Faute inexcusable et conséquences du non-respect des observations du médecin du travail

Dans deux arrêts rendus courant année 2020, la Cour de cassation est venue préciser les circonstances dans lesquelles la faute inexcusable de l’employeur peut être retenue.

 

Elle jugeait à ce titre que dès lors que l’avis du médecin du travail comportait des restrictions médicales concernant le port de charge, l’employeur aurait dû avoir conscience du danger particulier auquel était exposée la victime lors de manutentions de charges lourdes.

 

Cass 2e civ. 28 mai 2020 no 19‐15.172 F‐D

 

Dans un second temps,  elle jugeait que « le caractère habituel de la présence concomitante de tractopelles et de piétons sur le site d’une déchetterie est insuffisant pour écarter la conscience du danger qu’aurait dû avoir l’employeur. »

 

Cass. 2e civ. 12 mars 2020 no 19‐10.421 F‐D

 

Pour rappel, depuis une série d’arrêts rendus en 2002, la Cour de cassation ne cesse de préciser la notion de la faute inexcusable de l’employeur.

 

« En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui‐ci d’une obligation de sécurité de résultat… Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452‐2 du Code de sécurité sociale lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver »

 

(Jurisprudence constante depuis Cass. soc., 28 février 2002, no 00‐11.793 P, Cass soc. 11 avril 2002 no 00‐16.535 P).

 

Cette obligation a été étendue à des accidents liés à des risques psychosociaux (suicide au domicile : Cass. 2e civ., 22 février 2007 no 05‐13.771 P ; crise cardiaque générée de longue date par le stress : Cass. 2e civ., 8 novembre 2012, no 11‐23.855).

 

L’enjeu est important pour le salarié ou les ayants droit et pour l’employeur : en termes d’indemnisation d’un côté, d’impact sur les cotisations de l’autre.

 

  • SUR LE NON‐RESPECT DE L’AVIS DU MÉDECIN DU TRAVAIL

 

Dans l’arrêt du 28 mai 2020, il s’agissait d’une victime d’accident du travail qui a saisi la juridiction de sécurité sociale pour faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur dans le cadre d’opérations de manutentions.

 

La salariée est déboutée par les juges en première instance et en appel. Selon l’arrêt rendu par la cour d’appel, la salariée n’établissait pas que son employeur avait « parfaitement » connaissance du risque encouru lors de manutentions lourdes et qu’il ne respectait pas les préconisations du médecin du travail.

 

Or, dans son avis transmis à l’employeur, le médecin du travail avait reconnu la salariée apte des réserves telles que « effort de manutention de charge de 5 kilogrammes contre‐indiqué, conduite du chariot élévateur et utilisation du gerbeur contre‐indiqués ».

 

Selon la Cour de cassation, ces éléments démontrent que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger. Ainsi, les juges d’appel ne pouvaient écarter la faute inexcusable.

 

Pour rappel, il revient à la victime de prouver que l’employeur devait ou aurait dû avoir conscience du danger et n’a pas pris les mesures nécessaires pour préserver le salarié (Cass. 2e civ., 8 juillet 2004, no 02‐30.984), sauf cas exceptionnels, où il existe une présomption de faute inexcusable prévue par les textes, ce qui n’était pas le cas dans l’affaire (C. trav. art. L. 4154‐2, L. 4154‐3).

 

D’autre part, il incombe à l’employeur de justifier qu’il ne pouvait avoir conscience du danger et de conserver une traçabilité des mesures prises.

 

En l’espèce, l’employeur avait bien eu l’avis du médecin du travail, indiquant les contre‐indications, et au demeurant, il ne l’a pas contesté.

 

Ainsi, il incombait à l’employeur de tirer toutes les conséquences de l’avis émis par le médecin du travail au risque sinon de se voir condamner pour sa faute inexcusable.

 

 

  • SUR LA NON‐ÉVALUATION DU RISQUE ENGENDRÉ PAR DES TRAVAUX DANGEREUX

 

Dans l’arrêt du 12 mars 2020 rendu par la Cour de cassation, un salarié avait été mis à disposition d’une communauté de communes en qualité de gardien d’une déchetterie. Il a été percuté par un tractopelle conduit par un de ses collègues alors qu’il se déplaçait sur le site.

 

La Cour d’appel le déboutera de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur au titre que « la présence d’un tractopelle sur le site était habituelle, visible et inhérente à l’activité quotidienne de la déchetterie…de sorte que l’employeur ne pouvait, du seul fait de cette présence, compte tenu du secteur d’activité, avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, le fait que celui‐ci ne voit pas l’engin étant imprévisible ».

 

Par ailleurs, la Cour relève que le salarié avait reçu plusieurs formations notamment une sur  « la prévention et sécurité en déchetterie »

 

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel car :

 

  • L’employeur ne justifie pas avoir procédé à l’établissement du document unique d’évaluation des risques.

 

  • Le caractère habituel de la présence de tractopelles et de piétons ne pouvait suffire à écarter la faute inexcusable.

 

 

Pour précision, la faute éventuellement commise par le salarié ne permettrait pas d’écarter la responsabilité de l’employeur (Cass. 2e civ., 20 juin 2019 no 18‐19.175 F‐D).

 

Les négligences d’un salarié très expérimenté, ayant reçu une formation à la sécurité, pourraient éventuellement permettre d’écarter la faute inexcusable, encore faut‐il qu’un document unique d’évaluation des risques ait été établi et que des mesures effectives pour préserver le salarié du danger soient prises.