Les conditions de vidéosurveillance du salarié : attention à l’atteinte disproportionnée à sa vie privée

La Cour de cassation rappelle dans un arrêt du 23 juin 2021 que conformément aux dispositions de l’article L. 1121-1 du Code du travail, doivent être jugés inopposables au salarié les enregistrements issus d’une caméra de surveillance en ce qu’ils sont attentatoires à la vie personnelle de ce dernier et disproportionnés au but allégué par l’employeur de sécurité des personnes et des biens.

 

Tel est le cas pour un salarié qui exerçait seul son activité en cuisine et qui était soumis à la surveillance constante d’une caméra de surveillance installée dans la cuisine.

 

La vidéosurveillance des salariés sur le lieu de travail ne représente sans doute plus le principal risque d’atteinte aux droits fondamentaux des salariés, tout particulièrement au droit au respect de la vie privée.

 

En l’espèce, un salarié, exerçant les fonctions de cuisinier dans une pizzeria, contestait la recevabilité des preuves produites par l’employeur pour justifier son licenciement pour faute grave, au motif qu’elles étaient issues d’un système de vidéosurveillance illicite.

 

Pour rappel, la licéité de telles preuves est subordonnée à une exigence de transparence qui implique pour l’employeur la double obligation d’informer, préalablement à la mise en œuvre de ce procédé de contrôle, le comité social et économique, qui doit également être consulté ainsi que le salarié.

 

(C. trav., art. L. 2312-38, al. 3 ; Cass. soc., 20 novembre 1991, préc. ; C. trav., art. L. 1222-4)

 

En tout état de cause, l’article 1121-1 du Code du travail dispose que :

 

« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

 

Depuis un arrêt du 20 novembre 1991 la Cour de cassation a posé une véritable déontologie des contrôles en la matière (Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 88-43.120)

 

La Cour européenne des droits de l’homme dans une décision 5 septembre 2017, a aussi posé un certain nombre de critères permettant d’apprécier la licéité d’un dispositif de surveillance des salariés tel que :

 

  • L’information préalable du salarié

 

  • L’intérêt légitime de l’employeur

 

A ce titre la jurisprudence considère que l’employeur a un intérêt légitime à contrôler et surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail ( Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 88-43.120, préc.) afin d’assurer la bonne marche de l’entreprise et la protection de ses biens (CEDH, 17 octobre 2019, Req. 1874/13 et 8567/13, Lopez Ribalda et a. c/ Espagne, préc., n° 122).

 

  • L’absence d’existence de moyens moins intrusifs pour y parvenir

 

En l’espèce, si l’objectif était d’assurer la sécurité des personnes et des biens dans la cuisine, il semblait que la mise en place du dispositif de vidéosurveillance, qui était intervenue après que le salarié avait eu fait l’objet d’un avertissement, avait pour seule finalité de surveiller l’intéressé.

 

Le critère de proportionnalité n’était en l’espèce pas rempli non plus, car le salarié était filmé en permanence et que les faits qui lui étaient reprochés aux règles élémentaires d’hygiène et de sécurité (lots de viande avariée dans le réfrigérateur, absence de traçabilité des aliments …) pouvaient être établis tout aussi bien, sans avoir à recourir à la vidéo.

 

Cet arrêt interroge, car il ne suit pas l’évolution récente prise par la Cour de cassation dans deux décisions rendues les 30 septembre et 25 novembre 2020, dans lesquelles la Cour admet que le droit à la preuve de l’employeur peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que l’atteinte soit indispensable à l’exercice de ce droit et proportionnée au but poursuivi.

 

(Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058, préc.. ; Cass. soc., 25 novembre 2020, n° 17-19.523, préc..)

 

Ce silence peut en réalité, s’expliquer par les circonstances de l’espèce, qui ne permettaient pas d’adopter une solution identique.

 

L’arrêt du 25 novembre 2020 décidait que le caractère illicite de la preuve n’empêche pas sa recevabilité, le juge devant « apprécier si [son] utilisation a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve […] ».

 

La réalité est que si un manquement à l’obligation de loyauté dans la collecte des preuves ne disqualifie pas nécessairement la recevabilité de la preuve, il en va différemment d’un dispositif portant une atteinte disproportionnée à la vie privée.

 

Ainsi, l’ampleur de l’atteinte à la vie privée serait déterminante pour écarter les éléments de preuve issus d’un dispositif trop intrusif.

 

Dans l’arrêt du 23 juin 2021, ce n’est pas l’absence d’information du salarié qui conduit les juges a considéré comme étant inopposable au salarié les éléments de preuve, mais bien le caractère constant de la vidéosurveillance du cuisinier en ce qu’elle portait une atteinte disproportionnée à sa vie personnelle.

 

Cass. soc., 23 juin 2021, n° 19-13.856, FS-B

 

« Aux termes de l’article L. 1121-1 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

 

La cour d’appel a constaté que le salarié, qui exerçait seul son activité en cuisine, était soumis à la surveillance constante de la caméra qui y était installée. Elle en a déduit à bon droit que les enregistrements issus de ce dispositif de surveillance, attentatoire à la vie personnelle du salarié et disproportionné au but allégué par l’employeur de sécurité des personnes et des biens, n’étaient pas opposables au salarié et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision. »