Quelle est l’étendue de l’obligation de sécurité de l’employeur en matière de prévention des risques psychosociaux ?
La prévention des risques psychosociaux (RPS) occupe une place désormais centrale dans l’obligation légale de sécurité qui pèse sur l’employeur au titre des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail.
Longtemps appréhendée sous l’angle d’une obligation de résultat, cette obligation connaît aujourd’hui un changement de paradigme jurisprudentiel, fondé non plus sur le seul constat d’une atteinte à la santé du salarié, mais sur l’effectivité et la cohérence de la démarche de prévention mise en œuvre.
On parle d’obligation de moyens renforcée.
En effet, dans le prolongement des décisions de l’Assemblée plénière du 5 avril 2019 et de la deuxième chambre civile du 8 octobre 2020, l’obligation de sécurité s’apprécie désormais au regard des diligences effectivement accomplies par l’employeur.
Autrement dit, le juge doit désormais se livrer à une analyse concrète, globale et circonstanciée de la politique de prévention mise en place par l’employeur, en tenant compte de l’ensemble des éléments produits par l’employeur (ou non) pour s’en exonérer.
Dans cette nouvelle grille de lecture, l’évaluation des risques constitue le socle indispensable de toute démonstration probatoire en ce qu’elle conditionne la crédibilité des actions de prévention ultérieures.
L’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 5 mai 2021 (n° 19-14.295) constitue, à cet égard, une décision de référence.
Les faits marquants : l’affaire du 5 mai 2021
Dans l’affaire jugée le 5 mai 2021, une salariée victime d’un accident du travail et reconnue travailleur handicapé sollicitait la résiliation judiciaire de son contrat aux torts de l’employeur, pour manquement grave à l’obligation de sécurité.
Les juges du fond avaient rejeté sa demande, estimant que l’employeur justifiait d’une prévention suffisante puisqu’il démontré avoir respecté les préconisations de la médecine du travail.
Pour cela, il produisait :
- des factures et bons de livraison attestant de l’achat d’équipements adaptés,
- des attestations,
- un procès-verbal de constat d’huissier démontrant le respect des préconisations du médecin du travail.
La consécration de l’exigence d’évaluation des risques psychosociaux au sein du DUERP
La Cour de cassation adopte une analyse radicalement différente.
Elle reproche à la cour d’appel de ne pas avoir répondu au moyen tiré du défaut d’établissement du document unique d’évaluation des risques, et de l’absence d’identification des risques afférents au poste de la salariée.
Une telle situation était contraire aux articles L. 4121-3 et R. 4121-1 du Code du travail.
Par conséquent, l’employeur qui n’avait pas évalué les risques psychosociaux a gravement manqué à son obligation de sécurité, ce qui justifiait la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts exclusifs.
Le message est clair : la mise en œuvre de mesures correctrices ou d’adaptations individuelles, fussent-elles conformes aux préconisations du médecin du travail, ne saurait compenser l’absence d’évaluation préalable des risques.
La Cour rappelle ainsi que la prise en compte de ces préconisations relève d’une prévention secondaire nécessaire mais insuffisante à elle seule. La prévention primaire, fondée sur l’identification et l’anticipation des risques, demeure prioritaire.
Autrement dit, pour être exonéré de tout manquement à son obligation de sécurité, l’employeur doit avant toute chose démontrer l’existence d’une évaluation sérieuse, actualisée et exhaustive des risques, incluant les risques psychosociaux.
Le risque serait de réduire cette exigence à une approche purement formaliste du DUERP.
Or, il convient au contraire à une lecture pragmatique : ce qui est sanctionné, ce n’est pas seulement l’absence de document, mais l’absence de démarche structurée de prévention…
Une illustration contentieuse récente de l’insuffisante identification des RPS
Le Cabinet a récemment eu à traiter d’un dossier qui fournissait une démonstration éclairante de cette problématique.
En l’espèce un salarié a été victime d’une violente crise d’épilepsie sur son lieu de travail, reconnue comme accident du travail.
L’analyse des conditions de travail révélait une surcharge de travail durable combinée à des conditions dégradées liées au comportement hostile et imprévisible de son manager.
