La transaction en droit du travail peut-elle être rédigée en termes généraux ?

Lorsqu’à la suite de la rupture du contrat de travail, un employeur conclut une transaction avec un salarié, il recherche un effet libératoire et il entend par la conclusion de cette transaction, purger définitivement tout litige actuel ou à venir avec ce salarié.

 

Cet objectif s’est longtemps heurté à la jurisprudence de la Chambre sociale qui adoptait une interprétation restrictive de la portée des renonciations générales du salarié dans la transaction considérant que cette dernière ne réglait que les litiges compris dans son objet.

 

Cette position de la Chambre sociale s’appuyait sur une lecture stricte des dispositions de l’article 2048 du Code civil aux termes desquelles « Les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu. » 

 

Depuis, la Cour de castration a modifié sa position et admet qu’une transaction rédigée en termes généraux exclut toute contestation ou demande d’indemnisation ultérieure du salarié qui l’a signée, même pour les droits dont l’exercice est éventuel.

 

Ainsi, en signant une transaction comportant une formule générale de renonciation à toute action ayant pour origine l’exécution ou la rupture du contrat de travail, le salarié licencié pour motif économique s’interdit de réclamer ultérieurement une indemnisation au titre d’un manquement à l’obligation de reclassement, à l’obligation de réembauche ou encore aux obligations découlant du PSE. C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation le 20 février 2019

Dans cette affaire, un salarié signe avec son employeur une transaction à la suite de son licenciement pour motif économique.

Le protocole transactionnel prévoyait , d’une part, que la transaction règle irrévocablement tout litige lié à l’exécution et à la rupture du contrat de travail en dehors de l’application des autres mesures du dispositif d’accompagnement social prévues dans le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et que, d’autre part, les parties déclarent renoncer à intenter ou poursuivre toute instance ou action de quelque nature que ce soit dont la cause ou l’origine a trait au contrat de travail.

 

Le salarié reproche ensuite à son ancien employeur de ne pas avoir respecté ses obligations de reclassement préalable au licenciement et de réembauche après le licenciement ainsi que ses obligations découlant du PSE.

 

De son côté, l’employeur réclame le remboursement d’un trop-perçu de l’aide à la création d’entreprise versée au salarié dans le cadre de ce plan.

 

La cour d’appel rejette l’ensemble des demandes au motif que la transaction a acquis, à la date de sa signature, l’autorité de la chose jugée et fait donc obstacle aux demandes du salarié et de l’employeur.

 

La décision des juges du fond est partiellement cassée.

 

L’arrêt est cassé :

 

« en statuant ainsi, alors qu’aux termes de la transaction, le salarié déclarait avoir reçu toutes les sommes auxquelles il pouvait ou pourrait éventuellement prétendre au titre de ses relations de droit ou de fait existant ou ayant existé avec la société et renonçait à toute réclamation de quelque nature que ce soit, née ou à naître ainsi qu’à toute somme ou forme de rémunération ou d’indemnisation auxquelles il pourrait éventuellement prétendre à quelque titre et pour quelque cause que ce soit du fait notamment du droit commun, des dispositions de la convention collective, de son contrat de travail et/ou de ses avenants et/ ou tout autre accord, ou promesse et/ou découlant de tout autre rapport de fait et de droit, la cour d’appel a violé les textes susvisés [articles 2044 et 2052 du Code civil (dans leur rédaction antérieure à celle de la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016), 2048 et 2049 du même code] ».

 

La solution est conforme à la logique de la cour de cassation.

 

Dans un arrêt precdent, la Chambre sociale  avait donné plein effet aux transactions rédigées en termes généraux dans le contexte d’un contrat de travail (Cass. Ass. plén., 4 juill. 1997, no 93-43.375 : la demande du salarié portait sur le paiement d’une indemnité de dédit de la clause de non-concurrence, rejetée au motif qu’« aux termes de la transaction « forfaitaire et définitive » constatée par le procès-verbal du 8 juillet 1986, la partie demanderesse renonce à toutes réclamations de quelque nature qu’elles soient à l’encontre de la partie défenderesse relatives tant à l’exécution qu’à la rupture de son contrat de travail » ).

Un  autre arrêt avait déjà opéré l’alignement avec l’Assemblée plénière :

« ayant relevé qu’aux termes de la transaction le salarié a déclaré n’avoir plus rien à réclamer à l’employeur à « quelque titre que ce soit et pour quelque cause que ce soit, tant en raison de l’exécution que de la rupture du contrat de travail », la cour d’appel a exactement retenu que le salarié ne pouvait pas prétendre au paiement de sommes à titre de dommages et intérêts pour perte de salaires et d’une indemnité compensatrice de préavis » (Cass. soc., 5 nov. 2014, no 13-18.984).

 

Une telle formulation interdit donc toute demande d’indemnisation ultérieure, y compris pour les obligations ayant vocation à s’appliquer postérieurement à la rupture du contrat de travail, comme en l’espèce l’obligation de réembauche.

 

La chambre sociale confirme ainsi la réorientation de sa jurisprudence en matière de transactionet l’abandon de sa conception restrictive selon laquelle, en l’absence de mention expresse dans la transaction, le salarié ne pouvait pas être considéré comme ayant renoncé à un droit dont l’exercice est éventuel.

 

 

Cass. soc. 20-2-2019 n° 17-19.676 FS-PB, P. c/ Sté Pfizer

TEXTE DE L’ARRÊT

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X…, engagé en qualité de directeur administratif le 15 janvier 1985 par la société Ted C… (la société), a été licencié pour cause économique, le 29 juin 2005 ; qu’après la rupture du contrat de travail, les parties ont conclu une transaction ; que le salarié a pris sa retraite en 2012 et a sollicité la société aux fins d’obtenir le versement d’une retraite supplémentaire, ce qui lui a été refusé ; que le salarié a saisi la juridiction prud’homale ;

Sur le premier moyen :

Vu les articles 2044 et 2052 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle de la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016, 2048 et 2049 du même code ;

Attendu que pour déclarer recevable l’action du salarié et faire droit à ses demandes, l’arrêt retient que la transaction avait pour objet de régler les conséquences du licenciement, qu’il n’est pas fait mention dans cet acte du cas particulier de la retraite supplémentaire du salarié licencié, et qu’il n’existait aucun litige entre les parties concernant la retraite supplémentaire dont la mise en œuvre ne devait intervenir que plusieurs années plus tard ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’aux termes de la transaction, le salarié déclarait avoir reçu toutes les sommes auxquelles il pouvait ou pourrait éventuellement prétendre au titre de ses relations de droit ou de fait existant ou ayant existé avec la société et renonçait à toute réclamation de quelque nature que ce soit, née ou à naître ainsi qu’à toute somme ou forme de rémunération ou d’indemnisation auxquelles il pourrait éventuellement prétendre à quelque titre et pour quelque cause que ce soit du fait notamment du droit commun, des dispositions de la convention collective, de son contrat de travail et/ou de ses avenants et/ou tout autre accord, ou promesse et/ou découlant de tout autre rapport de fait et de droit, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 14 septembre 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. X… aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente mai deux mille dix-huit.