Heures supplémentaires : quel aménagement de preuve entre les parties ?

Dans un arrêt 18 mars 2020, la Cour de cassation vient préciser les modalités de preuve en matière d’heures supplémentaires.

 

Pour rappel, le code du travail institut dans son article L. 3171-4 un régime de preuve partagée des heures du travail effectuées entre l’employeur et le salarié. Il institut dans ses articles L. 3171-2 et L. 3171-3 les obligations de l’employeur relatives au décompte du temps de travail de ses salariés.

 

En 2004, la Cour jugeait que la charge de la preuve des heures supplémentaires n’incombait à aucune des parties mais qu’il appartenait tout de même au salarié d’apporter des éléments de nature à étayer sa demande.

 

En 2010, la Cour jugeait qu’il appartient au salarié d’étayer sa demande quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments (pourvoi n° 09-40.928, Bull. 2010, V, n° 266).

 

Ainsi, sera jugé suffisamment étayé :

  • La production de décomptes précis des heures réalisées ;
  • Un tableau de décomptes des heures supplémentaires réalisées sans décompte quotidien et établi à posteriori par le salarié
  • Des relevés quotidiens du temps de travail identiques pour chaque jour ;

 

Dans cet arrêt de 2020, la Cour s’appuie sur une décision européenne du 14 mai 2019 pour finalement abandonner la notion d’étaiement. En effet, la notion d’étaiement était source de confusion avec celle de preuve. Ainsi, la Cour lui substitut l’expression de présentation par le salarié d’éléments suffisamment précis à l’appui de sa demande afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

 

La Cour rappelle en ce sens les obligations en la matière pesant sur l’employeur quant au contrôle des heures effectuées. Obligation qui découle de la Charte des Droits de l’Union Européenne.

 

Elle rappelle par ailleurs, que lorsque les juges du fond retiennent l’existence d’heure supplémentaires, ils évaluent souverainement, sans être tenus de préciser le détail de leur calcul, l’importance de celles-ci et les créances salariales s’y rapportant.

 

Par cet arrêt, la Cour de cassation entend souligner le devoir des juges du fond d’apprécier les éléments produits par le salarié à l’appui de sa demande au regard de ceux produits par l’employeur.

 

C’est précisément pour avoir fait porter son analyse sur les seules pièces produites par le salarié, aboutissant ainsi à faire peser la charge de la preuve des heures supplémentaires exclusivement sur celui-ci, que l’arrêt de la cour d’appel est censuré.

 

Ainsi, l’employeur ne peut pas se contenter de souligner les incohérences ou invraisemblances des éléments produits par le salarié pour contrecarrer sa demande de paiement d’heures supplémentaires, il se doit en effet d’apporter des éléments de contrôle des heures effectuées par les salariés.

 

 

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 18 mars 2020, 18-10.919, Publié au bulletin

 

« Vu l’article L. 3171-4 du code du travail :

9. Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

10. Enfin, selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.


11. Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant
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