La fin du préjudice automatique devant le conseil de prud’hommes

Il ne peut plus y avoir de réparation sans preuve du préjudice subi. Ce principe est aujourd’hui décliné dans une série de décisions concernant respectivement une clause de non-concurrence sans contrepartie financière, une erreur dans la mention de la convention collective sur le bulletin de paie et le défaut d’organisation de la visite de reprise.

v Point de départ du revirement : les documents de fin de contrat.

Dans un arrêt du 13 avril 2016, appelé à figurer dans son rapport annuel, la Cour de cassation estimait qu’un salarié à qui l’employeur avait tardé à remettre les documents de fin de contrat ne pouvait être indemnisé à ce titre que s’il démontrait avoir subi un préjudice (cass. soc. 13 avril 2016, n° 14-28293 FSPBR).

La décision étant rédigée en des termes généraux, on pouvait penser que la Cour de cassation n’allait pas s’arrêter là et s’apprêtait à remettre en cause les différentes hypothèses dans lesquelles elle considérait que le manquement de l’employeur causait « nécessairement un préjudice » au salarié. Plusieurs décisions confirment que la position adoptée dans l’arrêt du 13 avril 2016 avait valeur de principe.

v Clause de non-concurrence sans contrepartie financière.

Un salarié qui avait pris acte de la rupture de son contrat de travail réclamait notamment des indemnités au titre de la nullité de la clause de non-concurrence à laquelle il était assujetti, celle-ci ne prévoyant aucune contrepartie financière.

La Cour de cassation, qui affirmait jusqu’alors avec constance que l’absence de contrepartie financière causait nécessairement un préjudice au salarié (cass. soc. 12 janvier 2011, n° 08-45280, BC V n° 15 ; cass. soc. 30 mars 2011, n° 09-70306, BC V n° 82), est revenue sur sa position : elle a approuvé la cour d’appel d’avoir rejeté la demande d’indemnisation du salarié après avoir constaté que le salarié n’avait subi aucun préjudice résultant de l’illicéité de la clause de non-concurrence (cass. soc. 25 mai 2016, n° 14-20578 FSPB).

v Défaut de mention de la convention collective sur le bulletin de paie.

Même déconvenue pour une salariée qui reprochait à l’employeur de s’être trompé dans l’intitulé de la convention collective mentionnée sur son bulletin de paie. Là encore, l’affaire paraissait entendue (cass. soc. 19 mai 2004, n° 02-44671, BC V n° 134), mais c’était compter sans le revirement du 13 avril 2016…

La Cour de cassation a ainsi donné raison à la cour d’appel, qui avait estimé que la salariée, cadre administratif et détentrice de la moitié du capital social de la société, était en mesure de connaître la convention collective applicable et d’en vérifier l’application. Faute de démontrer l’existence d’un préjudice, elle ne pouvait donc pas prétendre à des dommages et intérêts (cass. soc. 17 mai 2016, n° 14-21872 D).

v Défaut d’organisation de la visite de reprise.

Dans un certain nombre d’hypothèses, l’employeur a l’obligation de faire passer une visite de reprise au salarié qui revient d’un arrêt de travail pour maladie ou accident (c. trav. art. R. 4624-22). Jusqu’à présent, les juges considéraient que le défaut d’organisation de la visite de reprise causait nécessairement un préjudice au salarié (cass. soc. 13 décembre 2006, n° 05-44580, BC V n° 373 ; cass. soc. 15 octobre 2014, n° 13-14969 D).

Cette fois, la Cour de cassation a confirmé la condamnation de l’employeur au paiement de dommages et intérêts en faveur d’un salarié qui avait été placé en invalidité 2e catégorie et n’avait bénéficié d’une visite de reprise que 4 ans plus tard.

Mais cette décision ne fait en réalité que confirmer l’abandon de la réparation automatique, puisqu’elle prend soin de noter que la cour d’appel avait souverainement apprécié le préjudice subi par le salarié (cass. soc. 17 mai 2016, n° 14-23138 D).

Vers d’autres revirements à venir

La Cour de cassation devrait logiquement poursuivre le « toilettage » de sa jurisprudence. On pense notamment à l’abandon du principe selon lequel le non-respect de la procédure de licenciement cause nécessairement un préjudice au salarié (cass. soc. 16 décembre 1997, n° 94-42089, BC V n° 442 ; cass. soc. 7 octobre 1998, n° 96-43276 D ; cass. soc. 29 avril 2003, n° 01-41364, BC V n° 145).