Le tout était à l’origine d’un climat professionnel anxiogène persistant pour le salarié, alors même que le stress est un facteur déclencheur médicalement connu des crises d’épilepsie.
Or, le DUERP communiqué par l’employeur révélait de graves carences :
- les risques psychosociaux y étaient largement marginalisés au profit des seuls risques physiques ;
- le seul RPS identifié se limitait à une « charge mentale » assimilée à un simple surcroît ponctuel de travail ;
- aucune mesure de prévention spécifique n’avait été mise en place ;
- l’évaluation n’a pas été actualisée depuis plus de dix ans.
Dans de telles conditions, le DUERP est incapable de remplir sa fonction préventive.
Cette situation illustre parfaitement les dérives d’une approche formelle et obsolète du DUERP comme un document figé, déconnecté de la réalité du travail.
Le renforcement de l’exigence d’identification des risques psychosociaux par les jurisprudences récentes
Les juridictions du fond s’inscrivent désormais clairement dans cette logique.
Ainsi, ont été récemment qualifiés de manquements à l’obligation de sécurité :
- une évaluation incomplète des risques psychosociaux, combinée à une absence de réaction face aux alertes et à une surcharge de travail (CA Colmar, 23 avril 2024) ;
- l’omission durable d’évaluer les RPS malgré les injonctions de l’inspection du travail (CA Grenoble, 12 mars 2024).
Ces décisions confirment que le défaut ou l’insuffisance d’évaluation des RPS suffit à caractériser un manquement, indépendamment même de toute faute intentionnelle de l’employeur.
Enfin, cette exigence se trouve également consolidée par les accords nationaux interprofessionnels :
- l’ANI du 2 juillet 2008 sur le stress au travail, étendu en 2009, qui fournit des indicateurs de repérage et impose une réaction dès l’identification d’un risque ;
- l’ANI du 9 décembre 2020, qui insiste sur l’intégration des RPS dans l’évaluation des risques et leur traduction opérationnelle dans le DUERP.
Conclusion
L’arrêt du 5 mai 2021 nous apprend l’absence ou l’insuffisance du DUERP constitue à elle seule un manquement grave à l’obligation de sécurité, susceptible de justifier des demandes indemnitaires ou une résiliation judiciaire du contrat de travail.
Dans un contexte de judiciarisation croissante des atteintes à la santé mentale au travail, l’enjeu pour les entreprises n’est pas seulement de produire un document conforme, mais de mettre en place une démarche vivante, actualisée et sincère d’identification et de prévention des RPS.
Ce n’est que dans ces conditions que le DUERP sera à même de sécuriser juridiquement l’employeur et, surtout, de protéger durablement les salariés.
Compte tenu de sa double compétence en Droit du Travail et de la sécurité sociale, le Cabinet de Maitre JALAIN, Avocat à Bordeaux, accompagne les salariés victimes de risques psychosociaux, type burn-out :
« Burn-out et stress au travail : responsabilité de l’employeur et actions en justice du salarié »
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 5 mai 2021, 19-14.295,
« Réponse de la Cour
Vu l’article 455 du code de procédure civile :
- Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs
- 13. Pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de sécurité, l’arrêt, après avoir rappelé que le médecin du travail avait indiqué que la salariée était apte à la reprise du travail « en évitant le soulèvement du bras en port de charge au-delà de 60/70°- mettre à disposition un chariot roulant pour éviter les contraintes de manutention manuelle », retient que l’employeur justifie du respect des préconisations du médecin du travail au moyen de factures, bons de livraison relatifs à l’achat de chariots, attestations, procès-verbal de constat dressé par un huissier mettant en évidence que le matériel était bien adapté aux préconisations médicales précitées, et que l’examen des éléments apportés par la salariée ne permet pas de considérer que l’employeur ne justifie pas du respect de son obligation de sécurité au moyen des éléments précités.
- En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la salariée qui soutenait que son employeur ne justifiait pas avoir respecté les dispositions des articles L. 4121-3 et R. 4121-1 du code du travail relatifs à l’établissement d’un document unique d’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE »