Cumul des indemnités pour harcèlement moral et discrimination

Dans un arrêt récent rendu le 3 mars 2015, la Cour de cassation admet le cumul de l’indemnisation au titre du harcèlement moral et de l’indemnisation au titre d’une discrimination subie par le salarié.

Dans son arrêt du 3 mars 2015, la Chambre sociale jugeait que le préjudice subi du fait du harcèlement moral était distinct de celui subi du fait de la discrimination, deux situations sanctionnées par deux régimes différents, imposant à l’employeur deux obligations distinctes, prévus respectivement aux articles L. 1132-1 et L. 1152-1 du Code du travail.

En effet, en l’espèce, la salariée avait subi une discrimination du fait de son état de grossesse.

Le préjudice en découlant était la privation d’une partie de ses fonctions au retour de son congé maternité.

En conséquence, le juge condamnait son ancien employeur au versement d’une indemnité tendant à réparer la perte financière et le préjudice moral qu’elle avait subi du fait de la discrimination en application de l’article L. 1132-1 interdisant toute situation de discrimination.

Toutefois, cette même situation de privation de certaines de ses fonctions avait conduit la salariée à un état d’inaptitude médicale constaté par le Médecin du travail.

En effet, il est de jurisprudence constante de considérer la privation de certaines fonctions d’un salarié comme caractérisant une situation de harcèlement moral.

Telle était l’analyse retenue par les juges en l’espèce.

La salariée privée de certaines de ses fonctions, ressentait un sentiment d’isolement, de « mise au placard » l’ayant conduite à l’inaptitude.

En conséquence, le préjudice à réparer du fait du harcèlement moral était constitué par l’atteinte à sa santé et à sa dignité en application de l’article L.1152-1 du Code du travail prohibant formellement toute situation de harcèlement moral.

Ces deux indemnisations sont distinctes en ce que les préjudices réparés sont eux-mêmes distincts et ce, quand bien même leur origine est commune (diminution de certaines de ses fonctions au retour de son congé maternité) :

  • la première indemnisation, fondée sur l’article L. 1132-1 du Code du travail, réparant le préjudice moral et financier subi du fait de la discrimination subie du fait de son état de grossesse ;

  • la seconde indemnisation, fondée sur l’article L. 1152-1 du Code du travail, réparant le préjudice constitué par l’atteinte à sa santé et à sa dignité résultant du harcèlement moral qu’elle subissait et l’ayant conduite à l’inaptitude.

Dans ces conditions, les deux indemnisations sont cumulables.

En savoir plus : www.avocat-jalain.fr

Cabinet de Maître JALAIN – Avocat en Droit du Travail au barreau de Bordeaux

Par email : contact@avocat-jalain.fr

Cass. soc. 3 mars 2015, n°13-23521

« LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :


Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X…, engagée en 1986 en qualité de rédactrice stagiaire par la société Les Editions Y…, éditeur de magazines, a bénéficié de trois congés maternité de juillet 1997 à août 1998, de septembre 2001 à février 2003 et de mars à septembre 2005 ; qu’en arrêt de travail pour maladie, depuis le mois d’octobre 2006, elle a saisi, en juillet 2007, pour obtenir la résiliation de son contrat de travail aux torts de l’employeur, un conseil de prud’hommes lequel a rejeté ses demandes par jugement du 30 avril 2009 ; que le 12 octobre 2009, le médecin du travail, au cours de l’unique visite de reprise en raison d’un danger immédiat, l’a déclarée « inapte à tout poste existant dans l’entreprise » ; qu’elle a été licenciée par lettre du 3 décembre 2009 pour avoir refusé les offres de reclassement ; que devant la cour d’appel la salariée a sollicité paiement de diverses sommes au titre de la rupture du contrat, d’une discrimination, d’un harcèlement moral et d’une violation du principe d’égalité de traitement ;

Sur le second moyen :


Attendu que la salariée fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande d’indemnisation au titre de la violation du principe d’égalité de traitement, alors, selon le moyen, qu’elle se prévalait distinctement du préjudice causé par la discrimination à raison de l’état de grossesse, caractérisé par la privation de l’exercice des fonctions antérieures, d’une part, et du préjudice causé par la violation du principe d’égalité de traitement entre salariés, caractérisé en contemplation des avantages dont Mme Z… avait été gratifiée pour exercer une activité comparable à celle lui revenant normalement, d’autre part, en faisant valoir qu’elle avait été, non seulement privée de son activité antérieure, mais en outre, privée des avantages salariaux et de progression de carrière dont avait bénéficié Mme Z… ; qu’en retenant que le préjudice invoqué à ce dernier titre était « le même » que celui indemnisé au titre de la discrimination à raison de l’état de grossesse, la cour d’appel a méconnu les termes du litige et violé l’article 4 du code de procédure civile ;

Mais attendu que sous couvert d’un grief non fondé de violation de la loi, le moyen ne tend qu’à remettre en cause devant la Cour de cassation l’appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve par les juges du fond qui ont constaté que le préjudice subi par la salariée au titre de la violation du principe d’égalité de traitement avait été pris en compte dans l’octroi de dommages-intérêts au titre de la discrimination à raison de l’état de grossesse ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le premier moyen :

Vu les articles, L. 1132-1 et L. 1152-1 du code du travail ;

Attendu que les obligations résultant des articles L. 1132-1 et L. 1152-1 du code du travail sont distinctes en sorte que la méconnaissance de chacune d’elles, lorsqu’elle entraîne des préjudices différents, ouvre droit à des réparations spécifiques ;


Attendu que pour rejeter la demande d’indemnisation au titre du harcèlement moral, l’arrêt énonce, après avoir retenu l’existence d’une discrimination fondée sur l’état de grossesse de la salariée, chacun de ses congés de maternité ayant été l’occasion d’une diminution très sensible de ses activités rédactionnelles, et alloué à cette dernière une somme à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral résultant du sentiment d’être « mise au placard » et le préjudice financier résultant de la perte d’une partie des rémunérations qu’elle aurait pu percevoir sous forme de piges, que les griefs invoqués pour caractériser le harcèlement sont les mêmes que ceux qui ont permis à la cour de retenir l’existence d’une discrimination et que le préjudice est également identique dès lors que les dommages-intérêts indemnisent le préjudice moral qui a effectivement été subi ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résulte de ces énonciations que les dommages-intérêts alloués au titre de la discrimination réparent les préjudices matériels et moraux résultant de la privation d’une partie des fonctions de l’intéressée après retour de ses congés maternité et non l’atteinte à la dignité et à la santé de la salariée, ayant conduit à un état d’inaptitude médicalement constaté, résultant du harcèlement moral dont elle a fait l’objet, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déboute la salariée de ses demandes d’indemnisation au titre du harcèlement moral, l’arrêt rendu le 27 juin 2013, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Les Editions Y… aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Les Editions Y… à payer à Mme X… la somme de 3 000 euros ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois mars deux mille quinze. »