet à des personnes vivant ensemble de conclure entre elles de nombreuses conventions régissant leur vie commune, faisant l’objet de publicité et opposables aux tiers, que ce soit sur un ou plusieurs biens déterminés (notamment indivisions, copropriétés, sociétés) ou que ce soit par convention générale (Pacte Civil de Solidarité).
Comme un contrat de mariage, ce pacte peut être aménagé pour mieux se prêter aux particularités de la vie commune et mieux correspondre aux besoins et aux désirs des contractants. La loi se limite a fournir un cadre juridique “par défaut”. Quant à la société elle peut avoir été expressément stipulée ou être créée de fait.
L’article 515.8 c. civ. reconnaît le concubinage “de sexe différent ou de même sexe” et la jurisprudence, établie et stable depuis longtemps, a dégagé diverses solutions aux difficultés rencontrées au cours d’une vie commune ou à l’occasion d’une séparation.
Les personnes non mariées disposent du droit de fonder une famille, appelée naturelle, et du droit d’adopter, l’adoption par un parent seul étant autorisée.
Les droits et devoirs des parents légitimes et naturels sont les mêmes, une seule loi (4 mars 2002) les régissant de même façon.
Lors de l’établissement d’un acte de reconnaissance d’un enfant naturel est lu le même article (371.1 c. civ. sur l’autorité parentale) que lors du mariage.
Les éventuels conflits résultant de la séparation parentale sont également traités de même façon par un seul texte commun, à tel point que la dernière loi relative au divorce (26 mai 2004) n’a pas prévu de dispositions spécifiques aux enfants, se limitant à un renvoi à ce texte.
Il en résulte de multiples possibilités d’organisation de vie en couple, avec ou sans enfant, la loi assurant une égale protection pour tous, avec jurisprudence adaptée, droits égaux pour les enfants, si bien que la cour ne découvre aucune discrimination dans le droit de fonder un couple, de vivre en couple, de même sexe ou de sexe différent, ni de fonder une famille librement choisie naturelle ou légitime, avec possibilité d’adoption.
La spécificité, et non pas discrimination, provient de ce que la nature n’a rendu potentiellement féconds que les couples de sexe différent et que le législateur (cf Discours Préliminaire sur le Projet de Code Civil) a désiré prendre en compte cette réalité biologique et “déterminer ses formes” en englobant le couple et sa conséquence prévisible, les enfants communs, dans une institution spécifique appelée mariage, choix législatif maintenu dans le temps.
Cette “détermination des formes” qui découle directement de l’histoire, des religions, des coutumes, et qui est socialement très largement acceptée, correspond ainsi que le tribunal l’a exactement analysé à la fonction attribuée au mariage de socle d’une famille.
Tous les couples de sexe différent, ainsi concernés par une éventualité de filiation commune, sont traités à égalité puisqu’ils ont libre choix et libre accès au mariage.
Certes les couples de même sexe, et que la nature n’a pas créés potentiellement féconds, ne sont en conséquence pas concernés par cette institution. En cela leur traitement juridique est différent, parce que leur situation n’est pas analogue.
Mais ils disposent par ailleurs du droit de voir reconnaître leur union dans les mêmes conditions que tous les couples de sexe différent ne désirant pas se marier, si bien que la distinction résultant de cette spécificité est objectivement fondée, justifiée par un but légitime, et respecte un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens utilisés et le but visé.
Cet ingérence, prévue par la loi, poursuit un but légitime; l’action du ministère public pour faire respecter sa législation est également légitime. Il est indifférent que d’autres pays européens aient pu choisir une autre voie, la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’homme et des Libertés Fondamentales n’ayant pas vocation à supprimer les différences législatives.
– aucune jurisprudence européenne – citée par les appelants n’approuve directement leur analyse.
Ils extrapolent de l’acceptation du mariage des transsexuels une preuve du bien-fondé de leur thèse mais, au contraire, c’est parce que leur changement de sexe a été pleinement reconnu qu’il en a été tiré toutes les conséquences de droit dont le mariage.
En effet, la cour européenne des droits de l’homme, après avoir estimé que la convention a “garanti le droit fondamental, pour un homme et une femme, de se marier et de fonder une famille” ajoute “Toutefois, le second aspect n‘est pas une condition du premier, et l’incapacité pour un couple de concevoir ou d’élever un enfant ne saurait en soi passer pour le priver du droit visé par la première branche de la disposition en cause “.
Cette solution est conforme à la législation et à la jurisprudence françaises internes qui admettent que le mariage autorise la filiation appelée légitime qui en est sa conséquence prévisible mais ne l’impose pas en reconnaissant la filiation hors mariage et la validité des mariages de personnes stériles ou ne désirant pas d’enfants.
– Par ailleurs – les appelants estiment que la protection juridique offerte par le pacte civil de solidarité est inférieure à celle offerte par le mariage, notamment en matière de fiscalité, que cela constitue une discrimination à leur égard.
