Obligation de reclassement dans un groupe de société : changement d’appréciation de la notion de groupe !

 

Suite à la liquidation judiciaire de leur société, des salariés licenciés pour motif économique dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) reprochaient au mandataire liquidateur de n’avoir pas cherché à les reclasser au niveau du groupe. Ils soutenaient en conséquence avoir fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

 

La question centrale est alors celle de l’identification du groupe de société, afin de préciser l’étendue du périmètre de l’obligation de reclassement.

 

Dans cette affaire, la société liquidée avait une société-mère, laquelle appartenait à une holding.

 

Cette holding dépendait elle-même d’un fonds commun de placement à risque, géré par une société que nous appellerons « F », qui avait acquis 85 % de son capital.

 

 

Pour les salariés licenciés, le périmètre de reclassement englobait le fonds commun de placement et, en conséquence, les entreprises dans lesquelles le fonds était investi.

 

 

La Cour de cassation a rejeté cette analyse et approuvé la décision de la cour d’appel, déboutant les salariés de leurs demandes.

 

 

Dans la lignée de sa jurisprudence, la Cour de cassation a relevé l’absence de preuve de possibilités de permutation de tout ou partie du personnel entre la société liquidée et les entreprises dans lesquelles les fonds de placement gérés par la société F étaient investis.

 

 

Nous retrouvons ici les critères habituels du groupe en tant que périmètre de reclassement, c’est-à-dire des sociétés dont les activités, l’organisation ou le lieu de travail ou d’exploitation permettent la permutation de tout ou partie du personnel (cass. soc. 5 avril 1995, n° 93-42690).

 

 

Toutefois, ce point n’est évoqué que de manière incidente.

 

Le critère premier et principal de l’appréciation des juges était de déterminer si la société « F » contrôlait ou non la société liquidée.

 

La Cour de cassation relève ainsi que, selon la cour d’appel, il n’était pas établi que la société F détenait directement ou indirectement une fraction du capital de la holding lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales.

 

 

Par conséquent, on ne pouvait pas considérer que cette société contrôlait la société liquidée, au sens du code de commerce.

 

 

En effet, le groupe peut aussi se définir par rapport aux règles du comité de groupe.

 

Il est alors constitué par une entreprise dominante, dont le siège social est situé sur le territoire français, et par les entreprises qu’elle contrôle, dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce (c. trav. art. L. 2331-1).

 

 

De même, la cour d’appel a seulement relevé l’existence de liens de contrôle et de surveillance entre la société F et la holding.

 

 

Elle n’a pas constaté que le pacte d’associés définissant les droits et obligations respectifs de la holding et de ses divers actionnaires, dont le fonds commun de placement à risque géré par la société F, conférait à cette dernière le droit d’exercer une influence dominante sur la holding, toujours au sens du code de commerce.

 

 

La Cour de cassation approuve donc la cour d’appel d’avoir adopté une approche « capitalistique » du groupe en tant que périmètre de reclassement.

 

Cette solution peut de prime abord paraitre surprenante au regard des dernières solutions adoptées par la Cour de cassation en la matière.

 

En effet, deux arrêts du 16 novembre 2016 avaient tracé une frontière nette entre le groupe en tant que périmètre d’appréciation du motif économique et le groupe en tant que périmètre de reclassement (cass. soc. 16 novembre 2016, n° 14-30063 et 15-19927) :

 

-dans le premier cas (appréciation du motif), le groupe se définissait effectivement par une société dominante et des sociétés contrôlées ;

 

-mais, dans le second (périmètre de reclassement), il fallait rechercher les possibilités de permutation du personnel, sans s’attarder sur les liens capitalistiques entre les sociétés concernées.

 

Par cet arrêt du 20 mars 2019, la Cour de cassation semble donc avoir modifié son approche et réintroduit les notions de contrôle et de société dominante pour identifier le groupe de reclassement.

 

Ce n’est qu’une fois établie l’existence d’un groupe en termes de contrôle ou d’influence dominante que les possibilités de permutation du personnel entre les entités du groupe sont à envisager.

 

Toutefois, il semble s’agir moins d’un revirement de jurisprudence que d’une mise en conformité avec les nouvelles dispositions légales.

 

En effet, les ordonnances du 22 septembre 2017 dites « Macron » ont réécrit l’obligation de reclassement pour indiquer (c. trav. art. L. 1233-4) :

 

-d’une part, que le reclassement s’effectuait sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise faisait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assuraient la permutation de tout ou partie du personnel ;

 

-mais, d’autre part, que la notion de groupe désignait le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôlait dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce.

 

Dans cette affaire, les faits étaient antérieurs aux ordonnances Macron.

 

Mais la Cour de cassation a manifestement choisi d’adapter dès à présent sa jurisprudence à la nouvelle législation.

 

 

Cass. soc. 20 mars 2019, n° 17-19595 :

 

« Mais attendu, d’abord, que la cour d’appel, qui a constaté qu’il n’était pas établi que la société de gestion Finadvance détenait directement ou indirectement une fraction du capital de la société Interges lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales, en a exactement déduit qu’elle ne pouvait être considérée comme contrôlant la société Intergestion par application des dispositions combinées des articles L. 233-3, I, 1° et L. 233-4 du code de commerce, le premier de ces articles dans sa rédaction alors applicable ;

 

Attendu, ensuite, que la cour d’appel, qui a seulement relevé l’existence de liens de contrôle et de surveillance entre les sociétés Interges et Finadvance, n’a pas constaté que le pacte d’associés définissant les droits et obligations respectifs de la société Interges et de ses divers actionnaires, dont le fonds commun de placement à risque géré par la société Finadvance, conférait à cette dernière le droit d’exercer une influence dominante sur la société Interges au sens des dispositions alors applicables de l’article L. 233-16, II, 3° du code de commerce ;

 

Attendu, enfin, que la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder pour le surplus à des recherches qui ne lui étaient pas demandées, a fait ressortir qu’il n’était pas démontré par les pièces soumises à son appréciation l’existence de possibilités de permutation de tout ou partie du personnel entre la société Intergestion et les entreprises dans lesquelles les fonds de placement gérés par la société Finadvance étaient investis, ce dont il résultait que ces sociétés ne faisaient pas partie d’un même groupe au sein duquel le reclassement devait s’effectuer ;

 

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

 

PAR CES MOTIFS :

 

REJETTE les pourvois ; »