De la revocation par le client de son avocat

Les relations juridiques qui s’établissent entre l’avocat et son client, sont régies par les dispositions du Code civil sur le mandat.Si le client reste libre de révoquer à tout moment son mandataire et avocat, le législateur n’oblige pas le mandant à indiquer ni à justifier les raisons de sa révocation.Le libre exercice du droit de révocation du mandant n’est limité que par l’abus de l’usage que le mandant fait de ce droit.Une affaire interessante soumise à la Cour d’appel de Bordeaux et confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt de rejet du 11 juin 2009 opposait la Caisse de congés payés du bâtiment d’Aquitaine à son avocat, inscrit sur le barreau de bordeaux (Gironde) quant aux conditions de révocation de l’avocat.Le client de cet avocat, fidèle depuis plus de 20 ans avait subitement, et par notification d’une simple lettre, décidé de ne plus faire appel à celui-ci sans lui accorder aucun préavis dans la cadre de l’arrêt de ce mandat.D’autres cabinets d’avocats briguaient ce client dont l’importance pour tout cabinet d’avocats est évidente compte tenu des nombreux contentieux engagés par la Caisse de congés payés du bâtiment à l’encontre des entreprises de ce secteur.Choqué de perdre en de pareilles conditions son client, l’avocat au barreau de Bordeaux avait interpellé l’Ordre des avocats en dénonçant la déloyauté de son confrère, également inscrit sur le barreau de Bordeaux, qui se trouvait être le nouvel avocat de la Caisse.La Cour d’appel de Bordeaux a estimé que Caisse de congés payés du bâtiment d’Aquitaine avait manqué à son obligation de bonne foi dès lors que ledit organisme ne pouvait ignorer la situation de subordination de l’avocat Bordelais et ce « compte tenu de la longévité des relations professionnelles entre les parties ».La Cour d’Appel de Bordeaux estime ainsi qu’un un délai était indispensable à la prise de nouvelles dispositions par l’avocat dans l’intérêt de son cabinet.Cette analyse vient d’être confirmée par la Cour de cassation appliquant ainsi le principe du préavis reconnu en droit commercial et en droit du travail aux relations nées du contrat de mandat de nature civil entre l’avocat et son client. Pour plus d’informations : http://avocat-jalain.fr
COUR D’APPEL DE BORDEAUX

PREMIERE CHAMBRE CIVILE – SECTION A

ARRÊT APPEL DU : 15 JANVIER 2008

No de rôle : 07/00353

APPELANTE :

CAISSE DE CONGES PAYES DU BATIMENT D’AQUITAINE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social,
sis Quartier du Lac – Maison du Bâtiment et des Travaux Publics – 33081 BORDEAUX CEDEX

INTIMÉ :

X…

Avocat honoraire
demeurant …

représenté par la SCP XXX, avoués à la Cour, assisté de Maître xxxxxx, avocat au barreau de BORDEAUX

EXPOSE DU LITIGE :

La CAISSE DE CONGES PAYES DU BATIMENT D’AQUITAINE (ci-après CCPBA) a interjeté appel, dans des conditions de régularité non contestées, d’un jugement rendu le 21 décembre 2006 par la Cinquième Chambre du Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX qui, sur l’assignation de Jean-Paul X…, et sur le fondement des articles 1134, 1154 et 2004 du Code Civil :

– dit que la CCPBA a manqué à son obligation de bonne foi à l’égard de Jean Paul X…

– condamne la CCPBA à régler à Jean-Paul X… une indemnité de 14 810€ à titre de dommages et intérêts augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2006 et ordonne la capitalisation des intérêts par application des dispositions de l’article 1154 du Code Civil

– condamne la CCPBA à régler à Jean-Paul X… une indemnité de 3 000€ à titre de frais irrépétibles

– ordonne l’exécution provisoire à hauteur de la moitié des sommes allouées

– condamne la CCPBA aux dépens.

Le litige est survenu dans les circonstances suivantes.

Jean-Paul X…, avocat inscrit au barreau de BORDEAUX, s’est vu confier à partir de 1981 le traitement de dossiers contentieux par la CCPBA, qui avait également recours aux services d’un autre avocat du même barreau.

Cette collaboration s’est poursuivie jusqu’à ce que, par lettre du 10 septembre 2004, la Caisse l’informe de son souhait d’y mettre fin pour l’avenir.

