Combattre une discrimination salariale : Comment prouver une inégalité de traitement devant le juge prud’homal ?

Il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe « à travail égal, salaire égal » de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération.

 

L’article L. 1132-1 du Code du travail liste ainsi ces critères discriminatoires, donc prohibés : âge, sexe, origine, situation de famille, orientation sexuelle, mœurs, caractéristiques génétiques, appartenance ou non-appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une nation ou une race, apparence physique, patronyme, opinions politiques, convictions religieuses, activités syndicales ou mutualistes.

 

En effet, s’il crée des différences de rémunération entre des salariés placés dans des situations identiques ou très similaires, l’employeur doit le justifier par des raisons « objectives et matériellement vérifiables ».

 

Le Juge devra ensuite procéder à un double contrôle :

 

D’une part il va comparer les situations, fonctions et responsabilités du salarié demandeur avec celles des autres collaborateurs placés dans une situation comparable (Cass. Soc., 11 juillet 2007, n°06-41742).

 

D’autre part il va contrôler concrètement la réalité et la pertinence des raisons avancées par l’employeur pour justifier les différences (Cass. Soc., 14 octobre 2009, n°08-40161 ; Cass. Soc., 15 mai 2007 n°05-42894 et 05-42895 ; Cass.Soc. 21 mars 2012 n°10-17957).

 

La charge de la preuve est donc répartie entre le salarié et l’employeur.

 

 

Lorsque survient un litige quant au respect du principe de non-discrimination, le salarié qui se considère victime doit apporter devant les juges des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination. Au vu de ces éléments, l’employeur doit alors prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge doit ensuite former sa conviction après avoir ordonné, au besoin, toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles.

 

Il est ainsi  de jurisprudence constante qu’un salarié qui invoque une atteinte au principe “à travail égal, salaire égal” doit soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération.

 

En matière de discrimination salariale, le salarié doit seulement présenter des éléments de faits laissant supposer l’existence d’une inégalité de traitement

 

Mais comment le salarié peut-il démontrer ou crédibiliser de telles différences puisque généralement c’est l’employeur ou un tiers qui dispose des preuves ?

 

La réponse est apportée par cet arrêt de rejet de la chambre sociale de la Cour de cassation du 12 juin 2013 (n° 11-14458 PB) qui juge que :

 

« lorsque le salarié soutient que la preuve de tels faits se trouve entre les mains d’une autre partie, il lui appartient de demander au juge d’en ordonner la production » et « que ce dernier peut ensuite tirer toute conséquence de droit en cas d’abstention ou de refus de l’autre partie de déférer à une décision ordonnant la production de ces pièces ».

 

 

Malgré cet aménagement de la charge de la preuve à l’avantage du demandeur, celle-ci n’est pas toujours aisée à rapporter quand il s’agit de discrimination. Le salarié se trouve en effet bien souvent confronté à la difficulté d’accéder à des éléments de preuve que seul l’employeur détient.

 

Pourtant, des moyens existent, en passant par le juge prud’homal, pour permettre au demandeur d’accéder à des éléments que l’employeur refuserait de lui communiquer.

 

  •  L’article 145 du Code de procédure civile : un instrument juridique pour l’accès aux preuves. 

 

Le salarié  peut fonde sa demande sur l’article 145 du Code de procédure civile selon lequel «s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé».

 

Il explique notamment que l’employeur est le seul à détenir des éléments permettant de prouver la discrimination.

 

Le conseil de prud’hommes, avant d’ordonner la communication des éléments de preuve et de faire droit à la demande du salarié, vérifie que l’ensemble des conditions posées par l’article 145 sont bien réunies, à savoir :

 

–   l’existence d’un motif légitime permettant d’établir la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution du litige 

 

En l’espèce, les juges considèrent que :

 

– l’exercice d’une action en justice sur le fondement d’une discrimination est bien un motif légitime justifiant la production de documents relatifs à la rémunération de salariés tiers au procès sachant que le refus de la société de communiquer à l’amiable les éléments demandés par le salarié constitue également un motif légitime ;

–  « avant tout procès », c’est-à-dire avant l’engagement d’une procédure sur le fond, il n’y avait en l’espèce aucune procédure engagée sur le fond, ce que rappellent les juges ;

 

La solution  de cet arrêt conforte donc la jurisprudence en vertu de laquelle « il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe “à travail égal salaire égal” de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération » (par ex., Cass. soc., 20 oct. 2010, no 08-19.748 ).

