Harcèlement au travail : la valeur probante de l’enquête interne relève de l’appréciation des juges et le doute profite au salarié

 

L’enquête interne : un outil de prévention au service de l’employeur  

 

Dans le cadre de son obligation de prévention des risques professionnels (articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail), l’employeur doit agir sans délai lorsqu’il est informé de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral ou sexuel (articles L. 1152-4, L. 1153-5 et suivants).

 

L’enquête interne s’inscrit dans ce devoir de vigilance de l’employeur. Conduite à son initiative, parfois en lien avec le CSE ou d’autres instances, elle vise à établir les faits, préserver la santé des salariés et, le cas échéant, fonder des mesures disciplinaires.

 

Cependant, sa valeur juridique reste entièrement soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond, comme le souligne un arrêt de la Cour de cassation du 18 juin 2025.

 

Dans un article récent, nous nous intéressions à l’étendue  très limitée des droits de la défense concernant le salarié mis en cause dans une enquête pour harcèlement.

 

https://www.avocat-jalain.fr/harcelement-enquete-droitsdusalarievise/

 

Il était rappelé  que la procédure d’enquête se trouvait largement déséquilibrée en faveur de l’employeur.

 

En effet, si la Cour de cassation s’attachait encore il y a quelques années au principe du contradictoire pour permettre au salarié de se défendre, tous les verrous ont été progressivement levés au profit de l’employeur.

 

Celui-ci se trouvait  libre de conduire son enquête comme il l’entend pour résoudre tout conflit portant sur des faits de harcèlement surgissant au sein de l’entreprise, au détriment du contradictoire et des droits de la défense du salarié mise en cause par une enquête pouvant s’avérer partielle et partiale.

Faits marquants : l’affaire du 18 juin 2025

 

Dans l’affaire tranchée par la Cour de cassation le 18 juin 2025 (n° 23-19.022), un salarié cadre dirigeant faisait l’objet d’accusations graves de harcèlement moral et sexuel. Une enquête interne, diligentée conjointement par la direction RH et le CHSCT, avait conclu à la véracité des faits. Le salarié avait été licencié pour faute après mise à pied conservatoire.

 

En appel, les juges ont estimé que les éléments issus de cette enquête n’étaient pas suffisants pour établir les faits reprochés. Malgré des témoignages défavorables, le doute subsistait, notamment en raison d’omissions et d’incohérences dans le rapport. La cour d’appel a ainsi jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, décision confirmée en cassation.

 

Un principe réaffirmé : le doute profite au salarié

 

La Cour de cassation rappelle dans cet arrêt que l’enquête interne produite par l’employeur constitue un élément de preuve parmi d’autres, dont la valeur probante est librement appréciée par les juges du fond, conformément à l’article 1358 du Code civil.

 

Voici le raisonnement de la Cour de cassation : « En cas de licenciement d’un salarié en raison de la commission de faits de harcèlement sexuel ou moral ou d’agissements sexistes ou à connotation sexuelle, il appartient aux juges du fond d’apprécier la valeur probante d’une enquête interne produite par l’employeur, au regard le cas échéant des autres éléments de preuve produits par les parties. […] Il ressort que la cour d’appel a apprécié la valeur probante du rapport d’enquête interne au regard des autres éléments de preuve produits, de part et d’autre, par les parties. La cour d’appel a estimé que les griefs invoqués par l’employeur à l’appui du licenciement n’étaient pas établis par des éléments suffisamment probants et que le doute devait dès lors profiter à l’intéressé. »

 

 

En l’espèce, la cour d’appel avait relevé :

 

 

  • L’absence ou la partialité de certains comptes-rendus d’audition ;
  • L’occultation de témoignages favorables au salarié ;
  • La non-vérification de faits graves sur lesquels reposait le licenciement.

 

Ces manquements ont conduit les juges à conclure à une enquête non probante, insuffisante pour justifier une sanction. Dès lors, le principe du doute devait s’appliquer au bénéfice du salarié mis en cause.

 

Vers une exigence accrue d’objectivité et de loyauté dans la conduite des enquêtes

 

Cet arrêt s’inscrit dans une évolution jurisprudentielle notable.

 

Alors que l’enquête interne était autrefois admise comme preuve quasi-automatique par les juridictions, la Cour de cassation exige désormais plus de rigueur : respect du contradictoire, impartialité dans le choix des personnes entendues, traçabilité des auditions, et objectivation des faits.

 

Cette décision rappelle que l’employeur reste tenu de prouver les faits fautifs qu’il reproche à un salarié, même lorsqu’ils concernent un harcèlement. Il ne peut se contenter d’éléments anonymes, vagues ou subjectifs, tels que des griefs non vérifiables (« comportement pervers », « sadique », etc.) qui ne reposent sur aucun fait matériellement établi.

 

Désormais, si une enquête est jugée non probante, elle ne pourra justifier ni un licenciement pour faute grave, ni une sanction disciplinaire. Le principe du doute redevient central : en cas de doute, il profite au salarié. La Défenseure des droits l’avait déjà souligné dans ses recommandations : une enquête interne efficace doit répondre à des critères stricts de confidentialité, objectivité et équité procédurale.

 

L’arrêt du 18 juin 2025 renforce cette exigence en rappelant que la seule réalisation d’une enquête ne suffit pas. Son contenu, sa méthode, et la manière dont elle a été intégrée au débat judiciaire sont désormais scrutés de près par les juges.

 

En pratique,  les principes à respecter  desormais pour les employeurs en terme de droits de la Défense tourne autour des principes suivants :

 

  • Mettre en œuvre une méthodologie rigoureuse dès le signalement, impliquant si possible un tiers extérieur neutre ;
  • Respecter les droits de la défense, même dans un cadre non contentieux ;
  • Documenter les auditions avec rigueur et transparence, tout en respectant la confidentialité des personnes ;
  • Intégrer l’enquête dans un faisceau d’indices cohérent : l’enquête seule ne suffit pas à caractériser une faute grave.

 

 

Conclusion

Par cet arrêt bienvenu, la Cour de cassation rappelle une vérité essentielle : l’enquête interne n’a pas de force probante automatique par elle même.  Sa valeur relève de l’examen souverain des juges du fond, et c’est à l’employeur de démontrer la réalité des faits, même lorsqu’il agit dans un but de prévention. Cet encadrement permet de rééquilibrer la procédure au bénéfice de tous les acteurs de l’entreprise, dans un domaine particulièrement sensible du droit du travail lorsqu’il est question de harcèlement moral ou sexuel dans l’entreprise.

 

 

Maître JALAIN, Avocat en Droit du Travail à Bordeaux 

 

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