Quelles sont mes chances de gagner aux prud’hommes ?

Quelques chiffres pour répondre à cette question

Chaque année, 200 000 salariés saisissent les 210 conseils du territoire. Dans ces conseils, siègent quatre juges, deux du collège salariés et deux représentants des employeurs. En cas de désaccord entre eux, l’affaire est envoyée en départage, où un juge «départiteur», professionnel cette fois, est chargé de trancher. Ce principe, exceptionnel en Europe, d’une justice entièrement paritaire et rendue par des juges non professionnels, explique en partie les présupposés dont les conseils sont victimes.

Les conseils de prud’hommes traitent les conflits individuels du travail comme juridiction du premier degré. Ils sont surtout juges de la rupture du contrat de travail, qui induit quatre demandes sur cinq en 2007, et dans une moindre mesure des créances salariales qui représentent un peu plus de 13% des demandes.

Les demandes prud’homales introduites au fond sont majoritairement couronnées de succès : 23,7% se concluent par un accord entre salariés et employeurs, 39,4% sont acceptées au moins partiellement par les formations de jugement, tandis que 15,8% sont rejetées et presqu’autant radiées ou abandonnées.

En 2007, 18,5% des affaires ayant fait l’objet d’un délibéré se sont terminées en départition ; la procédure se conclut alors par un jugement au fond nettement plus souvent que la procédure normale, 82% en cas de départition contre 48% sans départition. Globalement, si la grande majorité des demandeurs obtiennent une réponse favorable à leur demande (63,1%), ils passent par des trajectoires très différentes qui induisent des durées de procédures très variables : la voie la plus rapide est celle qui se conclut par un accord des parties avant jugement (7,4 mois) alors que l’obtention d’un jugement favorable demande une durée deux fois plus longue.

En 2007, les affaires portées devant les conseils de prud’hommes (CPH) sont au nombre de 192 000 constituées de 151 000 affaires au fond et de 41 000 référés. Observé sur longue période, le contentieux prud’homal se caractérise par une grande stabilité

Depuis 10 ans le volume d’affaires dont sont saisis les CPH a globalement baissé, les fluctuations de cette activité sont bien sûr très liées à l’actualité sociale et connaissent de fortes variations conjoncturelles. Ainsi, les années 2001 et 2002 sont marquées par un retour à un niveau élevé d’activité dû à un afflux d’affaires généré par l’application des 35 heures (paiement d’heures supplémentaires …).

Depuis 2003, où l’on retombe au niveau de l’année 2000, le nombre d’affaires nouvelles n’a cessé de baisser, atteignant en 2007 le niveau le plus bas de la décennie. Cette évolution s’observe sur les affaires au fond comme sur les référés.

Devant les CPH, la quasi totalité des demandes sont introduites par les salariés (ou par un syndicat à la demande du salarié), les demandes formées par les employeurs restant marginales. Les salariés qui saisissent les CPH relèvent majoritairement des sections commerce (34,8%) et industrie (25,7%), suivi de près par la section activité diverses (21,2%). Le poste encadrement se situe à 16,5% et la section agriculture ne représente que 2% desaffaires. Alors qu’en France 48% des salariés sont des femmes, 38% des demandes introduites en CPH par un salarié le sont par des femmes, et 62% par des hommes. Cette proportion varie en fonction de la part des femmes dans chacune des branches d’activité et passe ainsi de 79% d’hommes dans la section industrie à 56% dansla section commerce.

Les conseils de prud’hommes, juges du licenciement

Le Conseil de prud’hommes se présente aujourd’hui comme la juridiction du licenciement car il est essentiellement saisi par des salariés après rupture de leur contrat de travail. La prédominance de ce type de contentieux n’a cessé d’augmenter depuis 1990 : cinq demandes sur dix étaient liées à la rupture du contrat de travail en 1990, six demandes sur dix en 2002 et huit sur dix en 2007.

Les autres demandes ont essentiellement pour objet principal le paiement d’indemnités ou de salaires et représentent un peu plus de 13% des demandes (30% en 2002 et 40% en 1990).

La situation est complètement différente en matière de référé : les demandes se répartissent de façon presque équilibrée entre rupture du contrat de travail (43,3%) et demande d’indemnités ou de salaires (48%). Il semble en effet que le référé provision soit particulièrement utilisé dans les affaires de rémunération. Les autres contentieux sont marginaux, seuls émergent les demandes d’indemnités ou de salaires dans une procédure collective qui se situent à 3% de demandes.

71% des jugements font droit à la demande !

Les conseils de prud’hommes ont terminé 194 100 affaires composées de 152 800 affaires au fond et de 41 300 référés. Sur l’ensemble des affaires introduites au fond et terminées en 2007, 55% ont tranché le fond du litige : 71% des jugements ont accueilli favorablement la demande (totalement ou partiellement) et 28,6% l’ont rejetée en totalité. Le taux d’acceptation de la demande est assez homogène quelle que soit la section concernée, à l’exception de l’encadrement où il se situe à un niveau inférieur, autour de 66%.