Jean-Paul X.. avocat au barreau de BORDEAUX,. a répondu à ce courrier par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 septembre 2004 en demandant à la CCPBA ce qu’il convenait de faire pour les dossier en cours et lui indiquer le nom du confrère qu’elle avait choisi pour le remplacer, précisant que plusieurs dossiers revenaient à l’audience du Tribunal de Commerce de BORDEAUX le mardi 21 septembre 2004, et concluant en indiquant « je reste par ailleurs dans l’attente de vos propositions quant aux modalités de la cessation de notre collaboration ».

Par télécopie du 20 septembre 2004, Jean-Paul X… avocat inscrit au barreau de BORDEAUX sollicitait de la Caisse que celle-ci prenne des dispositions pour gérer l’audience du 21 septembre 2004.

Par lettre du 21 septembre 2004, Jean-Paul X… avocat au barreau de BORDEAUX, était contacté par le nouveau conseil de la Caisse qui lui faisait part de son intervention à l’audience du 21 septembre.

La CCPBA a adressé le 21 septembre 2004 à Jean-Paul X… un courrier s’insurgeant contre son attitude et contestant la manière dont il avait mis fin brutalement à la gestion des dossiers en cours contrairement à ce qu’avaient fait ses confrères en Aquitaine.

Aucun dossier ne devait plus être transmis par la Caisse à Jean-Paul X… avocat au barreau de BORDEAUX,. qui, ce client représentant plus de 80 % de son chiffre d’affaires, décidait de prendre une retraite anticipée au 31 décembre 2004, résiliait le bail de ses locaux et procédait au licenciement économique de sa secrétaire.

Par lettre avec accusé de réception du 2 novembre 2005 de son avocat, Jean-Paul X…, demandait à la Caisse la réparation de son préjudice qu’il estimait, dans un cadre amiable, à la somme de 81 000 € toutes causes de préjudice confondues, considérant qu’il était en droit de bénéficier d’un préavis d’une durée de vingt-quatre mois compte tenu de l’ancienneté des relations professionnelles et de l’importance de ce client pour son cabinet.

En l’absence de réponse de la CCPBA, Jean-Paul X.. avocat au barreau de BORDEAUX. l’assignait le 9 janvier 2006 devant le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX.

Aux termes de ses dernières conclusions du 14 novembre 2007, la CCPBA demande à la Cour de réformer le jugement et :

– de débouter Jean-Paul X… de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions

– de le condamner à rembourser la somme que la Caisse lui a versé en vertu de l’exécution provisoire dont se trouvait assortie le jugement entrepris

– de le condamner à payer la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts et en remboursement des honoraires perçus sans contrepartie

– de le condamner au paiement des dépens et d’une somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La CCPBA fait valoir :

– qu’en application de l’article 2004 du Code Civil le mandant est libre de révoquer son mandat à tout moment et qu’il incombe au mandataire d’établir le caractère abusif de la révocation

– que l’intuitu personae constitue l’essence du mandat qui lie l’avocat à son client

– que le client peut révoquer le mandat confié à son avocat sans en justifier les motifs

– que dans sa lettre du 10 septembre 2004, elle ne mettait pas fin brutalement à effet immédiat au mandat de Jean-Paul X…

– qu’après son courrier du 17 septembre 2004 qui ouvrait la voie à une discussion qu’elle n’avait pas exclue, Jean-Paul X… avocat au barreau de BORDEAUX, a par son courrier du 20 septembre 2004 décidé de sa propre initiative d’abandonner les dossiers en cours, ce qui l’a conduite à mandater un nouvel avocat

– que seule la réaction maladroite de Jean-Paul X… avocat au barreau de BORDEAUX, est à l’origine de la rupture immédiate des relations entre les parties

– que le courrier du 10 septembre 2004 annonçait une décision sans pour autant notifier une rupture du mandat à effet immédiat

– que quand bien même elle aurait négocié un préavis d’un ou deux ans à la demande de Jean-Paul X… avocat au barreau de BORDEAUX, elle n’aurait pu continuer à confier de nouveaux dossiers à un professionnel qui, à réception de la lettre du 10 septembre 2004, avait décidé de refuser de plaider les affaires pour lesquelles il avait perçu des honoraires d’avance qu’il a refusé de restituer

– qu’il n’a transmis les dossiers à son successeur que le 4 octobre 2004 et a instruit devant le Bâtonnier de l’Ordre un recours qui n’a pas abouti, retardant ainsi l’échéance d’un certain nombre de procédures, ce qui a occasionné un préjudice à la Caisse dont elle demande réparation à hauteur de 10 000 € à titre de dommages et intérêts

