C’est à l’employeur de rapporter la preuve négative d’un harcèlement moral
Ce n’est pas au salarié de rapporter la preuve positive d’un harcèlement moral mais à l’employeur d’en rapporter la preuve négative.
Lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au Juge de se prononcer sur l’ensemble de ces éléments afin de dire s’ils laissent présumer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, d’apprécier les éléments de preuve fournis par l’employeur pour démontrer que les mesures en cause sont étrangères à tout harcèlement moral.
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X… a été engagée le 6 novembre 1978 par l’Association roussillonnaise d’action sociale (ARAS) en qualité d’infirmière au sein du Centre professionnel Aristide Maillol, institut médico-éducatif relevant de la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 ; qu’elle a fait l’objet de plusieurs arrêts de travail pour maladie puis a été mise en invalidité deuxième catégorie à compter du 1er juin 2005, ce dont elle a informé l’employeur par courrier du 13 juin ; que celui-ci l’a invitée le 29 juin 2005 à prendre rendez-vous auprès de la médecine du travail ; qu’après avoir mis en demeure son employeur le 16 mai 2006 d’organiser les visites de reprise, la salariée a été déclarée , à l’issue de deux visites médicales des 13 et 30 juin 2006, inapte à tout poste dans l’entreprise puis licenciée le 2 août 2006 ; qu’elle a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes notamment au titre de la rupture de son contrat de travail, au titre d’un rappel de salaire sur la base du coefficient 735 de la convention collective et au titre du harcèlement moral ;
Sur le pourvoi incident de l’employeur :
Sur le premier moyen :
Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à payer à Mme X… la somme de 4 700,51 euros au titre du rappel de salaires pour la période de novembre 2002 à juin 2005 en application du coefficient 735 et de la valeur du point conventionnel pour la période de novembre 2002 à juin 2005 ainsi qu’à la somme de 470,05 euros au titre des congés payés afférents, alors, selon le moyen, qu’il résulte de l’avenant n° 250 du 11 juillet 1994 modifiant l’annexe IV bis sur la classification des emplois et coefficients de salaire du personnel psychologique et paramédical de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées que les infirmiers bénéficiant d’une ancienneté de vingt-quatre ans peuvent prétendre à un coefficient 715 sans sujétions d’internat et à un coefficient 735 avec sujétions d’internat ; qu’en affirmant, par motifs propres et adoptés, qu’en application de cet avenant, les infirmiers ayant plus de vingt-quatre ans d’ancienneté pouvaient prétendre au coefficient 735 sans qu’il soit question de sujétions d’internat, et en jugeant que Mme X… pouvait prétendre au coefficient 735 depuis novembre 2002, date de ses vingt-quatre ans d’ancienneté, peu important qu’elle n’ait pas accompli de sujétions d’internat, la cour d’appel a violé l’avenant n° 250 du 11 juillet 1994 précité ;
Mais attendu que selon l’avenant n° 250 du 11 juillet 1994 modifiant l’annexe IV bis sur la classification des emplois et coefficients de salaires du personnel psychologique et paramédical de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées, les infirmiers bénéficiant d’une ancienneté de vingt-quatre ans peuvent prétendre à un coefficient 735 sans qu’une sujétion d’internat ne soit exigée ; que c’est donc à bon droit que la cour d’appel a alloué à la salariée un rappel de salaire pour la période de novembre 2002 à juin 2005 en application du coefficient 735 ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu qu’il est encore fait grief à l’arrêt de condamner l’ARAS à payer à Mme X… la somme de 2 579,04 euros au titre de l’indemnité de licenciement, alors, selon le moyen , que la cassation à intervenir de l’arrêt accordant à Mme X… un coefficient 735 à compter de novembre 2002 (critiqué dans le premier moyen), entraînera l’annulation du chef du dispositif de l’arrêt lui allouant un rappel d’indemnité conventionnelle de licenciement sur la base d’un salaire calculé en application du coefficient 735, en vertu de l’article 624 du code de procédure civile ;
Mais attendu que le rejet du premier moyen rend ce moyen inopérant ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que l’employeur fait enfin grief à l’arrêt de le condamner à payer une somme à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi par la salariée du fait du retard dans l’organisation des visites de reprise, alors, selon le moyen :
1°/ que l’employeur n’est tenu de mettre en oeuvre la visite médicale de reprise qu’à partir du moment où le salarié a manifesté sa volonté claire et non équivoque de reprendre son travail ou lui a demandé de mettre en oeuvre la visite de reprise ; qu’en reprochant à l’employeur de ne pas avoir organisé la visite de reprise dès le mois de juin 2005 au prétexte inopérant que la salariée lui aurait écrit le 24 juin 2005 pour lui demander de l’informer « des perspectives qu’il envisageait au mieux de ses intérêts suite à une mise en invalidité » de sorte qu’elle aurait manifesté sans ambiguïté sa volonté « de voir sa situation professionnelle éclaircie », la cour d’appel qui n’a nullement constaté que la salarié avait manifesté sa volonté claire et non équivoque de reprendre son travail ou demandé à l’employeur d’organiser la visite médicale de reprise, a privé sa décision de base légale au regard des articles R. 4624-21 et R. 4624-22 du code du travail ;