Sur l’ensemble des affaires au fond, 45% se sont terminées sans jugement au principal. Ce contingent d’affaires terminées sans jugement est composé à parts presque égales d’actes qui traduisent un accord des parties, désistement (25,5%), conciliation (22,2%) et retrait du rôle (4,7%) et d’actes qui manifestent un abandon unilatéral de la procédure, essentiellement la radiation sanctionnant le défaut de diligence des parties (33,7%) et la caducité (9,2%).

La radiation, la caducité et le retrait du rôle ne ferment pas totalement la porte au retour du litige, la réinscription au rôle ou la réitération de la demande restant possibles. La fréquence de ces « retours » est variable selon les actes : en 2007, 24,7% des radiations et caducités réunies et 18,5% des retraits du rôle ont donné lieu à réinscription.

En référé la situation des demandeurs est plus favorable puisque le pourcentage d’acceptation au moins partielle de la demande est de 83% (71% pour les jugements au fond). Mais dans ce type de procédure, la part d’affaires donnant lieu à une décision est plus faible que dans les affaires au fond et la part des affaires terminées sans examen des prétentions est même majoritaire (54% contre 46% dans les affaires au fond).

Composées à parts égales de conseillers employeurs et salariés, les différentes formations des conseils de prud’hommes statuent toujours en nombre pair, ce qui implique, pour qu’une décision puisse être rendue, qu’un accord soit trouvé entre les représentants des deux collèges. Lors du délibéré, si une majorité de voix ne peut se former, que ce soit dans les affaires au fond ou en référé, l’affaire est renvoyée à une audience présidée par un juge d’instance qui siège alors comme juge départiteur. La formation étant alors en nombre impair, une décision peut être prise à la majorité.

Un taux de départage de 18,5%

Pour mesurer l’ampleur du phénomène de partage des voix, il faut se situer au moment du délibéré où survient le risque de désaccord.

En 2007, 81 100 affaires ont fait l’objet d’un délibéré et parmi celles-ci 15 000 ont été renvoyées pour être jugées sous la présidence d’un juge départiteur ce qui situe le taux de départage à 18,5%. Le niveau élevé de ce taux s’observe depuis le début des années 2000, il était nettement moins élevé dans les années 1990 (autour de 10%).

L’augmentation du taux de départage est peut-être à rapprocher de la modification de la nature des demandes soumises aux CPH sur la même période (augmentation de la contestation du licenciement). Si l’on rapporte les affaires en départage à l’ensemble des affaires terminées on mesure la fréquence de la participation du juge départiteur au règlement de l’ensemble des litiges prud’homaux, cette part est alors de 10%.

Ces dysfonctionnements ont valu de nombreuses condamnations à l’Etat français par la Cour européennes des Droits de l’Homme fondées sur la violation du délai raisonnable de jugement ou encore sur le manque d’impartialité et d’indépendance des juges prud’hommaux notamment.

Les conclusions du rapport LACABARATS : une réforme inévitable

En juillet, un rapport remis par Alain Lacabarats, président honoraire de la chambre sociale de la Cour de cassation, à Christiane Taubira en dressait un cruel portrait.

«Le constat est unanime : la juridiction du travail, dans son mode d’organisation actuel, ne fonctionne pas dans des conditions conformes aux exigences des standards européens et connaît de graves carences.»

Pour preuve : en 2013, l’Etat a été condamné 51 fois pour des dénis de justice en matière prud’homale. Le rapport Lacabarats dresse en creux un dur constat : «Tout justiciable a le droit de voir sa cause jugée dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial. […] L’indépendance et l’impartialité du juge, de même que sa compétence, sont des conditions essentielles à la crédibilité de l’action des tribunaux».

Or, le rapporteur a entendu durant son enquête certains conseillers prud’homaux qui «évacuaient toutes les questions relatives à la déontologie et à l’impartialité en invoquant le paritarisme. Une des personnes entendues affirmait même que, par nature, le conseiller prud’homal est un « juge de parti pris ».»

En 2013, à Strasbourg, le Groupe d’Etats contre la corruption (Greco) recommandait lui aussi à la France de conduire une réforme des conseils de prud’hommes, «afin de renforcer l’indépendance, l’impartialité et l’intégrité des juges non professionnels».

La réforme engagée par le gouvernement veut donc professionnaliser les prud’hommes. Mais son contour est encore flou : elle renvoie en effet de nombreux points à des textes réglementaires qui, dans la précipitation, n’ont pas encore été rédigés ou rendus publics.

Le texte renforce d’abord les exigences déontologiques et les procédures disciplinaires. Il impose aussi une formation initiale, qui n’est pas obligatoire aujourd’hui (même si les conseillers prud’homaux sont souvent formés par leurs organisations syndicales respectives). Celle-ci pourrait être dispensée à l’Ecole nationale de la magistrature. Pour le législateur, les conseillers prud’homaux doivent quitter leurs oripeaux de syndicalistes pour se rapprocher du statut de juge. Certes, les conseillers patronaux ou salariés jouissent d’une bonne expérience du monde du travail : ils en sont des acteurs. Mais le droit du travail est de plus en plus complexe. « Et notre besoin de formation n’est en réalité pas tant juridique que de mieux savoir comment se positionner. »


Maître JALAIN – Avocat en droit du travail au Barreau de Bordeaux

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