– que cette demande de dommages et intérêts, directement liée aux prétentions formées par Jean-Paul X… avocat au barreau de BORDEAUX, est recevable

– qu’il n’y avait pas lieu de prendre en considération le fait que Jean-Paul X.. avocat au barreau de BORDEAUX,.. se trouvait dans un état de totale dépendance à l’égard de la Caisse, étant rappelé que les dossiers sur BORDEAUX étaient répartis entre deux cabinets, que le choix par Jean-Paul X.., avocat au barreau de BORDEAUX, de se placer dans cet état de dépendance créé un risque évident

– que Jean-Paul X… avocat au barreau de BORDEAUX, a exercé sa profession dans une structure réduite à sa plus simple expression, travaillant avec une secrétaire à temps partiel et sans collaborateur avec un loyer mensuel de 238 € par mois, de sorte qu’il n’avait pas crée une véritable structure destinée à faire face à un important contentieux

– que la Caisse ne pouvait connaître l’état de son cabinet et qu’il appartenait à Jean-Paul X…, avocat au barreau de BORDEAUX, si vraiment sa survie professionnelle avait été en jeu à la suite de la lettre du 10 septembre 2004, de tenter de négocier au lieu de choisir délibérément le conflit et la confrontation.

– que seule la faute professionnelle majeure commise par Jean-Paul X…, avocat au barreau de BORDEAUX, se trouve à l’origine de la situation qu’il dénonce.

Aux termes de ses dernières conclusions du 22 octobre 2007, Jean-Paul X… demande à la Cour, vu les articles 2004 et suivant et 1134 du Code Civil :

– de déclarer irrecevable en application des dispositions des articles 564 et 15 du Nouveau Code de Procédure Civile la demande de condamnation nouvelle formulée par la CCPBA à son encontre en paiement de dommages et intérêt à concurrence de
10 000€ et de la déclarer également irrecevable en application de l’article 174 du décret 22 du 27 novembre 1991, soumettant le contentieux de contestation des honoraires à la procédure spécifique de cet article

– de confirmer les dispositions du dit jugement, sauf à majorer le montant de l’indemnisation en la fixant à la somme de 100 000 € avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation et capitalisation des intérêts

– de condamner la CCPBA au paiement des dépens et d’une indemnité de 4 000€ au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure.

Jean-Paul X.. avocat au barreau de BORDEAU,. fait valoir :

– que si le mandat liant l’avocat à son client est effectivement révocable, le client doit s’entourer d’un minimum de précautions afin de limiter au mieux la désorganisation pouvant résulter de la fin de la collaboration professionnelle

– que cela ne fait pas obstacle à la possibilité pour le mandataire, en l’espèce l’avocat, de solliciter une indemnisation selon les circonstances de la rupture dès lors que celle-ci n’est pas la conséquence d’une faute du mandataire

– qu’il n’est pas en l’espèce fait état d’une faute de Jean-Paul X… avocat au barreau de BORDEAUX, dès lors que la rupture de la collaboration résulte du choix de la Caisse de concentrer son contentieux en interne et de limiter le nombre d’intervenants extérieurs,

– que la rupture doit donner lieu à un préavis et à la réparation du préjudice pouvant éventuellement en résulter

– que la jurisprudence donne de nombreux exemples de ruptures considérées comme fautives et donnant lieu à indemnisation, notamment à l’égard d’experts.

– qu’au regard de l’ancienneté des relations professionnelles, de l’état des dépendance économique dans lequel il se trouvait et de l’importance du volume d’affaires et du chiffre d’affaires résultant de la collaboration professionnelle, il est en droit d’obtenir réparation du préjudice résultant de l’absence de préavis

– que la rupture est imputable à la Caisse ressortant de la lettre du 10 septembre 2004 et non à son refus de traiter les dossiers prévus à l’audience du 21 septembre 2004

– qu’il n’a jamais reçu la lettre du 20 septembre 2004 de la Caisse dont il n’est pas justifié qu’elle lui ait été envoyée

– qu’il n’avait pas été mandaté pour continuer les dossiers en cours aux termes de la lettre du 10 septembre 2004

– que la demande d’indemnisation formée par la Caisse pour la première fois en appel est irrecevable

– qu’en tout état de cause il n’est pas justifié d’un retard apporté au traitement des dossiers et du préjudice de la Caisse et que le contentieux des honoraires obéit à des règles spécifiques