 

C’est au demandeur qu’il revient d’apporter des éléments susceptibles d’établir une disparité de situation par rapport aux autres salariés de qualification et de compétence égales et effectuant le même travail (Cass. soc., 13 févr. 2002, no 00-40.912).

 

Certes, il n’existe aucun texte qui, de manière directe, règle le régime de la preuve lorsqu’une atteinte au principe « à travail égal, salaire égal » est alléguée.

 

L’arrêt n’est toutefois pas dépourvu de fondements textuels.

 

Du côté du régime des discriminations, l’article 4 de la loi du 27 mai 2008, qui n’a pas été codifié, organise un mécanisme d’aménagement de la preuve, selon lequel « toute personne qui s’estime victime d’une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d’en présumer l’existence ».

 

Le droit de la procédure civile ne manque pas d’outils pour permettre à l’une des parties d’accéder à la preuve détenue par l’autre partie lorsque celle-ci refuse de le faire hors de toute contrainte.

 

  • Le réflexe à avoir devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes : Demandez  une mesure d’instruction !

L’article R. 1454-14 du Code du travail donne pouvoir au   bureau de conciliation, d’ordonner, « en dépit de toute exception de procédure et même si le défendeur ne se présente pas » :

(…)

3° Toutes mesures d’instruction, même d’office ;

 

Pour passer outre le refus de l’employeur, le salarié est ainsi en droit de réclamer une mesure d’instruction au stade de la conciliation prud’homale en sollicitant toutes les pièces en possession de l’employeur qui permettront de démontrer inégalité de traitement en comparant par exemple  les fiches de paie ou contrat de travail  du salarié avec ses collègues de travail.

 

De même, afin de mettre l’affaire en état d’être jugée, le bureau de jugement peut désigner un conseiller rapporteur en vue de réunir les éléments utiles à la décision de la formation de référé (CPC, art. R. 1454-1).

 

Relevons enfin que le conseiller rapporteur ou le bureau de jugement peut ordonner toutes mesures nécessaires à la conservation des preuves (CPC, art. R. 1454-4).

 

Pour la Cour de cassation, il appartient bien au  pouvoir souverain du juge de considérer , « que les salariées justifiaient d’un motif légitime à obtenir la communication de documents nécessaires à la protection de leurs droits, dont seul l’employeur disposait et qu’il refusait de communiquer » (Cass. soc., 19 déc. 2012, no 10-20.526).

 

Le salarié n’est donc nullement démuni pour prouver une discrimination salariale  !

 

Texte de l’arrêt Cass. soc., 12 juin 2013, pourvoi no 11-14.458, arrêt no 1114 FS-P+B

 

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 13 avril 2010), que M. X… a été engagé par la société Manpower pour être mis à disposition de la société Kodak polychrome graphics (Kodak) en qualité d’agent de recouvrement par des contrats de mission du 6 septembre 2006 au 30 juin 2007 ; qu’il a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes ;

Sur le second moyen :
Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande en rappels de salaire formée conjointement contre les sociétés Manpower et Kodak, alors, selon le moyen, que la rémunération perçue par le salarié temporaire dans le cadre d’un contrat de mission ne peut être inférieure à celle à laquelle aurait eu droit dans l’entreprise utilisatrice, après période d’essai, un salarié de qualification professionnelle équivalente occupant le même poste de travail ; qu’en outre, lorsque le calcul de la rémunération dépend d’éléments détenus par l’employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d’une discussion contradictoire ; que M. X… ayant produit le double de la demande d’interrogation adressée par lui à la société Kodak graphic communications, la Cour d’appel, qui a débouté celui-ci de sa demande en relevant qu’il lui appartenait de fournir un commencement de preuve permettant d’étayer sa réclamation quand il appartenait dans un tel contentieux d’établir le salaire versé pour la même période aux salariés de qualification professionnelle équivalent occupant le même poste de travail, l’arrêt attaqué a violél’article 1315 du code civil ;

Mais attendu qu’il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe « à travail égal, salaire égal » de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération ; que lorsque le salarié soutient que la preuve de tels faits se trouve entre les mains d’une autre partie, il lui appartient de demander au juge d’en ordonner la production ; que ce dernier peut ensuite tirer toute conséquence de droit en cas d’abstention ou de refus de l’autre partie de déférer à une décision ordonnant la production de ces pièces ;
Et attendu que le salarié s’étant borné dans ses conclusions à alléguer que la société Kodak avait procédé à une augmentation générale des salaires au premier semestre, sans saisir le juge d’une demande de production des justificatifs détenus par une autre partie, la cour d’appel a, sans inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision ; »

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Vu l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, rejette également la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille treize