Qu’est-ce qu’une prise d’acte de rupture du contrat de travail ?

Lorsqu’un salarié reproche à l’employeur de ne pas exécuter ses obligations, il peut prendre acte de la rupture du contrat aux torts de l’employeur. S’il est saisi, le juge décidera si la rupture a les effets soit d’un licenciement, soit d’une démission.

  • Qui peut prendre acte de la rupture du contrat de travail ?

 

Seul le salarié en CDI peut prendre acte de la rupture de son contrat en raison de faits qu’il reproche à son employeur. Sauf transaction, elle est alors généralement suivie d’une procédure devant le conseil de prud’hommes, initiée par le salarié. Pas de prise d’acte par le salarié en CDD.

Le CDD peut être rompu avant l’échéance du terme seulement en cas de faute grave, de force majeure ou au profit d’un CDI chez un autre employeur

Il n’y a pas d’autres cas de rupture autorisés. Un salarié en CDD ne peut pas prendre acte de la rupture du contrat de travail en invoquant des griefs à l’encontre de son employeur. La seule solution qui s’offre à lui est une rupture anticipée pour faute grave de l’employeur.

La situation est similaire pour les CDD. Si un salarié quitte brutalement l’entreprise sans motif, l’employeur ne doit pas lui adresser une lettre « prenant acte de la rupture » et le déclarant « démissionnaire » : cette rupture est abusive, puisque aucune faute grave n’est reprochée au salarié (cass. soc. 21 mars 2007, n° 05-4496705-44967 FSD). La seule possibilité serait d’engager une procédure de rupture pour faute grave.

 

  • Pourquoi prendre acte de la rupture du contrat ?

 

Le salarié ne peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur que lorsqu’il lui reproche de ne pas respecter ses obligations. Le non-respect de ses obligations par l’employeur doit être suffisamment grave pour que le salarié prenne le risque de rompre son contrat de travail. Deux catégories de faits peuvent, selon nous, être reprochés à l’employeur (voir tableau) :

– une attitude fautive (non-respect de règles d’hygiène, harcèlement, etc.) ;

– une inexécution des obligations contractuelles ou conventionnelles (non paiement du salaire, modification de la qualification professionnelle sans l’accord du salarié, etc.).

La non-exécution du contrat par l’employeur empêche la continuité du contrat.

Le plus souvent, les conflits liés aux relations professionnelles se règlent avant que l’une ou l’autre des parties au contrat décide de mettre un terme au contrat. Il faut donc que les faits fautifs ou les inexécutions des obligations contractuelles ou conventionnelles de l’employeur rendent impossible la poursuite de la relation contractuelle pour que le salarié puisse rompre le contrat de travail aux torts de l’employeur.

Le salarié doit avoir conscience qu’il ne peut pas reprocher n’importe quel fait pour prendre acte de la rupture de son contrat aux torts de l’employeur. En effet, si les griefs invoqués contre l’employeur ne justifient pas la rupture du contrat, la prise d’acte aura les effets d’une démission avec les conséquences financières qui en résultent.

  • La prise d’acte n’est pas une démission.

L’employeur ne peut pas considérer qu’un salarié prenant acte de la rupture du contrat a en réalité démissionné. Une prise d’acte de la rupture du contrat de travail est incompatible avec la notion de démission, puisqu’elle ne matérialise pas une volonté claire et non équivoque de démissionner. À l’inverse, si un salarié démissionne en reprochant des fautes à son employeur, cette rupture constitue une prise d’acte (cass. soc. 15 mars 2006, n° 03-45031, BC V n° 109 ; cass. soc. 13 décembre 2006, n° 04-40527, BC V n° 375).

Dans certaines hypothèses, une démission a priori donnée sans réserve peut être requalifiée en prise d’acte de la rupture du contrat (voir p. 27).

  • La prise d’acte n’est pas un abandon de poste.

Une prise d’acte ne se déduit pas d’un abandon de poste. Dans cette hypothèse, le salarié ne vient plus travailler, mais ne manifeste pas sa volonté de rompre le contrat. C’est donc à l’employeur d’agir s’il souhaite mettre fin au contrat de travail en licenciant l’intéressé (cass. soc. 10 juillet 2002, n° 00-45566, BC V n° 240). Il ne peut en aucun cas considérer le contrat comme rompu par le salarié.

  • Effet de la prise d’acte

La prise d’acte peut produire les effets soit d’une démission, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (cass. soc. 25 juin 2003, n° 01-42679, BC V n° 209 ; cass. soc. 16 novembre 2004)

  • Effets d’une démission.