– que les remarques ingrates et critiques sur la structure de son cabinet sont désobligeantes

– qu’il existe un décalage entre le versement et l’encaissement en fin d’année et que la comptabilité de l’avocat est une comptabilité d’encaissement, ce qui peut expliquer certaines distorsions de chiffres alléguées par la Caisse à l’égard de ses demandes d’indemnisation

– qu’il avait rencontré le directeur de la Caisse au printemps 2004 sans que celui-ci n’évoque une décision de réorganisation interne du service qui devait pourtant être d’ores et déjà élaborée

– sur le quantum de l’indemnisation, qu’il y a lieu à indemnisation du préjudice causé non par la rupture mais par la brutalité de celle-ci et qu’il s’agit donc du manque à gagner pendant la période normale du préavis qui aurait dû être respecté

– qu’au regard de l’ancienneté des relations des parties et de la structure de son cabinet, ce préavis aurait dû être d’une durée de deux ans

– que cette indemnisation doit être fondée sur le bénéfice comme l’a retenu le Tribunal

– qu’il convient de prendre en considération le bénéfice réalisé pour l’année 2003 soit 38 203 € et non celui de l’année 2004 puisque dès le mois de septembre, le cabinet a connu une baisse d’un chiffre d’affaires significative compte tenu de la perte des dossiers auparavant confiés par la Caisse et que le cabinet a connu des charges importantes exceptionnelles, notamment le coût du licenciement de la secrétaire et les frais de déménagement

– que l’indemnisation devait être équivalente au titre de la perte de bénéfices à
76 697 €, soit 38 203 € pour l’année 2003 et 38 494 € pour l’année 2002

– qu’à ce préjudice strictement financier s’ajoute une préjudice matériel et moral résultant de la cessation d’activité professionnelle anticipée qui justifie parfaitement l’allocation d’une somme de 100 000 €, tous préjudices confondus.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 16 novembre 2007.

MOTIFS

– Sur la révocation du mandat

L’avocat et son client sont liés par une convention de mandat.

L’article 2004 du Code Civil prévoit que le mandant peut révoquer sa procuration quand bon lui semble, et en l’espèce, au regard du caractère à durée indéterminée du mandat et de la prohibition des contrats perpétuels, il n’est pas contesté par les parties que la CCPBA avait la liberté de révoquer le mandat de son avocat Jean-Paul X, avocat au barreau de BORDEAUX.

Pour autant, en l’absence, comme en l’espèce, de faute imputée au mandataire, la révocation du mandat peut être abusive et ouvrir droit à réparation s’il y est procédé dans des conditions brutales et sans préavis.

Il est constant qu’en l’occurrence la collaboration entre la CCPBA et Jean-Paul X, avocat au barreau de BORDEAUX, durait depuis à tout le moins l’année 1981, soit depuis vingt-quatre années.

La lettre du 10 septembre 2004, lettre simple, postée le 12 septembre 2004, est ainsi libellée :

« Maître, nous tenons à vous informer qu’une réorganisation totale de notre processus des comptes adhérents entraîne l’internalisation de nombreuses tâches qui étaient effectuées par des partenaires extérieurs juridiques depuis de longues années, dont vous faites partie.

La création d’un service contentieux interne spécialisé entraînera donc une concentration des procédures et des intervenants extérieurs et ceci dans le but de ne faire supporter à nos adhérents que le strict nécessaire au niveau des frais.

En tant que partenaire depuis de nombreuses années nous tenions à vous remercier du travail en commun efficace effectué et regrettons de vous informer que suite à cette réorganisation notre collaboration ne pourra plus se poursuivre.
Nous tenons à vous assurer que nous restons vigilants pour que tout le travail antérieur effectué par nos deux structures soit conclu de façon professionnelle et que tous vos frais et honoraires vous soient réglés aussitôt selon nos conventions. »

Il n’est pas allégué par la Caisse qu’elle aurait si peu que ce soit au préalable averti Jean-Paul X.. avocat au barreau de BORDEAUX,. de cette évolution interne, laquelle a nécessairement nécessité une réflexion et une mise en place sur de nombreux mois.

La Caisse ne saurait sérieusement soutenir que la rupture serait imputable à Jean-Paul X… en ce qu’il aurait refusé d’assurer le suivi des dossiers dont il était chargé, et ce, dès l’audience du 21 septembre 2004, alors qu’il résulte sans ambiguïté de la lettre du 10 septembre 2004, que la rupture était à effet immédiat, quand bien même Jean-Paul X… demeurait en charge des dossiers qui lui avaient été confiés.