2°/ que l’employeur n’est tenu de mettre en oeuvre la visite médicale de reprise qu’à partir du moment où le salarié a manifesté sa volonté claire et non équivoque de reprendre son travail ou lui a demandé de mettre en oeuvre la visite de reprise ; qu’en l’espèce, il résulte de l’arrêt attaqué que dès qu’il a été mis en demeure par la salariée de saisir le médecin du travail en mai 2006, l’employeur a effectivement saisi le médecin du travail et organisé la visite médicale de reprise ; qu’en considérant néanmoins que l’employeur avait tardé à organiser la visite de reprise et qu’il devait indemniser la salariée à ce titre, la cour d’appel a violé les articles R. 4624-21 et R. 4624-22 du code du travail ;
Mais attendu que dès lors que le salarié informe son employeur de son classement en invalidité deuxième catégorie sans manifester la volonté de ne pas reprendre le travail , il appartient à celui-ci de prendre l’initiative de faire procéder à une visite de reprise laquelle met fin à la suspension du contrat de travail ;
Et attendu qu’après avoir relevé que la salariée avait demandé à son employeur le 24 juin 2005 de l’informer des perspectives qu’il envisageait au mieux de ses intérêts à la suite de sa mise en invalidité deuxième catégorie, la cour d’appel a constaté que celui-ci l’avait alors invitée le 29 juin à prendre rendez-vous auprès de la médecine du travail et que ce n’est qu’à la suite de sa mise en demeure par l’intéressée le 16 mai 2006 qu’il avait organisé les visites de reprise ; qu’en l’état de ces constatations, elle a exactement décidé que le retard dans l’organisation de ces visites était imputable à l’employeur qui aurait dû saisir lui-même le médecin du travail ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal de la salariée :
Vu les articles L. 1152 -1 et L. 1154-1 du code du travail ;
Attendu qu’en application de ces textes, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Attendu que pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, l’arrêt retient que l’essentiel des pièces produites par l’intéressée concerne uniquement les multiples courriers que cette dernière a écrits, à partir de 1999, à son employeur (soit au président de l’ARAS, soit au directeur général, soit au directeur de l’établissement) mais aussi aux membres du CHSCT, à l’inspection du travail et à la DDASS, courriers par lesquels elle dénonce les moindre décisions, les réponses, les remarques de sa hiérarchie tant sur le fonctionnement de l’établissement que sur les points qui la concernent personnellement ; que les trois ou quatre attestations qu’elle verse aux débats ne concernent pas son litige, mais celui de M. Y… qui a été son ami, travaillait dans le même établissement et a été en conflit également avec l’employeur ; que, quant aux documents médicaux, il est communiqué un certificat d’un psychiatre en date du 22 novembre 1999 attestant qu’elle avait avec ce médecin une consultation à l’époque de deux fois par semaine, et les avis d’arrêt de travail mentionnant qu’elle était en dépression, mais sans qu’aucun lien ne soit évoqué avec son activité professionnelle ; qu’il n’existe aucun élément pouvant laisser présumer l’existence d’un harcèlement quant aux faits que la salariée invoque notamment sur les propos menaçants et déplacés de M. Z… à son encontre, ni sur le discrédit jeté sur la qualité de son travail ou son isolement ; qu’il appartient au pouvoir de direction de l’employeur de contrôler le travail des salariés et l’amplitude de leurs horaires, aucun reproche à ce titre ne peut donc prospérer ; que, quant au retrait des moyens nécessaires à l’exécution de son travail, là encore l’analyse avancée par la salariée ne peut être accueillie, l’employeur ayant pris l’option après avis du comité d’entreprise de limiter le recours systématique à un chauffeur pour accompagner les jeunes chez le dentiste, de choisir un dentiste plus proche de l’établissement et ce pour des contraintes imposées par des impératifs de gestion et d’organisation de la vie de l’établissement auquel l’infirmière ne pouvait s’opposer, décision validée au demeurant par le médecin de la commission départementale de l’éducation spéciale ainsi qu’il en est justifié ; que, s’agissant de la permutation des locaux d’infirmerie avec ceux du psychologue et du psychiatre, cette décision a été prise avec l’accord de la DDASS et ce pour une mise aux normes ; qu’il en est de même du changement de clefs du secrétariat, décidé par l’inspecteur de la DDASS suite à différents vols constatés, rien ne permettant d’établir que la salariée ne pouvait avoir la clef du local de l’infirmerie ; que, sur le fait de la « pousser à la faute », les demandes de régularisation des attestations de soins ou de communication de registre d’accidents bénins et de bilan de protocole ressortent du pouvoir de direction de l’employeur auquel ne peut échapper la salariée et qui en aucun cas ne peuvent laisser présumer un quelconque harcèlement, l’employeur n’ayant d’ailleurs pas soumis le défaut d’obtempérer à une sanction disciplinaire ; qu’en ce qui concerne l’atteinte à ses droits, aucun action répétée ne peut être retenue à l’endroit de l’employeur lequel a réglé la prime de camp après vérification comme il en avait le droit auprès de la commission d’interprétation de la convention collective et, s’agissant de la revalorisation de son coefficient, c’est la salariée qui a saisi directement le comptable et non l’employeur qui est à l’origine du conflit ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de se prononcer sur l’ensemble des éléments retenus afin de dire s’ils laissaient présumer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, d’apprécier les éléments de preuve fournis par l’employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral , la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
Rejette le pourvoi incident de l’employeur ;
CASSE ET ANNULE