Si les juges estiment que les griefs invoqués par le salarié ne justifiaient pas la rupture du contrat, les effets de la prise d’acte seront ceux d’une démission.

Faits ne justifiant pas la prise d’acte (1) Faits justifiant une prise d’acte (2)
Le salarié qui reproche à l’employeur :

– des retards dans le paiement de salaires, de frais de déplacement et de commissionnements alors que le seul décalage d’une journée ou deux de certains paiements s’expliquait par des jours fériés (cass. soc. 19 janvier 2005, n° 03-45018, BC V n° 12) ;

– d’avoir modifié son contrat de travail alors que les faits qu’il invoquait n’étaient pas établis (cass. soc. 17 décembre 2003, n° 01-45286 FD) ;

– le non-paiement du salaire par une association en difficulté, alors que la prise d’acte est intervenue au moment de l’élection du nouveau bureau de l’association qui allait permettre le déblocage de la situation (cass. soc. 4 novembre 2003, n° 01-44740 D) ;

– le comportement de son employeur, auquel aucun manquement n’est imputable, pour passer au service d’une autre entreprise en détournant une partie de la clientèle (cass. soc. 17 février 2004, n° 01-42427 D) ;

– le non-paiement d’heures supplémentaires, alors que l’intéressé dispose d’une totale autonomie pour organiser son travail et que la réalité des heures supplémentaires n’a pas été établie (cass. soc. 17 juillet 2007, n° 06-40630 FD) ;

– une modification du contrat de travail et une exécution déloyale, alors que le salarié, qui avait anticipé une éventuelle modification de son contrat de travail, constamment démentie par l’employeur, n’établissait pas les faits invoqués (cass. soc. 27 juin 2007, n° 05-45417 FD) ;

– une contestation des frais professionnels soutenue par aucun élément et un seul « incident » de paiement en 30 ans, régularisé avant que le salarié ne prenne acte de la rupture de son contrat de travail (cass. soc. 23 mai 2007, n° 05-45740 FD) ;

– des tâches supplémentaires ponctuelles demandées au salarié pour pallier la compression des effectifs, correspondant à sa qualification et constituant une simple modification de ses conditions de travail que l’employeur était en mesure d’imposer dans le cadre de son pouvoir de direction (cass. soc. 21 mars 2007, n° 06-40650 FSD).

Le salarié qui reproche à l’employeur :

– le non-respect du droit au repos hebdomadaire (cass. soc. 7 octobre 2003, n° 01-44635 D) ;

– de ne pas lui avoir versé les salaires qui lui étaient conventionnellement garantis pendant son arrêt maladie (cass. soc. 6 juillet 2004, n° 02-42642 FD) ;

– de l’avoir harcelé sexuellement (cass. soc. 29 septembre 2004, n° 02-43692 FD) ;

– une attitude « répétitive » constitutive de violences morales et psychologiques (cass. soc. 26 janvier 2005, n° 02-47296 D) ;

– une atteinte à son intégrité physique ou morale (cass. soc. 30 octobre 2007, n° 06-43327 FP) ;

– de ne pas lui avoir payé les heures supplémentaires qui lui étaient dues (cass. soc. 25 mai 2004, n° 02-43042 FD ; cass. soc. 1er décembre 2004, n° 02-46231 FD) ;

– la réduction unilatérale de la partie variable de sa rémunération (cass. soc. 22 février 2006, n° 03-47639, BC V n° 81 ; cass. soc. 15 mars 2006, n° 03-44854 D) ;

– le non-respect de son obligation d’assurer la protection des non-fumeurs (cass. soc. 29 juin 2005, n° 03-44412, BC V n° 219) ; – la modification unilatérale de la partie variable de la rémunération et la suppression d’un avantage en nature caractérisant une modification du contrat de travail (cass. soc. 14 juin 2007, n° 06-40877 FD) ;

– la diminution unilatérale du taux horaire prévu au contrat de travail (cass. soc. 26 avril 2007, n° 05-45867 FD) ;

– le retrait de la région Normandie de son secteur d’activité, ce qui aboutissait à modifier sans son accord sa rémunération variable, peu important que l’employeur soutienne que ce soit plus avantageux pour le salarié et sachant qu’une clause contractuelle ne peut permettre à un employeur de modifier la rémunération contractuelle d’un salarié (cass. soc. 26 avril 2007, n° 05-46016 FD) ;

– la modification de son contrat de travail malgré son refus (cass. soc. 3 avril 2007, n° 05-43008 FD).

(1) La prise d’acte produit les effets d’une démission.

(2) La prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.