Le choix par ce dernier, interprétant strictement le dernier paragraphe de la lettre du 10 septembre 2004, de préférer être déchargé immédiatement de la totalité de ses activités avec la Caisse, alors même qu’il était indiqué clairement qu’aucun nouveau dossier ne lui saurait confié, implique que la rupture soit à l’initiative de la Caisse, contrairement à ce que celle-ci tente de soutenir.

Bien que la CCPBA ait eu deux cabinets d’avocat pour mandataires sur BORDEAUX, il n’en résulte pas moins que la comparaison entre les sommes déclarées par la dite Caisse au fisc et le chiffre d’affaires déclaré de Jean-Paul X… avocat au barreau de BORDEAUX,. révèle que dès l’année 1981 les honoraires encaissés au titre de ce contentieux ont représenté plus de la moitié du chiffre d’affaires réalisé par l’intimé, et de l’analyse des ratios comptables produits que son activité était essentiellement constituée par le contentieux fourni par la Caisse en fonction duquel il avait nécessairement organisé son cabinet.

Il importe peu que, au regard de la nature de ce contentieux, répétitif et sans complexité particulière, cette structure n’ait pas été particulièrement lourde, dès lors que Jean-Paul X… avocat au barreau de BORDEAUX, travaillait avec une secrétaire à temps partiel soixante et une heures par mois et non avec un clerc comme allégué et qu’il n’est pas contesté que l’organisation mise en place était efficace, aucun reproche n’étant fait par le mandant au mandataire sur l’efficacité de leur collaboration, la lettre du 10 septembre 2004 faisant même état du contraire et la rupture des relations ne résultant que d’un choix d’internalisation des procédures par la Caisse.

S’il est incontestable que cet état de fait mettait l’activité professionnelle de Jean- Paul X… avocat au barreau de BORDEAUX, dans une situation de dépendance potentiellement préjudiciable en cas de révocation du mandat de ce client quasi unique, pour autant, cette situation ne peut lui être imputée à faute par son mandant et ne pouvait bien au contraire qu’inciter la Caisse, qui ne pouvait ignorer une telle situation, au regard de la croissance de son chiffre d’affaires avec cet avocat (49 980 F en 1981 et 371 508 F en 2001), à aviser son mandataire suffisamment à l’avance quant à son nouveau mode de gestion de son service contentieux en lui accordant un délai suffisant pour réorganiser son activité en recherchant la substitution d’un apport de ressources, ce qui présente nécessairement une certaine complexité dans un milieu très concurrentiel et nécessite un délai de stabilisation d’une éventuelle nouvelle clientèle.

C’est par des motifs pertinents que la Cour adopte que le premier Juge a considéré qu’en rompant une collaboration effective depuis près de vingt-cinq années, sans accorder à son mandataire un préavis de nature à lui permettre d’anticiper une perte substantielle d’activité, la CCPBA a manqué à son obligation de bonne foi alors que dans ce domaine particulier, et compte tenu de la longévité exceptionnelle des relations professionnelles entre les parties, un délai était indispensable à la prise de nouvelles dispositions par l’avocat dans l’intérêt de son cabinet.

Le préjudice résulte en l’espèce non de la rupture, à laquelle le mandant était en droit de procéder, mais du caractère brutal de celle-ci.

En l’absence d’usage professionnel, le caractère raisonnable du préavis doit s’apprécier en tenant compte de la durée, de la nature, de l’importance financière des relations antérieures et du temps nécessaire pour remédier à la désorganisation résultant de la rupture.

Eu égard aux éléments ci-dessus, la Cour estime que le préavis aurait dû être d’une durée de dix-huit mois.

L’indemnisation sera évaluée au regard du bénéfice réalisé par Jean-Paul X, avocat au barreau de BORDEAUX, non sur l’année 2004, la collaboration ayant cessé dès le mois de septembre de cette année là de sorte que les chiffres ne sont pas significatifs, mais au regard du bénéfice de l’année 2003 qui était de 38 203 € et de la moitié de celui de l’année 2002 qui était de 38 494 €, soit 19 247 €, soit au total 57 450 €.