Il convient de répondre que la loi fiscale annuelle est par nature temporaire, que le législateur accorde divers avantages à tel ou tel système juridique en fonction de ses choix politiques, selon les nécessités du moment, et qu’il n’est pas prouvé que le mariage soit systématiquement avantagé.
De façon superfétatoire, en toutes hypothèses il leur appartiendrait d’agir non contre le mariage mais contre le refus de leur accorder l’avantage en cause, ce dont la cour n’est pas saisie et ce moyen ne peut être reçu.
Enfin, les appelants font état du retard que la France aurait pris dans l’évolution nécessaire des moeurs et citent en exemple les législations néerlandaise et belge.
Il est sans intérêt juridique direct de savoir que deux lois étrangères sont différentes de la loi française, mais cela nourrit le débat et la cour les a étudiées.
– S’il était fait droit au présent appel. la conséquence prévisible – de l’extension du mariage à des couples de même sexe sans préparation législative, et notamment sans modification préalable des règles de la filiation, serait un bouleversement des principes la régissant.
En premier effet, par nécessaire interprétation de l’article 75 c. civ., sa formulation ne concernerait plus deux “mari et femme” mais deux “conjoints” ou deux “époux” , selon l’expression utilisée par l’officier d’état civil de Bègles dans l’acte du 5 juin 2004 en cause.
Cette notion asexuée se trouverait en opposition avec celle, sexuée, “de père et mère” figurant dans les textes relatifs à la filiation légitime. Par le fait serait posée la question de son remplacement par celle, asexuée et correspondante, de “parents”.
Il ne s’agit pas d’une subtilité de langage mais bien d’une question juridique importante, dont la solution emporte des applications immédiates et directes.
L’article 343 c. civ. (qui n’avait manifestement pas prévu pareille conséquence au choix de ses termes) autorise l’adoption plénière par “deux époux” et l’enfant adopté par deux hommes ou deux femmes ainsi mariés serait légitime puisque “l’adoption confère à l’enfant une filiation qui se substitue à sa filiation d’origine”.
Quelle justification pourrait-il exister à une différence de traitement entre des enfants légitimes ayant les uns des “parents” et les autres des “père et mère”, selon qu’ils ont ou non été adoptés (ce dont nul ne peut faire état).
La seule solution juridique serait le remplacement de la notion de « père et mère” par celle de “parents”.
Ce changement de notion aurait notamment pour conséquence que l’article 312 c. civ. devrait être ainsi lu “l’enfant conçu pendant le mariage a pour second parent le conjoint de sa mère » et cela même si ce conjoint est une femme, filiation opposable aux tiers (dont le père biologique).
C’est précisément cette conséquence qui a été expressément refusée par les législations belge et néerlandaise, citées en exemple par les appelants, dont le droit de la filiation a été modifié dans la perspective de l’extension du mariage aux personnes de même sexe.
La loi belge est sans équivoque dans son refus d’ouvrir aux couples homosexuels l’accès à la filiation adoptive ou à la filiation légitime (second paragraphe ajouté à l’article 143 du code civil) “si le mariage a été contracté entre des personnes de même sexe, l’article 314 n ‘est pas applicable ».
Cette analyse concrète des conséquences, qu’aurait l’extension asexuée des notions de conjoint et de parent non précédée d’une préparation législative, conduit la cour, comme le premier juge, à estimer qu’il ne lui appartient pas de trancher un tel problème de société qui ne peut, dans une démocratie, que faire l’objet d’un débat politique et d’une éventuelle intervention du législateur, et cela dans le cadre de la marge d’appréciation qui lui est expressément reconnue par les textes européens et la jurisprudence.
– En conclusion – la cour ne découvre dans les textes fondamentaux européens et dans la jurisprudence européenne aucune contradiction avec la législation française interne relative au mariage, laquelle ne concerne que des personnes de sexe différent.
Comme le premier juge, la cour considère que la différence de sexe est une condition de l’existence même du mariage, condition non remplie dans le cas de l’acte relatif à Stéphane C. et Bertrand CH.
La célébration organisée par eux le 5juin 2004 devant l’officier d’état civil de Bègles ne peut être considérée comme un mariage.
Ainsi que le soutient le ministère public, l’acte qui a été dressé n’a pas d’existence juridique et son écriture doit être annulée, avec transcription en marge de l’acte de naissance des intéressés et de l’acte lui-même.
Par ces motifs:
Confirme sur la validité de la saisine du tribunal,
Confirme sur la recevabilité de l’action du ministère public,
Confirme sur le fond, annulation de l’acte dressé le 5 juin 2004, avec transcription en marge de cet acte et de l’acte de naissance des intéressés,
Laisse les dépens d’appel à la charge des appelants.
L’arrêt a été signé par le Président Franck Lafossas et par Josette della Giustina, Greffier auquel il a remis la minute signée de la décision.
Le Greffier Le Président