Par ailleurs, la rupture a conduit Jean-Paul X…, qui était alors âgé de cinquante-six ans, à prendre une retraite anticipée, alors même qu’il ne pouvait percevoir sa retraite à taux plein qu’à compter du 1er juillet 2008, soit au premier jour du trimestre qui suivrait son soixantième anniversaire, dès lors qu’il ne lui apparaissait pas concevable de reconstituer à son âge une clientèle de nature à compenser la perte de la quasi totalité de son activité.

Il en est résulté un préjudice moral, et un préjudice matériel résultant de cette retraite anticipée, au regard desquels, la Cour au-delà du strict préjudice résultant de la perte de bénéfices estime devoir fixer l’indemnisation à une somme de 75 000 € toutes causes de préjudices confondues.

Le jugement sera en conséquence réformé de ce chef.

Le jugement sera en revanche confirmé en ce qu’il a condamné la Caisse au paiement des intérêts au taux légal depuis l’assignation du 9 janvier 2006 et à la capitalisation des intérêts.

– Sur la demande de dommages et intérêts de la CCPBA :

Cette demande apparaît recevable, bien que formée pour la première fois en appel, dès lors qu’elle est l’accessoire, la conséquence ou le complément des défenses soumises au premier Juge, au sens de l’article 565 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Pour autant, la Caisse sera déboutée de cette demande, dès lors que non seulement le jugement est confirmé dans son principe, mais que le montant de l’indemnisation est augmenté au profit de l’intimé sur son appel incident, et qu’elle ne justifie pas d’un préjudice qui résulterait de ce que Jean-Paul X avocat au barreau de BORDEAUX, n’a pas souhaité, dès l’audience du 21 septembre 2004 du Tribunal de Commerce de BORDEAUX, assurer le suivi des dossiers.

En effet, il a alerté la Caisse sur cette difficulté dès sa lettre du 17 septembre 2004, a réitéré sa préoccupation par lettres des 20 et 21 septembre 2004, et il résulte de la lettre de Maître xxxx, nouvel avocat inscrit au barreau de BORDEAUX, de la Caisse, adressée le 14 mai 2007 à celle-ci qu’il a été en mesure d’intervenir dès l’audience du 21 septembre 2004, que les dossiers lui ont été transmis dès le 4 octobre 2004, et que les dossiers de l’audience du 21 septembre 2004 ont fait l’objet soit d’une radiation, soit d’un renvoi.

S’agissant des honoraires que Jean-Paul X, avocat au barreau de BORDEAUX, avait perçus le 1er septembre 2004 sur les dossiers BRSB REVETEMENTS SPECIAUX et MAN SARL à hauteur de deux fois 318 €, qui n’ont pas été restitués, c’est à juste titre que Jean-Paul X… objecte que le contentieux des honoraires fait l’objet d’une procédure spécifique qui n’a pas été utilisée en l’espèce.

– Sur les dépens et l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile :

Les dépens seront mis à la charge de la CCPBA, dont les prétentions en appel sont rejetées et qui sera, étant tenue aux dépens, condamnée au versement d’une somme de 2 000 € en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

P A R C E S M O T I F S

LA COUR,

Reçoit la CAISSE DE CONGES PAYES DU BATIMENT D’AQUITAINE en son appel et Jean-Paul X, avocat au barreau de BORDEAUX, en son appel incident,

Au fond,

Réforme partiellement le jugement déféré en ce qu’il a condamné la CAISSE DE CONGES PAYES DU BATIMENT D’AQUITAINE à régler à Jean-Paul X… une indemnité de 14 810 € à titre de dommages et intérêts augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2006,

Statuant à nouveau,

Condamne la CAISSE DE CONGES PAYES DU BATIMENT D’AQUITAINE à verser à Jean-Paul X… une indemnité de 75 000 € à titre de dommages et intérêts toutes causes de préjudice confondus augmentée des intérêts au légal à compter du 9 janvier 2006,

Confirme pour le surplus le jugement déféré,

Y ajoutant,

Déclare recevable la demande de dommages et intérêts de la CAISSE DE CONGES PAYES DU BATIMENT D’AQUITAINE,

Au fond, l’en déboute,

Condamne la CAISSE DE CONGES PAYES DU BATIMENT D’AQUITAINE à verser à Jean-Paul X, avocat au barreau de BORDEAUX, une somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles,

Condamne la CAISSE DE CONGES PAYES DU BATIMENT D’AQUITAINE au paiement des dépens et en ordonne la distraction au profit de la xxx, avoués, en application de l’article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. »